Interview de Xavier Thévenard : « La longue distance c’est une introspection, mais c’est aussi quelque chose qu’on a en soi toute sa vie »

29 avril 2022 à 10:27

Après Sylvaine Cussot, nous sommes partis à la rencontre d’une autre légende de l’ultra-trail : Xavier Thévenard. Passionné par sa discipline, le triple vainqueur de l’UTMB (2013, 2015 et 2018) s’est replongé dans les souvenirs d’une enfance déjà bercée par le sport. Un chemin prédestiné pourtant semé d’embûches, puisque depuis un an et demi l’ultra-traileur de 34 ans se bat contre la maladie de Lyme. Engagé sur tous les fronts, le « Petit Prince du Mont-Blanc » mène également un combat pour une pratique sportive plus responsable. Entretien !

— Xavier, comment avez-vous découvert cette discipline de l’ultra-trail, à une époque où elle était encore méconnue du grand public ?

Déjà, depuis gamin, j’ai toujours fait du trail. Avant, ça ne s’appelait pas du trail, mais on courrait toujours en nature. Je faisais du ski de fond à la base, et l’entraînement du skieur de fond, l’été c’est quand même beaucoup axé sur de la course à pied en nature, parce que c’est un effort qui est très proche de l’effort du ski de fond et dans un même environnement. Donc tout skieur de fond qu’on est, étant gamin en club, on a toujours pratiqué la course à pied en nature depuis notre plus tendre enfance, parce que c’est très similaire, il y a vraiment beaucoup de similitudes. Et puis en fait, du trail j’en fais depuis l’âge de 5 ans, 7 ans, je ne sais pas… C’est quand même quelque chose que je pratique depuis mes débuts. Après, ma première compétition, ça a été en 2009 ou 2008, par là. En fait, je me suis inscrit à une course de trail parce qu’il y avait, à l’époque, une course de ski de fond, qui se fait toujours maintenant, qui s’appelle la Transjurassienne, qui est une grosse course à l’échelle nationale. Ils faisaient un trail l’été, au mois de juin, et puis on pouvait jouer le classement des deux, et ça s’appelait le challenge Transju. Donc j’ai fait la Transjurassienne l’hiver, je m’étais bien placé, j’adorais courir donc je me suis dit “allez, je vais jouer le classement Transju” en faisant la Transju trail. C’était un 70 kilomètres, donc c’était mon premier trail. Ça avait bien marché aussi, donc j’ai remporté le challenge Transju, et puis après cette première expérience en trail, il y a quelques années maintenant, je me suis lancé là-dessus.

— Comment peut-on se tourner vers un sport aussi extrême quand on est encore qu’un jeune adulte, comme vous l’étiez ?

En fait, pour retourner un petit peu dans le passé, avant ces épreuves-là, j’étais en section sport-études au lycée professionnel Toussaint Louverture à Pontarlier, et là j’avais des horaires aménagés. Je pratiquais donc le ski de fond et le biathlon pour m’entraîner avec mes coéquipiers. Je faisais les coupes de France, les courses nationales, je suis même allé en Coupe d’Europe en biathlon à l’époque quand j’étais pré-adolescent. Et puis l’effort en biathlon, en ski de fond, c’est assez violent, ce sont des efforts courts de trente, quarante minutes maxi. Ça me convenait moyennement, on va dire que j’avais des fois des bons résultats, des fois, ce n’était pas bon, c’était très irrégulier dans une saison, donc je n’ai jamais percé. Mais j’ai toujours été attiré par l’effort longue distance et d’endurance, et souvent quand on était en stage avec les copains, j’y retournais, pas pour dire que j’étais plus fort, ce n’était pas du tout ça, mais parce que j’aimais cette notion de liberté, d’aventure et d’y aller plus longtemps, même sur un rythme un peu plus cool, mais plus longtemps. Et souvent, la période de vacances scolaires à la maison, je passais mes étés à m’entraîner, et puis quand il y avait les périodes de stage, c’étaient mes semaines de récupération, parce que quand j’étais tout seul à la maison, je partais des heures et des heures courir. Et je pense qu’aujourd’hui, avec toutes les technologies, les montres, les machins, on arrive à savoir le nombre de kilomètres, mais à l’époque, il n’y avait pas tout ça, donc on prenait sur une carte et on regardait. Mais je suis sûr que quand j’avais 14/15 ans, déjà je faisais des sorties de 40/50 kilomètres. Donc pour rapporter ça à l’échelle d’aujourd’hui adulte, c’était à l’époque comme si je faisais de l’ultra. Je faisais ça parce que j’aimais le dépassement de soi, mais j’aimais aussi découvrir des endroits. Et ça, c’était vraiment la première des motivations, c’était partir de la maison. J’habitais aux Plans d’Hotonnes, donc c’est un petit village, même pas, c’est un hameau où il y a quatre maisons qui se courent après, au fin fond du Jura. Le but c’était de prendre une carte IGN et d’aller voir le relief comment il était fait, en regardant les courbes de niveau de la carte, en se disant “là ça peut être joli, là ça peut être chouette”. Et puis je partais. Souvent, j’étais accompagné de mon plus jeune frère, parce qu’il aimait bien ça aussi, partir à la découverte, c’était son truc. Et puis voilà, on a été bercé là-dedans depuis notre tendre enfance, avec mes frangins et ma frangine. À être isolé un peu, mais aussi finalement très proche de la nature et des sports. Donc on a un peu créé notre endurance pendant cette période-là. Et du coup, c’est certainement ce qui fait que ça m’a bien aidé dans ma discipline de l’ultra trail, parce qu’en fait c’est ça, c’est de l’endurance et c’est aimer s’évader, se dépasser, trouver un peu ses limites. Je pense que cette période d’enfance et de préadolescence, ça a fait beaucoup pour les résultats qui ont suivi derrière.

