Au lendemain de son titre de championne du monde en salle sur 60 m haies, Cyréna Samba-Mayela a livré ses premières impressions, en direct de Belgrade, lors d’une conférence de presse virtuelle. La nouvelle recordwoman de France de la discipline en 7″78 ne réalise toujours pas l’exploit qu’elle vient d’accomplir, et compte bien en profiter encore quelques temps avant de se tourner vers les échéances estivales, pour lesquelles elle nourrit également de grandes ambitions.
— Cyréna, êtes-vous redescendue de votre nuage ?
Pas encore complètement honnêtement. J’ai l’impression qu’on va me réveiller là et me dire « Bon Cyréna allez, tu vas taffer, crois pas que c’est vraiment arrivé » mais non, c’est incroyable.
— Pouvez-vous nous raconter comment vous êtes montée en puissance tout au long de la journée pour arriver à ce titre ?
Alors. Ça a commencé par le réveil à six heures du matin, donc vraiment très très tôt. Je pensais que ça allait être plus difficile que ça, mais au final avec l’adrénaline et juste la joie d’être là et de pouvoir m’exprimer ce jour là… Au final, j’étais remplie de joie. Je me suis très vite réveillée etc, j’ai apprécié dès les séries. Malgré les grosses cernes, ça s’est bien passé.
— On vous a vu exulter de joie et être très émue à la fin de la course. Qu’avez-vous ressenti à ce moment là ?
Franchement, c’était une explosion de plein d’émotions en même temps. Beaucoup de frustration qui est retombée, plein de choses en même temps. Je ne saurais pas vraiment vous décrire, parce que c’est tellement incroyable que c’est indescriptible. C’était incroyable.
— Comment s’est passée votre soirée, et comment êtes-vous parvenue à vous endormir après être devenue championne du monde ?
Là, je n’ai pas trop dormi, je ne vais pas vous mentir. J’avais besoin de profiter avec mes proches, que ce soit avec mes proches et surtout mon groupe d’entraînement, la partie de mon groupe qui est ici avec mon coach et tout. J’ai veillé très tard, je n’ai pas vraiment beaucoup dormi et même la nuit a été très dure. Je peux vous dire que je suis dans un rêve. Je ne réalise pas encore, mais j’espère que ça va motiver plein d’autres personnes à travailler encore plus fort pour atteindre leurs rêves, et surtout pour 2024.
— Ce titre a-t-il effacé la déception de Tokyo, et vous étiez-vous déjà projetée sur ces mondiaux après votre forfait aux Jeux olympiques de Tokyo (douleur à l’ischio-jambier survenue à l’échauffement) ?
Oui, carrément. Carrément parce que le travail a payé, et c’est incroyable. Pour Tokyo, je venais surtout pour prendre de l’expérience etc, démystifier les JO et tout. Là, j’ai carrément gagné la médaille d’or en fait. Donc franchement, oui. Et de toute manière, je suis une personne qui regarde toujours vers l’avant, donc même si ça m’a fait beaucoup de mal pendant un moment, j’ai réussi à m’en servir pour bosser pendant toute la saison en me disant « voilà, je ne veux plus que ça arrive » et voilà où ça m’a amené.
— Que représentent pour vous ce titre de championne du monde et ce record de France ?
Ça représente énormément de choses. Je suis contente de pouvoir motiver des gens, je pense, à travers ça. Me dire que j’ai fait ce titre là, c’est pouvoir sûrement être un exemple, une motivation pour les autres. Et c’est incroyable pour moi. C’est incroyable. Et puis, c’est réaliser aussi mes rêves d’enfance, parce que quand j’ai commencé l’athlé, c’est en voyant les champions et les records que je me disais « moi aussi, je veux faire pareil ».
— Vous disiez vous êtes servie de vos déceptions pour avancer. Avez-vous l’impression que cette victoire va aussi vous servir pour avancer, car maintenant vous savez ce qu’il faut faire pour gagner…
Oui, carrément. Franchement, j’ai vraiment l’impression d’avoir passé un cap et c’est sûr que je compte me servir de cette expérience, de la gestion de ce championnat pour la suite.
