Interview d’Élyse Lopez, préparatrice mentale pour athlètes de haut niveau

22 mars 2023 à 17:04

Élyse Lopez travaille comme préparatrice mentale, et accompagne notamment Dimitri Bascou, médaillé de bronze des JO de Rio sur 110 m haies ainsi que Méba-Mickaël Zézé, l’homme le plus rapide de France sur 100 m en 2022. L’ancienne graphiste et photographe du Stade Français Paris Rugby s’est confiée sur le travail réalisé avec plusieurs athlètes de haut niveau, mais aussi sur le métier encore injustement méconnu de préparateur mental. Elle nous en dit plus sur les techniques qu’elle utilise avec les athlètes de haut niveau et qui peuvent nous aider dans notre vie quotidienne. Entretien.

 

— Élyse, pouvez-vous vous présenter auprès de nos lecteurs ?

Je m’appelle Elyse avec un « y », j’ai 32 ans. J’ai toujours été dans le sport depuis que je suis petite. J’ai fait beaucoup de métiers différents dans le sport : du design à la photographie et aujourd’hui, je suis préparatrice mentale.

 

— Quel a été votre parcours et cursus pour devenir préparatrice mentale ? Qu’est-ce qui vous a amené à la préparation mentale ?

Je pense qu’il y a des vocations dans la vie. La préparation mentale, il y a des qualités humaines à avoir : la bienveillance, l’écoute, l’entraide et donner sans forcément rien attendre en retour donc toujours avoir l’oreille attentive. Pendant le confinement, j’ai voulu transformer ce temps en quelque chose d’utile. Du coup, je me suis formée en préparation mentale pendant pratiquement un an. Très vite, des sportifs m’ont fait confiance.

 

— En quoi consiste exactement votre métier et que peut-elle apporter à un sportif de haut niveau ? Comment se passe une séance de travail avec les sportifs que vous coachez ?

La préparation mentale consiste à travailler sur le lâcher-prise, sur la concentration, sur le plan d’objectifs donc c’est aussi se recentrer sur soi. C’est apprendre à se connaître. Apprendre à connaître ses forces et ses faiblesses et prendre conscience des deux. Dans toute faiblesse, il y a des forces. C’est se reconstruire. Après, c’est surtout réussir à élever le mental et pouvoir être en pleine possession de ses moyens le jour J.

Les séances de travail sont toujours différentes car les problématiques le sont aussi. Chaque humain a ses problèmes. Généralement, le rendez-vous a lieu une fois par semaine. Le planning change. Parfois, cela sera méditation/visualisation, des fois, on fera plus de sophrologie, fréquence cardiaque, on travaillera sur la respiration. D’autres séances seront beaucoup plus factuelles et consistent en un échange. La première question que je pose avant de débuter chaque séance, c’est « Comment s’est passée ta semaine ? Quelles émotions as-tu ressenties cette semaine ? ». Que ce soit dans sa vie sportive, professionnelle, familiale ou sentimentale. C’est un lien entre toutes ces choses là pour pouvoir performer le mieux possible.

 

 

— Vous suivez notamment les athlètes Dimitri Bascou et Méba-Mickaël Zézé en préparation mentale…

J’accompagne plusieurs sportifs mais aussi des entrepreneurs, des comédiens, réalisateurs, producteurs de musique. En fait, toute personne désireuse de performer. Ce sont des passionnés. On a tellement envie de bien faire qu’on s’entoure pour pouvoir réussir. L’athlétisme reste mon sport de prédilection car je l’ai pratiqué pendant un certain temps. Je suis une passionnée de sport en général donc je m’adapte à tous les types de sport. Les leviers sont parfois différents. L’athlétisme est un sport de performance donc le premier qui franchit la ligne d’arrivée a gagné. On se concentre dessus. Il y a des sports de jugement où il faut lâcher-prise sur ce que le juge va donner comme notation. C’est donc d’autres leviers. C’est une individualisation. Tout le monde n’a pas besoin des mêmes choses.

 

— Où en sommes-nous aujourd’hui sur la préparation mentale en France ?