— Vous avez été touché par la maladie de Lyme qui vous a joué des tours dans votre pratique sportive, notamment sur l’UTMB en 2021. Comment allez-vous aujourd’hui ?

Ça va mieux. Après, je touche du bois et j’espère que ça va aller en s’arrangeant. Je reste prudent parce que j’ai déjà eu deux ou trois claques depuis que j’ai été atteint de la maladie de Lyme. J’ai trouvé quelqu’un de compétent, un médecin qui prend en compte la chronicité de la maladie de Lyme, qui est un infectiologue qui connaît son sujet. J’ai eu affaire à une errance médicale à un moment donné parce qu’il n’y a pas beaucoup de médecins qui sont compétents et qui connaissent bien le domaine. C’est assez complexe, et plus on laisse traîner, plus les symptômes s’aggravent, et moins on a de chances de s’en sortir. Moi, j’ai eu la chance justement d’avoir dévoilé un peu le truc sur les réseaux et puis derrière, ça m’a ouvert pas mal de portes grâce à ma petite notoriété dans le milieu du trail, et ça, c’est vraiment une chance. Du coup, aujourd’hui je suis encore, on va dire en phase de rémission. Après, il y a quand même de nettes améliorations. De là à dire que je peux participer à un ultra, c’est encore un peu précoce. Mais je ne désespère pas. C’est vraiment ça qui me fait kiffer, c’est mon truc, ma motivation profonde c’est de faire un ultra ! Donc je mettrais tout ce qu’il faut mettre en place pour sortir la tête de l’eau et pour que ça revienne le plus vite possible. Mais bon, là aujourd’hui je peux déjà m’entraîner, faire des sorties, alors plus ou moins longues, il ne faut pas non plus que je déconne pour ne pas qu’il y ait de rechutes derrière, et repartir sur un traitement antibio etc. Donc je suis prudent, mais j’arrive déjà à faire des sorties. Pour le commun des mortels, ça va paraître incroyable, mais moi ça ne me suffit pas. Ce n’est pas que ça ne me suffit pas, mais ce n’est pas l’exigence que je demande à mon corps… Pour la pratique de l’ultra-trail, ce n’est pas faire deux/trois heures de sortie quotidiennes, c’est plutôt cinq/six heures par jour. Ce n’est pas la même chose. Mais bon, c’est déjà ça, quand il y a le plaisir et qu’il y a la base… Et puis, pouvoir aller dehors s’échapper… Allier l’effort physique et la contemplation des paysages, c’est déjà une bonne chose. Après, la performance et les courses, c’en est une autre. On va dire que c’est un peu la cerise sur le gâteau, il y a déjà le gâteau, c’est déjà pas mal. Après, la cerise…

— À quoi ressemble votre programme d’entraînement au quotidien ?