— À la mi-course, vous êtes à la bagarre pour la médaille d’or avec la Bahaméenne Devynne Charlton (2e en 7″81). Que vous dîtes vous à ce moment là ?
Honnêtement, j’aimerai bien pouvoir vous répondre, mais je ne vais pas vous mentir, je n’ai aucune idée de comment la course s’est déroulée. J’ai carrément black-out. Là, c’était clairement l’instinct. Tout le travail qui s’est fait cet hiver est sorti tout seul. Donc niveau conscience, on va dire que je n’étais pas forcément là. Beaucoup de lucidité, certes, mais je n’étais pas dans le contrôle. C’était plus l’expression de moi-même. Mais par contre, à la fin, je m’en rends compte en traversant la ligne. Je suis plus consciente à ce moment là.
— Il y a un peu, vous disiez que votre saison 2022 serait réussie si vous faisiez une finale mondiale, que vous battiez votre record personnel, voire le record de France. Maintenant que c’est fait, vous projetez-vous d’ores et déjà sur cet été ?
Franchement, non. Pas encore. Je savoure déjà le moment présent avec cette médaille, je ne vais pas vous mentir. Mais quand le temps sera venu, quand on va reprendre l’entraînement, on parlera, on discutera avec tout mon staff de comment on voit la saison estivale. Mais soyez sûrs que je serai là. Je serai là, et je suis optimiste, comme toujours.
— À seulement 21 ans, pensez-vous que ce titre soit une étape dans votre progression ? Arrive-t-il un peu plus tôt que ce que vous pensiez ?
Non. Ça n’arrive pas plut tôt que ce que je pensais, parce que je vise toujours haut en fait. Donc non, mais oui clairement ça m’a fait passer un cap. Comme je disais tout à l’heure, la gestion que j’ai pu avoir pour ce championnat là, je compte la réutiliser. Ce sont plein de nouvelles infos qui me sont données et des choses que j’ai envie de cultiver pour la suite.
— De l’extérieur, on a l’impression que vous avez fait une course parfaite. Mais justement, vous êtes encore jeune, pensez-vous qu’il y ait encore des petites choses techniques à améliorer pour battre à nouveau ce record ?
On n’en a pas encore discuté avec mon coach. Pour l’instant, on profite. Mais on va faire le point pour pouvoir voir tout ça. Vous parliez de gestion de course.
— Vos temps n’ont cessé de baisser des séries jusqu’à la finale (7″91 en séries, 7″85 en demi-finales et 7″78 en finale). C’était prévu ?
Pas spécialement, parce que l’objectif ce n’est pas forcément le temps en championnat, c’est juste de gagner. Et là, c’était plus le fait de s’imposer, tout simplement. Réussir la course, hop passé. C’est juste l’expression de moi-même qui en est sortie en fait.
— Quelle va être la suite pour vous maintenant ? Qu’allez vous faire en rentrant en France ?
Oui, du coup là un peu de repos. De la récupération, parce que la saison estivale va arriver vite. Donc l’entraînement va revenir vite également. Profiter de tous mes proches avant de pouvoir repartir.
— Comment appréhendez-vous votre retour en école d’architecture ? L’écart avec Belgrade ne va-t-il pas être trop grand ?
Ça ne me dérange pas. En soit, ça m’a toujours permis de garder les pieds sur terre d’avoir ce statut d’étudiante à côté. Et même, je pense que c’est quelque chose… Beaucoup d’athlètes seront d’accord avec moi sur ce point-là, c’est important en fait. Je pense que c’est important d’avoir ça à côté, se changer les idées etc. Tout simplement garder les pieds sur terre. Ce retour là, ça va me faire du bien, ça ne me dérange absolument pas.
Il passe rarement autant de bonheur en trois mots pour Cyréna Samba-Mayela : Championne du monde.
Propos recueillis par Emeline Pichon
Crédits photos : Matthieu Tourault / STADION