C’est en développement. Il y a une évolution d’année en année. Le sportif individuel commence vraiment à se tourner vers la préparation individuelle. Cela manque dans le sport collectif. Dans une équipe de foot, de rugby ou de handball, les sportifs sont persuadés qu’ils sont forts et qu’ils n’ont pas besoin d’aide. Le sportif individuel part du principe qu’il faut s’entourer au maximum pour rivaliser avec les meilleurs. Ce sont deux personnalités totalement différentes. Le foot, rugby, handball sont des sports où on a beaucoup plus de mal à faire appel à des services, en plus des services que le club ne propose pas. Dans le rugby, dire que l’on est suivi en préparation mentale, c’est comme avouer une faiblesse.

 

— Selon vous, à quel point le mental intervient-il dans la performance d’un sportif de haut niveau ? 

Pour moi, l’avenir du sport va se jouer dans la tête. Les records du monde qui tomberont dans les années à venir, cela sera des choses dans le cerveau qui auront été débloquées et des pensées limitantes qui auront été brisées. Par exemple, quand je suis avec Méba-Mickaël Zézé, on part toujours du principe que le record du monde du 100 m est atteignable et qu’il va être battu même si la science indique l’inverse. Les records dans tous les sports de performance tomberont grâce au mental. Le mental sert à tenir sur la durée, revenir après des blessures, se relever après des défaites. Il fera la différence et fait la différence. Je vois des progressions avec les personnes que j’accompagne dans l’état d’esprit, dans le dialogue, leur comportement avec les autres, comment ils se perçoivent. Juste ça, j’ai mis ma petite pierre à l’édifice dans ce changement et ce dernier va faire de grandes choses. C’est ça qui est beau.

 

 

—  Les athlètes accordent-ils beaucoup d’importance à votre présence pendant leur compétition ?

La plupart des préparateurs mentaux ne vont pas en compétition. Moi j’y vais car d’une, je suis photographe et de deux, pour moi c’est important d’être là le jour J. Même si des fois, on ne se voit qu’à l’échauffement, ils savent que je suis là. Ils savent que mes pensées vont être pour eux. C’est toujours un gage de confiance. C’est partager des bons moments. C’est pour cela que je n’ai pas énormément de sportifs, j’en ai que six car je donne tellement de mon cœur, de mon âme que je ne peux pas me diviser. C’est important d’être là. Aux championnats d’Europe en salle d’Istanbul, on s’est vu la veille, les après-midis, entre deux courses. Ils sont reconnaissants que je sois là aussi. C’est beaucoup de partage, on tisse des liens.

 

— L’imagerie mentale (ou visualisation) occupe une grande partie de la préparation d’un sportif. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette technique ?

J’ai beaucoup de visualisation qui se déroule sous forme de méditation. Je les emmène sur ce quoi je veux travailler. On s’axe beaucoup sur les émotions. Par exemple, je vais leur faire visualiser leur plus belle émotion de victoire. On va partir aussi sur les sensations. Mickaël, qui a couru en 9″99 sur 100 m en juillet dernier, pour reproduire des vitesses similaires, on part du principe de ressentir tout ce qu’il a ressenti dans son corps. La vision, comment il a vu la piste en courant à cette vitesse-là et sur l’émotion quand il voit le temps sur le panneau d’affichage, quand il sent qu’il a fait quelque chose d’exceptionnel, qu’est-ce qu’il ressent dans son corps à ce moment précis : est-ce son corps est chaud ? Est-ce qu’il a froid ? Est-ce qu’il a des larmes de joie ? Est-ce qu’il hurle de bonheur ? Est-ce qu’il hurle à genoux ? C’est tout un panel d’émotions. On s’attache à ces émotions car le cerveau ne fait pas la distinction entre la réalité et ce que l’on projette. Plus il va ressentir des émotions de bonheur, il va les ancrer dans son cerveau, plus elles vont revenir dans sa vie. C’est ce que les entrepreneurs appellent la loi de l’attraction. En visualisation, on reproduit un mouvement.

En ce moment, je travaille avec Ludvy Vaillant. On analyse le franchissement de haies. Il se voit le faire. On le regarde comme il se filmait. Après, on peut visualiser pour être prêt à toutes les éventualités : vent, pluie, grêle, soleil. Avec Dimitri Bascou, on peut faire le départ dans les starting-blocks. Il sent la propulsion dans les starts, il sent les premières foulées. C’est de la visualisation sur de la technique pure. Après, le vrai bonheur pour eux, c’est celui sur les victoires dans des grands stades et d’entendre la foule car c’est beaucoup plus concret pour eux.

 

 

Quels en sont les bénéfices ?