Là, aujourd’hui, j’ai aussi quelqu’un qui m’aide au niveau de la préparation qui s’appelle Benoît Nave, et c’est vrai qu’on est un peu… Voilà, moi je connais assez mon corps, donc je sais ce que je peux faire ou pas, mais après lui il est là, il me met un peu des garde-fous. Surtout qu’il est aussi micronutritionniste, il connaît très bien le corps humain dans son intégralité, donc on essaie de calibrer les choses pour faire en sorte que je ne replonge pas dans un processus de fatigue et que la maladie de Lyme me rejoue des tours. Donc en fait, chaque semaine on s’appelle, et en fonction de mon ressenti, de ce que je pense être capable, et de ses conseils à lui, les journées peuvent être très aléatoires d’une journée à une autre. Mais on va dire qu’aujourd’hui, ce ne sont pas des séances qui sont très intenses, ce ne sont pas des fractionnés, ce ne sont pas des choses très longues, ça va être de l’entraînement assez doux en endurance fondamentale, assez basique. Et en alternant aussi le vélo, la course à pied, le ski roue, le gainage… C’est très divers et varié. Dans l’intensité d’effort, c’est assez calme, mais par contre, dans la diversité des activités, c’est varié.

— Et quel est, en moyenne, votre volume d’entraînement en terme kilométrique ?

Ce n’est pas énorme. En kilomètres, je ne sais pas trop, en volume horaire, on va dire que c’est vingt heures, à peu près, par semaine. Alors qu’en temps normal, c’était plutôt entre vingt-cinq et trente heures, avec des intensités dedans, là il n’y a pas trop d’intensité donc ce n’est pas… Mais bon, comme je disais, je reste assez prudent et pour le moment je vais essayer de passer les paliers les uns après les autres.

« J’ai une alimentation qui est 100% bio aujourd’hui. »

— En temps normal, comment appréhendez-vous les compétitions ? Quels sentiments se mélangent la veille des courses ?

Quand je participe à une échéance, c’est comme tout être humain, quand j’ai un objectif et qu’on veut bien faire, quand on arrive sur la ligne de départ, il y a toujours un peu de doute, d’incertitude, de peur. Il faut apprendre à vivre avec ces émotions, mais de toute façon, quand on fait de l’ultra trail, ça fait partie intégrante des choses dont il faut avoir conscience. Ce n’est pas quelque chose d’anodin, on met un peu son corps… Pas en danger, parce qu’on ne va pas mourir, mais c’est sûr qu’on va le pousser loin. Tout cet apprentissage-là, on le fait à l’entraînement mais aussi en dehors des entraînements, un peu à se dire “bon bah là pendant une journée je vais courir, ça ne va pas être qu’une partie de plaisir tout du long”. Le but, c’est qu’il y ait un maximum de plaisir, mais forcément, quand on court vingt heures, il y a des moments où c’est quand même de la souffrance. Donc il faut bien en avoir conscience et se dire que pour gérer ses émotions, il faudra s’endurcir et il y a plein de petites astuces pendant la course quand ça va mal. Après, il faut aussi savoir pourquoi on fait ça, pourquoi on est sur cette ligne de départ. Si on sait pourquoi on fait ça et que ça vient des tripes, et que c’est vraiment une motivation profonde, tant mieux. J’ai encore du mal à comprendre les gens qui font ça plus pour faire voir aux copains qu’ils sont capables de le faire… Je pense qu’on en fait un ou deux, et après on arrête, parce que c’est tellement exigeant qu’il faut vraiment trouver des motivations profondes. Et après, moi je trouve que les ultras, finalement, la longue distance c’est une introspection, mais c’est aussi quelque chose qu’on a en soi toute sa vie. On a vécu un truc fort et ça nous marque, peu importe la place, peu importe le résultat. Le fait de boucler la boucle, de se surpasser physiquement et mentalement, après c’est quelque chose qu’on a en soi toute sa vie, et qu’on peut retrouver dans les souvenirs aussi. C’est vraiment quelque chose qui n’est pas palpable, c’est différent que d’avoir quelque chose de matériel par exemple, qui pourrait se casser, on pourrait nous le voler… Et puis même si on s’est donné corps et âme pour avoir cet objet, qu’on a passé du temps au boulot pour se le payer avec son salaire, et bah oui, c’est une sorte de satisfaction, mais derrière si on nous le vole, ça nous appartient plus. Tandis que quelque chose de concret comme ça, physique et mental, ça, c’est sûr qu’on l’emportera avec nous ! Et ce sont des histoires qui sont pour nous, ce n’est pas trop descriptible, mais c’est pour ça que j’aime l’ultra en fait. C’est un peu décalé aussi.

