Dans l’imaginaire collectif, la préparation mentale en athlétisme a longtemps été destinée aux « faibles » ou considérée comme inutile voire néfaste. Aujourd’hui, des sportifs aux préparateurs mentaux, en passant par les entraîneurs, de nombreux acteurs du sport de haut niveau souhaitent faire voler en éclats les clichés.
Elyse Lopez est préparatrice mentale dans le sport de haut niveau et dans l’entrepreneuriat. Elle accompagne une vingtaine de sportifs parmi lesquels on retrouve des athlètes, des pratiquants de sports de combat, des footballeurs ou encore des basketteurs. Elle se réjouit de l’ouverture d’esprit dont font preuve ses athlètes : « J’ai des athlètes qui n’ont aucun mal à dire qu’ils se font accompagner sur le plan mental. Ils n’ont aucun mal à l’admettre, ils en sont même fiers. Ils ont tous compris que c’est une force ». Ludvy Vaillant, spécialiste du 400 m haies (record en 47″85), travaille avec Elyse Lopez depuis un an et demi, et remarque une nette amélioration de la considération de la préparation mentale : « Je trouve que la préparation mentale se démocratise un peu plus par rapport aux années précédentes. Maintenant, on arrive à bien faire comprendre qu’il y a des maux physiques, mais aussi des maux psychiques ».
« Aujourd’hui, les choses ont bien évolué »
En effet, le recours à la préparation mentale dans l’athlétisme français a été un sujet très sensible dans le début des années 2000. C’est ce que relate Richard Maunier (45″76 sur 400 m en 2004), champion d’Europe du 4×400 m en 2005 et entraîneur de sprint et de haies depuis sept ans : « L’athlétisme a un historique qui n’est pas glorieux en termes de préparation mentale et les instances fédérales ont eu une très mauvaise expérience là-dessus et ne voulaient pas continuer dans cette voie-là. Ils ont tout fait pour démotiver ceux qui étaient intéressés par cet accompagnement. Très peu d’athlètes faisaient de la préparation mentale de mon temps et le peu qui en faisaient essayaient de le faire en catimini. Aujourd’hui, les choses ont bien évolué, il y a de plus en plus de personnes qui font de la préparation mentale, et ils le disent haut et fort. »
Richard Maunier a évoqué le cas de Christine Arron (détentrice du record d’Europe du 100 m en 10″73 depuis 1998) comme une expérience douloureuse avec la préparation mentale. C’est à la suite de son unique titre de championne du monde du 4x100m en 2003 à Paris qu’elle fait appel à une « psycho-énergéticienne » afin de retrouver les podiums, finissant quatrième en individuel de ces mêmes championnats du monde. Elle met fin à sa collaboration avec cette préparatrice suite à son élimination en demi-finales des JO 2004 à Athènes, mais le mal est fait. La polémique prend de l’ampleur et la FFA se méfie désormais de ce genre de pratiques. Richard Maunier regrette l’amalgame qui a été fait à partir d’une mauvaise expérience : « Pour moi, c’étaient des gens qui ne savaient pas ce qu’était le sport de haut niveau, donc si on n’est pas formaté pour pouvoir maîtriser ces aspects, c’est très compliqué d’accompagner un sportif de ce calibre convenablement. »
« Malheureusement, je n’ai pas le choix d’évoquer ces sujets-là avec mes athlètes qui ne sont pas suivis parce que souvent, ils n’ont juste pas les moyens financiers pour être accompagnés, poursuit Richard Maunier. Bien évidemment que dans des tentatives d’apporter des leviers pour mes athlètes, pour pouvoir se surpasser, j’ai fait des erreurs, parce que même si je me base sur mon expérience pour pouvoir aider mes athlètes, je ne suis pas formé pour ça. De toute façon, je crois que même quand on est formé pour ça, on fait des erreurs. Je pense que dans la vie, il ne faut pas avoir peur de se tromper, parce que même si c’est vrai que ça peut être dramatique ou très impactant, j’ai coutume à dire qu’il n’y a que ceux qui ne font rien, qui ne font pas d’erreurs. »
« Si un athlète hésite à consulter, c’est qu’il y a déjà un besoin »
La préparation mentale accompagne l’athlète dans de nombreuses problématiques du haut niveau : « On travaille la gestion de stress des grands rendez-vous, la gestion de course, l’accompagnement de la blessure, les périodes de doute dans la saison et l’organisation du calendrier de la saison », explique Elyse Lopez. Entraîneur depuis deux ans au Vincennes Athletic, Richard Maunier a constaté différentes sources de motivation de ses athlètes pour consulter : « La plupart du temps, c’est pour apprendre à canaliser son stress. J’ai observé beaucoup d’athlètes très performants à l’entraînement être inhibés en compétition et ne pas arriver à faire une performance à la hauteur de ce qu’ils devraient faire. Il y a aussi des cas qui voient les bénéfices de la préparation mentale et qui se lancent sans savoir exactement comment la préparation mentale pourrait les aider ». Tous deux ont affirmé ne pas avoir connu d’athlète pour qui la préparation mentale n’a pas été concluante, même si certains ont besoin de plus de temps.
« J’ai une jeune athlète de 19 ans qui au début avait un peu de mal à visualiser donc on a essayé une autre méthode. Maintenant, c’est bon, elle ressent les émotions et elle sent tout ce qu’il se passe dans son corps », relate Elyse Lopez. Il est d’ailleurs assez simple d’identifier la nécessité d’être accompagné mentalement : « Si un athlète hésite à consulter, c’est qu’il y a déjà un besoin ».