Toutes les émotions que tu veux vivre dans l’instant, tu les as déjà vécues dans ton esprit. Tu te libères de cette pression qu’est la victoire. Elle est déjà en toi. Tu sais déjà ce que ça fait de gagner, de courir à des grandes vitesses. Généralement, en visualisation on se voit courir encore plus vite. C’est exactement le processus qu’on a fait avec Mickaël pour les 9″99. C’est quelque chose qu’on a écrit en octobre 2021. On s’est vu et un des objectifs sur la liste était de courir début juillet en 9″99 sur 100 m. Il l’a fait le 3 juillet. C’est tout un processus. Il se l’est ancré dans sa tête. Il le voyait partout. On peut pousser le vice en l’écrivant sur son frigo. Ce n’est plus un mythe. C’est acté. Le 3 juillet, l’esprit est totalement libéré par rapport au chrono. Je suis persuadée qu’il n’y pense même pas dans les starts. C’est un peu la magie de l’esprit. Je trouve que le cerveau est magique.

 

— Comment est-ce qu’ils utilisent l’imagerie mentale en pratique ?

Je donne la méthode. On visualise une séquence. Je les guide. Cela part sous forme d’hypnose à la base car je leur fais lâcher-prise. On baisse le rythme cardiaque. Ils sont totalement détendus. Cela se passe soit au cabinet, en visio ou par téléphone. Ils peuvent le pratiquer de leur côté même si quand c’est guidé, c’est encore plus simple de se laisser aller. Après, ils le font avant de dormir, quand ils ont des moments off dans leur journée. Cela devient presque instinctif de visualiser ces moments de bonheur, de victoires,…

Ludvy, à l’entraînement, quand il y a un exercice qu’il a « du mal » à faire, il se pose, il se visualise faire l’exercice. 20 secondes après, il réalise parfaitement l’exercice comme il l’a ressenti en lui. Même son coach voit la différence entre les deux. Cela devient très instinctif. Il le fait à n’importe quel moment en éveil. Cela fait partie de leur préparation.

 

— On parle aussi beaucoup de routine de performance sportive. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ? Est-ce une technique que vous utilisez avec vos sportifs ?

La routine de performance est un ensemble de petits gestes pour te permettre de t’ancrer dans un instant T. Au tennis, n’importe quel joueur a une routine avant de servir : relever une chaussette, se toucher le bout des doigts. Il y a des routines de performance pendant le match et des routines quotidiennes. Chacun choisit sa routine. Cela peut-être 20 minutes de méditation au réveil, de faire de la cohérence cardiaque. Je leur donne des exercices de respiration car je sais que c’est très lié au cœur.

Je leur ai appris plusieurs types de respiration. L’un est comme celui des tireurs d’élites pour ne pas trembler et être totalement focus sur la cible. C’est très rapide à faire dans leur quotidien lorsqu’ils sentent qu’ils ont de la frustration, qu’ils perdent le fil à l’entraînement. En compétition, Mickaël fait des petits gestes de respiration avant de se mettre dans les starts. Cela permet de se réancrer à l’instant T et d’être totalement présent et ne pas penser à ce qui va se passer dans 20 secondes.

C’est pour tout le monde, pas uniquement les sportifs. Chaque humain doit instaurer des faits de routine dans sa vie pour avoir quelque chose à laquelle se raccrocher. Les TOPS, ce sont les techniques d’optimisation du potentiel. C’est un petit geste que l’on va faire qui va nous permettre de visualiser un moment de bonheur. Par exemple, lorsque je touche mon pouce et mon petit doigt, je vais visualiser ce moment. Cela va m’apaiser, m’aider à me sentir plus sereine. Chez les sportifs, on peut imaginer un geste très simple qui va faire monter l’excitation, le plaisir, où on va s’imaginer entendre la Marseillaise. On accentue la notion de plaisir. C’est super important de se reconnecter à ce moment de pur bonheur.

 

 

— La motivation est une notion assez compliquée à définir. Comment faites-vous avec les athlètes que vous accompagnez pour les aider à mettre à jour leurs véritables motivations et surtout pour les aider à rester motivé sur leurs objectifs élevés ?