— Lors d’un Ultra, quel est le côté le plus dur à gérer entre le mental et le physique ?

On va dire que le mental, s’il est là, le physique on peut l’emmener très loin. Je préfère quand le physique va moins bien que le mental, parce que si on a la banane, et que tout roule dans la tête, franchement, qu’on ait mal aux jambes, ou aux genoux, ou aux pieds, finalement, ce n’est pas très grave. Mais par contre, quand c’est l’inverse, quand on voit un peu tout noir et que ce n’est pas la joie, on trouve vite des petits trucs qui ne vont pas. On s’imagine la suite, si on a reconnu le parcours on se dit “oh punaise, il y encore ça à faire, ça à faire…” Ça peut-être très dur ! Donc c’est pour ça qu’on se dit souvent “c’est ici et maintenant, puis après on voit”. Il faut vraiment réussir à se le dire… Et puis des fois, les heures deviennent des minutes, et des fois les minutes deviennent des heures. Tout dépend comment on se trouve mentalement. Mais c’est sûr qu’un des points forts dans l’ultra, ce n’est pas que le physique… C’est vraiment aussi une part de mental. À un moment donné, on a l’impression que physiquement, on est tous au bout, et ce qui va faire la différence c’est le mental je pense.

— Comment gérez-vous les à-côtés des courses, comme par exemple la nutrition pendant l’effort ?

Oui, la nutrition, surtout sur l’ultra-trail, ça fait partie de la réussite, la gestion de l’alimentation, la gestion de l’allure. Mais même au quotidien je dirais. Parce que si on veut avoir de la vitalité, si on veut avoir une bonne récupération, un entraînement qui s’enchaîne sans blessure etc, forcément l’alimentation est importante. Chacun est un peu différent par rapport à ça, après moi j’ai une alimentation qui est 100% bio aujourd’hui. Pour toutes les raisons au niveau de l’apport des nutriments, des vitamines qui sont quand même là, sans pesticides… J’essaie de faire un maximum de légumes de mon jardin, et puis après je consomme dans des magasins bio, comme ça c’est plus sûr. La base de la pyramide de mon alimentation ce sont les végétaux, et puis ensuite il y a une partie de protéines, des légumineuses aussi, des graisses de qualité, première pression à froid… C’est assez divers et varié. Je consomme maintenant depuis un peu plus de dix ans sans gluten et sans lactose, ce n’est pas par effet de mode, mais c’est vraiment pour des règlements au niveau intestinal. On sait que la protéine du gluten elle irrite les intestins, donc ça m’a vraiment soulagé d’arrêter, surtout que l’effort de la course à pied, avec les chocs qu’on a, dans les descentes surtout, ça met à mal son intestin. Donc ce sont pour ces raisons-là, et puis pour les laitages, depuis gamin ça me fait des allergies, j’ai eu des rhinites à répétition. Et puis je me sens bien mieux sans laitage et sans gluten, donc ça fait dix ans que je consomme sans, et ça me convient très bien. Il n’y a aucune restriction, aucune obligation, aucune contrainte, c’est vraiment un mode de vie qui me correspond et je trouve qu’au niveau de la vitalité, ça ne va pas mal. Et je pense qu’avec la maladie de Lyme en plus, j’ai bien fait de faire comme ça, parce que quand je vois les recommandations qui sont proposées pour aller mieux, c’est d’éviter les sucres ajoutés, éviter le gluten, éviter les laitages. Donc je me demande dans quel état je serais si j’avais ça en plus !

— Que se passe-t-il dans votre tête à chaque fois que vous finissez une course ?

La satisfaction d’avoir fini, déjà. Après, tout dépend dans quel contexte on est, ce qui s’est passé avant, après, le moment de partage qu’on a pu vivre sur le parcours avec ses proches… Bien sûr, il y a de la joie. J’ai rarement eu de la déception après avoir franchi une ligne d’arrivée sur un ultra. Parce que c’est tellement exigeant, même la place, dès fois je suis moins bien placé mais la place, on n’y prête pas trop attention au début. Peut-être un peu après, quand la douleur s’est estompée et qu’on dit “j’aurai peut-être pu faire ça ou ça mieux”, mais je n’ai jamais eu de regrets après avoir franchi une ligne d’arrivée. De regrets à chaud, tout de suite, comme ça, non. Après, à froid, on cherche un peu à trouver des choses à redire, mais je ressens surtout beaucoup de satisfaction et de joie. Puis je me dis “c’est bon, je vais pouvoir me mettre dans le canapé deux ou trois jours”.

