Interview exclusive de Caster Semenya : « Je pense que je manque au 800 m »

01 juillet 2023 à 19:55

Invitée par son équipementier Nike dans le cadre de la première édition des 10 km « We Run Paris » ce dimanche, Caster Semenya a accepté de se confier à Stadion. Hyperandrogénie, son avenir dans l’athlétisme en tant qu’entraîneure, sa fondation qui œuvre en faveur des enfants sud-africains défavorisés : il y avait de nombreux sujets à aborder avec la double championne olympique du 800 m.

Si dans un an aux Jeux olympiques de Paris, elle espère avoir le droit à l’enceinte magistrale du Stade de France, Caster Semenya était attendue dans l’Auditorium du Parc des Princes, où se déroulent habituellement les conférences de presse du PSG. Cette fois, pas de Kylian Mbappé, Lionel Messi ou Neymar sur l’estrade mais bien la triple championne du monde du 800 m qui s’est présentée devant notre journaliste à 16h30. L’athlète sud-africaine est actuellement dans la capitale pour des opérations commerciales avec son équipementier mais aussi pour disputer les 10 km organisés par le PSG ce dimanche. Les Parisiens se souviendront qu’un soir de juin 2018 au stade Charléty, elle avait bouclé les deux tours de piste en 1’54″25, quatrième chrono de l’histoire. Discrète dans les médias, la fondeuse de 32 ans n’accorde que très peu d’interviews, privilégiant l’échange quotidien avec ses 418 000 abonnés sur Twitter.

Devenue symbole des athlètes « hyperandrogènes », Caster Semenya a mené un long bras de fer, médiatisé, devant les tribunaux contre World Athletics depuis 2009, année de son premier sacre planétaire à Berlin. Il faut imaginer la violence que peut représenter pour une jeune fille de 18 ans la mise à plat, et au grand jour, de son anatomie, avec en titre cette question : « Est-elle une femme ? ». Depuis 2019, elle n’est plus autorisée à participer aux compétitions internationales allant du 400 m au mile (1609 m) sans prendre de traitement permettant de faire baisser son taux de testostérone sous 5 nmol/L de sang pendant une période continue d’au moins six mois. Une condition qu’elle n’accepte pas. Selon World Athletics, ce taux trop élevé offre aux athlètes concernées un avantage injuste dans la catégorie féminine. Semenya, qui conteste cette règle qu’elle juge discriminatoire, a perdu ses recours en justice et a dû renoncer à sa distance fétiche. Même si l’athlétisme le lui a fait payer cher, il lui a tout donné.

Afin de participer aux Jeux olympiques de Tokyo en 2021, Caster Semenya avait notamment tenté d’obtenir sa qualification sur 200 m et 5000 m, en vain. Qualifiée in extremis pour les Mondiaux de Eugene en 2022, elle avait terminé treizième de de sa série du 5000 m en 15’46″12, insuffisant pour rentrer en finale. Aujourd’hui, elle se concentre sur son avenir aux côtés de sa compagne Violet Raseboya, qu’elle a épousée lors d’un mariage traditionnel en 2015. Sportivement, elle n’a pas pris sa retraite et ne veut pas s’éloigner trop des pistes en coachant une nouvelle génération d’athlètes prometteurs. 

— Quelles sont vos conditions d’entraînement actuellement ?

Mes conditions d’entraînement sont magnifiques à Pretoria. Évidemment, en tant qu’athlète, vous voulez garder votre corps en forme. Cela ne veut pas dire que je ne participe plus à des compétitions. Je continue à changer mes routines d’entraînement. Il ne faut pas oublier que je suis aussi coach à côté.

 

— Le 800 m vous manque-t-il ?

Je pense que je manque au 800 m mais le 800 m ne me manque pas du tout. Pourquoi je dis ça ? Parce que j’ai fait tout ce qu’il y a de mieux sur le 800 m en remportant plusieurs titres olympiques et mondiaux.

 

— Quels sont vos prochains défis en athlétisme ?

Mes prochains défis dans le domaine de l’athlétisme, en ce qui me concerne, seront dans le coaching afin de partager mon expertise et mes connaissances à la jeune génération. La partie la plus difficile sera de coacher un athlète pour qu’il soit meilleur que moi. J’ai fait beaucoup de sacrifices et je me suis entraînée dur. Je sais ce qu’il faut faire pour être au sommet. La question est donc : La prochaine génération travaillera-t-elle aussi dur que moi ? Cependant, je ne peux pas faire d’eux des « moi » mais je peux les amener vers une meilleure version d’eux-mêmes. Voilà le projet sur lequel je travaille actuellement. J’ai travaillé comme entraîneure adjointe de demi-fond à la TuksAthletics Academy de l’Université de Pretoria.

— Sur quelles distances allez-vous vous concentrer ces prochaines années ?

Pour l’instant, nous dirons aucune à cause du règlement. Il couvre toutes les distances. Mais cela ne m’empêche pas de faire ce que j’aime en ce moment. Ce que je fais, je le réinvestis dans la communauté. Je les entraîne, je m’entraîne avec eux. Je leur donne le pire entraînement de leur vie ! Vous comprenez ? C’est ce que j’ai envie. Mais pour ce qui est de la compétition, vous me verrez toujours parce que je suis entraîneure. Que je cours ou non, je serai toujours là pour que l’objectif soit atteint. Le plus important, c’est que je sois là, que je sois une source d’inspiration. Il ne s’agit pas pour moi de courir. J’ai remporté tous les grands titres. Je n’ai pas besoin de courir. Mais pour moi, si j’ai l’occasion de courir à nouveau, je réfléchirai à deux fois avant de décider la distance sur laquelle m’aligner.

 

— Vous êtes un modèle pour beaucoup de jeunes athlètes en Afrique du Sud. Quel est votre message pour eux aujourd’hui ?

J’ai lancé une fondation pour permettre aux enfants sud-africains les plus défavorisés d’avoir accès à des équipements sportifs. Je souhaite enseigner aux jeunes filles d’être comme elles sont. La nouvelle génération devra apporter du changement. Il est ridicule de prendre des traitements et de risquer sa vie contre un avantage naturel. Il faut arrêter de mettre les gens dans les boîtes. Il faut travailler dur plutôt que de se concentrer sur les autres.

Propos recueillis par Alessia Colizzi
Crédits photos : Solène Decosta & Antoine Decottignies 

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