La motivation fluctue et change. J’ai les athlètes toutes les semaines au téléphone. La motivation peut être au pic super élevé pendant trois semaines puis ça descend. Il faut accepter qu’elle descende. On n’est pas des machines et on ne peut pas être motivé tout le temps de la même manière. L’athlétisme est un sport très compliqué sur la durée. C’est un sport avec des pics. Ici, la saison hivernale est terminée du coup ils sont en perte de motivation mais ils doivent le rester avant la saison estivale. C’est compliqué car le corps est off. Il faut réussir à se relancer. On parle beaucoup, on communique beaucoup. Qu’est-ce qui les motive dans la vie ? Cela peut être très loin de l’athlétisme. Chacun a des motivations différentes et il n’y a pas de honte d’être motivé pour des choses moins glorieuses. Après, je leur fais accepter que la motivation change. On essaie de trouver le juste milieu et toujours se ramener à l’humain. Ma priorité, c’est qu’ils soient épanouis dans leur pratique.

 

— En athlétisme, on dit souvent que l’adversaire le plus coriace n’est pas celui qui est à côté de notre couloir, mais bien souvent nous-même. Quels sont les conseils que vous donnez aux athlètes pour maîtriser cette petite voix intérieure qui leur joue parfois de bien mauvais tours ?

C’est toujours la petite phrase que je leur dis avant la course : « C’est toi et toi, c’est toi le chrono ». Je pousse même le vice en leur disant que toutes les personnes sur la ligne de départ sont des parties de toi-même. Ce sont des miroirs de toi. Le super performeur qui manque d’humilité, celui avec un peu de doutes, celui qui commence tout juste. Je lui dis, il y a toi au centre. Tu prends conscience de tout ce qui se passe dans ton corps, tes énergies, où tu vas aller. C’est toi, ton couloir, ton chrono. Je veux juste que tu sois la meilleure partie de toi-même. On enlève toutes les pressions inutiles. On déconstruit. Le but est de ne plus avoir d’appréhension sur les athlètes contre lesquels on va courir. On se recentre sur soi, sur ses sensations, ce que l’on a envie de vivre. Notre principal adversaire, c’est nous.  Un sportif individuel le fait énormément surtout en compétition quand il est seul. C’est aussi pour cela que je suis présente lors de leurs courses. Je les aide à extérioriser. 

 

 

— Comment imaginez-vous l’avenir de votre profession ?

Pour moi, la préparation mentale, on est qu’au début. Je continue à me former. Il y a toujours des nouvelles choses qui arrivent. On n’en connaît pas encore suffisamment sur le cerveau. En France, on n’est que des suiveurs. Outre-Atlantique et en Allemagne, ils sont beaucoup plus en avance. Lors de la Coupe du monde au Brésil en 2014, les Allemands faisaient de la méditation la veille de match. C’est quand même exceptionnel. Cela apporte énormément. On va encore évoluer en France. Il y a encore beaucoup de choses à visualiser au niveau de la respiration, du lâcher-prise de la cage thoracique et des épaules.

Il va falloir des porte-paroles de la préparation mentale, que des sportifs de haut niveau en parlent plus ouvertement et que des préparateurs soient connus plus publiquement pour faire valoir leurs compétences. Pour moi, le sport de haut niveau est la Formule 1 de l’humain. C’est l’humain poussé à son plus haut potentiel. Quand on aura compris qu’il aura besoin d’un préparateur mental pour être performant, on pourra faire le parallèle avec l’entrepreneur. Le sportif doit ouvrir la voie pour le commun des mortels. Je suis de plus en plus contactée. Tout le monde est ambitieux et a des besoins de performances et de reconnaissance. C’est ça qui est super intéressant.

 

— Vous êtes également une excellente photographe avec des couvertures médiatiques sur plusieurs compétitions majeures en athlétisme (Euro de Munich et Euro en salle d’Istanbul notamment). Qu’est-ce qui vous plaît dans la photo ? 

La photographie, c’est capturer l’émotion. On va repartir sur les émotions. C’est l’essence de l’humanité, de l’être humain. Dans le sport, c’est là où les émotions sont les plus belles. Pour moi, il n’y a nulle part un endroit au monde autre qu’un stade ou un gymnase où tu peux avoir autant d’émotions en si peu de temps : joie, colère, peine, souffrance, explosion, des sourires. Tout le monde est en émulation. Le photographe est entre le public qui hurle et ce qui se passe sur le terrain où il y a une énergie de dingue. La photographie dans le sport, c’est laissé une empreinte sur un événement où il s’est passé des belles choses.

Propos recueillis par Coline Balteau
Crédit photo : Elyse Lopez

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