« Je suis prêt mentalement pour y aller déjà à l’UTMB, physiquement on verra. »

— Quelle est votre plus belle victoire jusqu’à présent ?

C’est difficile à dire, il y a eu plein de moments forts… Après, je dirais que mes trois victoires sur l’UTMB, qui est la course que je préfère, elles sont très fortes. C’est dur de dire laquelle des trois… Peut-être 2018, parce que j’ai eu une mésaventure le mois d’avant sur une course aux États-Unis, à la Hardrock. C’était un peu une revanche, je gagne l’UTMB, et derrière, c’était une belle histoire. Je m’étais fait disqualifier sur la Hardorck alors que j’étais en tête, avec deux heures d’avance sur un Américain. Puis en fait, par inadvertance, au 80e kilomètre j’ai fait ce qu’ils appellent un « ravitaillement hors zone », ma compagne était là, je me suis arrêté pour discuter cinq minutes avec elle, puis j’ai pris la bouteille d’eau, par inadvertance, j’ai bu dans cette bouteille d’eau et c’était un ravitaillement hors zone, je n’aurais pas dû boire. Derrière, il y a quelqu’un qui m’a dénoncé, qui est allé le rapporter au directeur de course, et s’en est suivie une disqualification, mais pas tout de suite, au 145e kilomètre, donc il restait quinze kilomètres de course et j’étais en tête. Je venais de faire vingt-et-une heure de course, et là on me demande de sortir de la course, donc c’était un peu dur à digérer. Et le mois qui a suivi, du coup ça ne s’est pas trop mal passé, parce que je gagne l’UTMB. C’est marrant l’histoire, des fois on se dit qu’il y a une justice, j’étais au coude à coude avec un Américain, puis il a craqué, derrière j’en ai profité, j’ai pris ma flasque d’eau, je me l’a suis versée sur la tête pour leur dire « vous voyez, ce n’est pas une gorgée d’eau qui va faire la différence ». Pour ces choses-là, gagner un UTMB, puis la petite histoire avec les Américains, puis la revanche, c’était sympa. C’était très fort en émotions.

— Et vous retournerez à l’UTMB cette année ?

Oui, si tout va bien, je suis prêt mentalement pour y aller déjà à l’UTMB, physiquement on verra.

— Quelles seraient, justement, vos ambitions là-bas ?

Déjà, de faire la boucle. Si j’arrive, franchement à faire la boucle, ça voudra dire que mes soucis de santé seront passés, et c’est vraiment ce que j’espère. Après, la notion de place et de résultat, je ne l’envisage pas, mais déjà ça serait un immense bonheur de pouvoir faire la boucle. Ça voudrait déjà dire beaucoup de choses, c’est clair.

— Avez-vous d’autres objectifs pour cette année ?

Oui, j’aimerais bien faire un petit ultra avant l’UTMB. Je prévois de faire les 90 km du Mont-Blanc, fin juin à Chamonix. Et ça, c’est très proche, il y a quand même pas mal d’incertitudes mais ça me fait très envie et je vais tout faire pour être là-bas.

— Donc ça marquerait votre retour à la compétition ?

Certainement, oui.

« On Running développe des produits qui vont dans ce sens-là, durables, éco-responsables »

— Plus globalement, que pensez-vous de l’évolution de votre sport, dont l’engouement ne cesse de grandir année après année ?