L’entraîneur du Vincennes Athletic est lui encore plus catégorique : « Pour moi, la préparation mentale fait partie intégrante de la performance, certains athlètes se débrouillent très bien sans, mais je suis intimement convaincu qu’à tous les niveaux, même si on est persuadé qu’on n’a pas besoin de préparation mentale, le préparateur pourra toujours vous apporter un petit quelque chose qui fera peut-être la différence ». Il poursuit sur l’intérêt d’une approche davantage psychologique : « Si le préparateur mental a une capacité de psy, je pense qu’il serait plus complet pour préparer les athlètes de très haut niveau. Quand on a la double casquette, on peut plus cibler quels sont les besoins et les attentes de l’athlète et je pense que ça peut être complémentaire. »
Ludvy Vaillant a fait appel à Elyse Lopez pour optimiser ses performances et améliorer l’accomplissement personnel. « En 2022, il y avait les Jeux Méditerranéens, les Championnats de France, les Championnats d’Europe et mon coach avait constaté que sur la gestion des grands événements, j’avais besoin d’une prépa mentale. J’avais plein de blocages qu’en 3 ou 4 séances, on avait réussi à débloquer. On a énormément travaillé sur la notion de lâcher prise et on fait de la visualisation pour mieux aborder des compétitions internationales, de l’entrée en chambre d’appel à la dernière ligne droite. Au début, j’étais le genre de personne à regarder à gauche à droite et j’ai appris à rester un peu plus focus. »
« Le préparateur mental a besoin des coachs. Et le coach a besoin des préparateurs mentaux »
L’ancien coureur de 400 m insiste sur la dépendance entre son métier actuel et celui d‘Elyse Lopez : « Le préparateur mental a besoin des coachs. Et le coach a besoin des préparateurs mentaux ». Elyse Lopez est en effet contact avec tous les coachs des athlètes qu’elle accompagne. « Le fait d’avoir un lien avec le coach ça permet d’avoir un deuxième regard sur ce qu’il faut travailler et par exemple quand un coach va me dire qu’il faut faire un travail de pied, dans la visualisation, je vais mettre l’accent sur le pied. Les athlètes que j’accompagne ont un haut potentiel pour performer et ils ont juste besoin de quelques clés et de sentir qu’ils sont accompagnés. Je leur dis : c’est vous le chef d’orchestre et vous avez tous vos musiciens à accorder pour aller dans le même sens et jouer la même symphonie. »
Cette relation particulière concerne aussi les échanges avec l’athlète : « Ce qui est bien avec Elyse, c’est qu’on n’a pas un rapport professionnel-athlète, on arrive à lui parler comme à une véritable amie et cette forme de proximité a un côté rassurant », se réjouit Ludvy Vaillant. L’athlète martiniquais met d’ailleurs un point d’honneur à s’entourer de personnes de confiance. Il en est d’ailleurs à sa treizième année avec son entraîneur Jean-Claude Berquier, et son préparateur physique, son kiné, et son massothérapeute sont tous des connaissances ou amis de longue date. « Pour moi être bien entouré; ça va bien au-delà des professionnels qui aident à la performance. Je trouve que le fait de collaborer avec des personnes qui me connaissent bien et de ne pas avoir cette dimension stricte est quelque chose d’essentiel. Sans compter les amis et la famille qui me soutiennent au quotidien. »
« Le sport de haut niveau m’a appris la notion de résilience »
Être athlète de haut niveau, c’est s’exposer à des risques pour sa santé mentale : « Les sportifs s’exposent aux troubles de l’anxiété, la dépression, les troubles alimentaires aussi, tout ça, c’est des choses qui ne sont pas très positives. Je pense que l’aspect compétition peut parfois exacerber l’athlète, ou simplement les exigences du sport de haut niveau. N’est pas sportif de haut niveau qui veut », affirme Richard Maunier. Ludvy Vaillant, qui participera à ses troisièmes Jeux olympiques en août, ne retire que du positif de sa carrière : « Je trouve que le sport de haut niveau m’a fait énormément grandir sur pas mal de choses. Là où des personnes lambdas y verraient une difficulté et abandonneraient, le sport de haut niveau m’a appris la notion de résilience. »
JO de Paris 2024, entre pression et excitation
Les Jeux olympiques de Paris 2024 approchent à grands pas, et cet événement n’impacte pas tous les athlètes de la même manière : « Ils sont excités, ils ont hâte, mais ils ont la même faim que pour les autres JO », remarque Elyse Lopez. Richard Maunier nuance légèrement cette impression : « J’ai la sensation que les athlètes sont plus motivés que pour les autres JO. Mais c’est vrai que cette motivation met une certaine pression et cette pression va générer certainement un peu de stress. Les qualifications ont commencé pour les JO depuis l’année dernière. Maintenant, la grande majorité de l’équipe de France va être qualifiée lors des Championnats de France Elite à Angers du 28 au 30 juin. Donc, c’est sûr que plus on va approcher cette période-là, plus les gens vont prendre conscience de l’importance et des enjeux liés à cela. C’est là où ils seront dans une zone sensible physiquement et mentalement. Donc, en gros, soit ça passe, soit ça casse. »
Aux JO 2016, 15% des athlètes français bénéficiaient d’une préparation mentale. Un taux qui est aujourd’hui deux fois plus élevé avec notamment 300 athlètes de l’Insep suivis par le pôle performance et le pôle médical qui emploient chacun des psychologues et des préparateurs mentaux au service des sportifs.
Texte : Haron Leveau
Crédit photo : Elyse Lopez