Il y a du bien, et il y a du mal. On va dire que les points positifs, c’est ce que j’espère encore, c’est que les gens qui font des ultras et qui parcourent la montagne et la nature, qu’ils aient encore une petite sensibilité au milieu naturel et à sa fragilité. Je me dis que c’est bien parce que les gens, finalement, retournent un peu aux sources, à se contenter de se faire plaisir avec des choses qui sont relativement simples. Le trail, c’est quoi ? A la base, c’est une paire de basket, un short, un tee-shirt et puis on part courir dans la montagne. Donc ces besoins simples, finalement, ils sont les bienvenus, surtout dans cette société actuelle où on est un peu dans le moindre effort, toujours à la recherche du confort, du modernisme, avec tout le temps la dernière technologie. On voit bien que ça nous nuit, parce que ce système de consommation économique, basé sur la croissance, il a ses limites. Et c’est en train de détériorer notre milieu naturel, notre environnement. Donc je me dis que les gens qui pratiquent le trail, finalement c’est bien parce qu’ils retournent à des choses qui sont simples et essentielles, l’activité physique, la contemplation de la nature, etc. Après, l’effervescence amène d’autant plus de consommation, et si on veut s’équiper avec les dernières chaussures chaque année, acheter les dernières montres chaque année et voyager à l’autre bout du monde tous les jours pour aller faire un trail… C’est sûr que là, c’est un peu paradoxal et ce n’est pas forcément la chose à suivre. Aujourd’hui, on est assez alertés, avec les rapports du GIEC qui arrivent tout le temps, et on sait que ça ne va pas aller en s’arrangeant si on continue avec notre mode de vie et notre train actuel, donc il faudra forcément changer. Avoir un mode de vie un peu plus sain, moins délétère pour l’environnement, un peu des vies décarbonées quoi. Donc d’un côté, ça a ses vices et ses travers, et de l’autre on peut dire que c’est une bonne chose que les gens retournent un peu à la nature. Après, c’est un équilibre à trouver… Moi, ça fait un petit moment que j’ai décidé de ne plus prendre l’avion pour aller à l’autre bout du monde, parce que ça n’avait pas de sens. J’ai pris connaissance de pas mal de choses liées à l’environnement, je me suis informé sur le sujet et c’est vrai qu’on va quand même droit dans le mur, et en plus on appuie sur la pédale d’accélération. Il y a plein de choses qui ne me correspondaient pas parce que ce qui me fait plaisir, justement, c’est ce milieu naturel, c’est la contemplation des beaux paysages et d’être un peu en harmonie avec ce milieu-là dans l’effort physique. Et si je commence à détériorer cet environnement qui me procure du bonheur et du plaisir, ce n’est pas logique. Donc il fallait mettre du sens dans tout ça, et c’est pour cette raison que ça fait depuis 2019 que je ne prends plus l’avion. Puis depuis toujours j’ai eu une démarche un peu éco-responsable, mais je suis allé un peu plus loin, et j’essaie d’aller encore plus loin aujourd’hui dans mes projets. Mais je ne suis pas la bonne personne pour parler de ça, parce que de toute façon, je vis aussi forcément de la consommation, j’ai des partenaires qui m’aident, qui eux, veulent vendre des chaussures et des montres. Après, j’essaie d’avoir des partenaires qui soient en corrélation avec mes convictions, et qui accordent une importance à la transition écologique, aux produits éco-responsables etc. Ce n’est pas du greenwashing, les partenaires que j’ai, ils essaient vraiment de mettre des choses en place qui aillent dans le bon sens. J’espère que ça fera son bout de chemin et qu’on arrivera à inverser la tendance. Mais en tout cas, le trail c’est une belle passerelle pour sensibiliser les gens à cet environnement-là, c’est une bonne chose.

— Comment voyez-vous vos prochaines années dans le trail ?

C’est une bonne question ! Il y a beaucoup de jeunes qui poussent, donc forcément, je ne suis pas l’avenir du trail. Je pense que les résultats peuvent continuer parce que j’ai 34 ans, et aujourd’hui on a encore des très bons coureurs à 46/47 ans, sur l’ultra trail, donc je pense que je peux encore tirer mon épingle du jeu. Après, je ne pense pas que je serais encore performant à 50/60 ans, et puis peut-être que j’aurai envie de faire autre chose aussi. Mais le sport, le plein air et la course à pied feront partie intégrante de ma vie parce que c’est ce que j’aime, même s’il n’y a pas de compétition, j’irais quand même courir le matin pour voir le lever de soleil, parce que c’est ce qui me fait plaisir. J’ai aussi plusieurs cordes à mon arc, je suis éducateur sportif, je suis moniteur de ski de fond, j’ai une formation de menuisier-charpentier. Avec la petite notoriété que j’ai dans le milieu du trail et mes diplômes d’éducateur sportif, j’ai imaginé, pourquoi pas, faire des stages de trail. J’ai plein de petits trucs. Je suis animateur, depuis peu, de la fresque du climat. C’est une vulgarisation un petit peu du rapport du GIEC, qui est très explicite et qui a un rôle de sensibilisation un petit peu sur l’environnement et tous les enjeux d’aujourd’hui et de demain. C’est hyper parlant, et je pense qu’il faudrait réussir à transmettre ça à tous nos dirigeants politiques, nos élus, toutes les personnes qui vont dans les écoles… Parce que c’est hyper important de leur faire voir vers quoi on va. Donc il y a plein de choses à faire, ce ne sont pas les idées qui manquent. Avec ma compagne, on est sur d’autres projets aussi en ce moment, elle est architecte donc on essaie de faire des maisons écologiques. Notre habitation en ce moment aussi a eu pas mal de réflexion sur ça, sur les matériaux, le respect de l’environnement. Il y a plein de choses à faire encore. On a aussi créé un logement passif, pour en faire profiter aux autres par le billet de réservation, on ne sait pas encore sous quelle forme…

— Vous parliez des équipementiers. Vous avez signé un contrat avec la marque On Running depuis l’an dernier, c’est pour toutes les raisons que vous avez évoqué juste avant ?

Voilà, c’est pour ça. C’est parce qu’il y avait la proximité déjà, ils sont à Zurich, moi je suis à trois heures en voiture de Zurich, à trois jours en course à pied. Et puis On Running développe des produits qui vont dans ce sens-là, durables, éco-responsables, notamment la Cyclon, chaussure de course qui est 100% recyclable. Et puis vraiment, même sur les coloris des chaussures, ils essaient de mettre des coloris naturels. Souvent, les chaussures elles sont blanches parce qu’en fait le blanc, il n’y a pas besoin de colorant chimique, et on sait que ces colorants-là, ils polluent énormément la flotte. Donc c’est un peu le problème des colorants. Donc il y avait ces convictions, ils étaient très en phase aussi avec le fait que je ne prenne pas l’avion pour aller courir à l’autre bout du monde, ça, ça les a enchantés à fond. Et je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de partenaires aujourd’hui, je ne connais pas les autres, je ne peux pas dire, mais quand il y a un athlète qui dit “oh, je ne vais pas aller à l’autre bout du monde pour faire une course importante”, je pense que ça peut les froisser. Tandis qu’eux, ils s’en foutent et ils sont complètement en phase avec mes convictions, c’est pour ça qu’on est ensemble d’ailleurs. Donc ce sont pour ces raisons-là oui, principalement.

— Que vous apporte le soutien de cette marque au quotidien ?

La dotation produit et le financement aussi, c’est grâce à On que j’arrive à vivre, ça c’est clair. Là en ce moment, je suis un peu entre deux, parce que je suis en phase de rémission mais je ne peux pas trop courir en compétition, ce n’est pas trop conseillé pour le moment. Mais ça va arriver, alors du coup il y a d’autres facettes. On fait du développement produits, il y a aussi la communication sur les réseaux, il y a d’autres choses qu’on fait ensemble. On a fait un projet l’année dernière qui s’appelle « La croisée des chemins ». C’est un parcours thématique qu’on a créé sur le secteur du Mont d’Or, où j’habite actuellement, sur la station de Métabief. En fait il y a des bornes, c’est un parcours thématique et sur ces bornes-là, il y a un QR qu’on peut flasher pour tomber sur une vidéo, chaque borne à un thème précis sur l’environnement, l’écologie, la durabilité… Tout ce qu’on a comme lien avec On. C’est un peu philosophique, mais ça permet de faire prendre conscience aux gens qui veulent faire ce parcours qu’on n’est pas tout seul sur la Terre et que même si on a une zone de liberté incroyable quand on pratique le trail, on n’est pas les seuls.

— Quelles chaussures utilisez-vous à l’entraînement, et en compétition ? Et comment les choisissez-vous ?

J’ai plusieurs paires. À l’entraînement, j’utilise principalement la Cloudultra, et puis la Cloudventure Peak. La Peak elle est plus légère, elle est plus dynamique que la Cloudultra, qui elle est plus faite pour des sorties longues, pour l’ultra. Mais on va dire que sur des sorties longues, j’utilise la Cloudultra, sur des ultras j’utilise la Cloudultra, mais j’aime bien utiliser aussi la Peak en début de parcours. Parce qu’elle est un peu plus légère et que j’aime bien cet effet dynamique et tonique.

Suivez les aventures de Xavier Thévenard sur son compte Instagram @xavierthevenard !

Propos recueillis par Emeline Pichon / STADION
Crédits photos : Cédric Manoukian, Jordan Manoukian, Simon Dugué / On Running

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