À deux jours des Championnats d’Europe de cross-country à Lagoa (Portugal), Jimmy Gressier est passé ce vendredi devant les journalistes en conférence de presse virtuelle. Le Boulonnais de 28 ans se présente dans la station balnéaire portugaise avec beaucoup d’envie et sera en quête de sa toute première médaille d’or individuelle dans les labours chez les seniors. Un beau défi pour le triple champion d’Europe espoirs (2017, 2018 et 2019) de la spécialité qui a l’opportunité de remporter son troisième titre majeur sur une troisième surface cette année, après la route et le semi-marathon à Bruxelles, et la piste et le 10 000 m à Tokyo. La nouvelle coqueluche de l’athlétisme français a aussi annoncé son désir de monter sur marathon après les JO 2028 à Los Angeles. Interview.
— Jimmy, on imagine que si vous vous présentez aux Championnats d’Europe de cross-country ce dimanche, vous avez eu des indicateurs positifs sur votre forme, grâce notamment à votre victoire sur la Course de l’Escalade à Genève…
J’ai changé un peu de méthode d’entraînement. Je contrôle beaucoup plus mon entraînement. Je fais moins de spécifique et donc un peu plus de volume. Et ce que je voulais voir à Genève, c’était qu’une fois que je tentais de lâcher un peu les chevaux, et que ça répondait tout de suite, rapidement, c’est bien. Et donc la Course de l’Escalade, c’était la séance test pour les Europe de cross. Et puis aussi, savoir si psychologiquement, une semaine après, j’avais envie aussi d’y aller, parce que ça reste quand même un événement majeur. Je viens pour tenter la gagne. J‘ai beaucoup de gens autour de moi qui me disent « mais ça va être facile, il n’y a personne ». Mais il y aura une bonne concurrence. Je pense à l’Espagnol Thierry Ndikumwenayo qui a fait sixième au Mondiaux de cross et 26’49 sur 10 km.
— Il y a eu beaucoup d’exposition médiatique suite à vos deux médailles aux Mondiaux de Tokyo. Avez-vous réussi à rester les deux pieds sur terre pour vous entraîner comme avant ?
Ils sont tout de suite restés sur terre, déjà à Tokyo. Moi, je suis quelqu’un de très terre-à-terre. Je ne me fie qu’à des objectifs. Je fais tout pour les réaliser. Une fois que je les réalise, je suis le plus heureux des athlètes et des hommes. Je profite avec mes proches, avec ma famille. Mais une fois la course passée, je suis déjà concentré sur la suite. Et dès Tokyo, je savais quasiment déjà, presque, ce que j’allais faire par la suite dans ma carrière. Je reste toujours aussi motivé, même plus motivé. Avant, je m’imaginais que tout ça était possible, sauf qu’aujourd’hui, ce n’est plus une imagination, c’est une réalité. Et du coup, c’est ce qui me pousse encore à vouloir m’entraîner beaucoup plus. Après, c’est vrai que j’ai un autre statut aujourd’hui : je suis champion du monde. Mais quand je vous dis que je garde les pieds sur terre aussi, c’est que j’ai l’humilité de me dire que le 14 septembre 2025, j’ai été le meilleur au monde, mais que je ne suis pas le meilleur coureur du monde. Sauf que je travaille tous les jours pour l’être, pour le devenir. Je pense que je me rapproche vraiment des meilleurs mondiaux, que ce soit sur les courses tactiques ou même sur les courses à chrono. Je pense qu’aujourd’hui, j’ai un statut et j’ai un niveau qui me permet de batailler avec les meilleurs mondiaux, mais je ne peux pas arriver la fleur au fusil. Il faut que j’arrive à 100% de mes capacités et pas à 95% de mes capacités. Pour ça, il faut beaucoup d’entraînement. Il faut choisir son pic de forme idéal. On ne peut pas être en forme à 100%. Ma forme de Tokyo, je peux la retrouver peut-être deux fois dans l’année, mais je ne peux pas l’avoir toute l’année.
« Rentrer à Boulogne, ce n’est pas sacrifier ma carrière d’athlète. »
— Vous avez pris la décision de poursuivre votre carrière en rentrant chez vous dans le Nord. Pouvez-vous nous raconter un peu comment votre quotidien a évolué ces derniers mois ?
Mon quotidien a été un peu bouleversé avec les Championnats du monde, parce que quand je suis rentré, j’ai eu beaucoup de représentations à faire. Au final, je n’ai jamais été autant sur Paris qu’en n’étant plus à Paris. C’est ça qui est un peu paradoxal. Là, on est rentrés à Boulogne. Mais la priorité, ça reste l’entraînement. Voilà comment se passe un peu mon quotidien : beaucoup d’entraînement, très peu de rangement des cartons de l’appartement. Et puis, j’ai retrouvé un petit peu la famille.
— Revenir à Boulogne-sur-Mer, c’est quand même un choix important et qui peut surprendre à ce moment de votre carrière…
Je pars du principe que je peux travailler avec n’importe qui, peu importe l’endroit, à partir du moment où tu es professionnel, que tu sais ce que tu veux dans la vie et que tu fais les choses bien. Je suis parti de Boulogne, j’avais 22 ans. Aujourd’hui, je reviens à 28 ans. Ça passe tellement vite avec les saisons d’athlétisme. J’adore la course à pied. C’est mon métier, mais je ne suis pas prêt à tout sacrifier pour réussir. Et je pense que rentrer à Boulogne, ce n’est pas sacrifier ma carrière d’athlète. C’est se mettre dans un mini inconfort par rapport à où j’étais à l’INSEP. Mais par contre, j’en suis sûr que c’est ce qui me rendra encore plus fort.
— Est-ce qu’on vous reconnaît davantage qu’avant dans la rue ?
Oui, c’est sûr que tous ceux que je croise, à chaque fois, maintenant, ils me disent bonjour. Même des fois où je sors de la voiture, je suis pressé, il y a quelqu’un qui passe, qui fait demi-tour. Et moi, je suis là avec des cartons dans les mains, il veut faire une photo. Ces moments-là sont assez cocasses, assez drôles parce que je dois me dépêcher, je suis en retard pour l’entraînement et tout. Hier midi, je suis allé manger au restaurant avec mon meilleur pote et ma copine. Et je voyais deux petites dames à côté, et je sentais qu’elles n’osaient pas me parler, mais elles faisaient exprès de me poser des petites questions pour rentrer en discussion. Et moi, je trouvais ça drôle. Je prends beaucoup de plaisir à rester simple.
« Ça te dit ou pas qu’on monte une équipe ? »
— Les Europe sont aussi une étape avant les Mondiaux à Tallahassee, en Floride, le 10 janvier prochain. Pouvez-vous nous expliquer comment cette idée a germé ?
Je les avais déjà en tête à peu près vers le Meeting de Paris (20 juin). Et après le Meeting de Paris, je suis allé voir Yann Schrub. Je lui ai dit : « Là, c’est quand même un événement où tu peux mettre de côté aussi l’individuel et aussi penser à l’équipe. Ça te dit ou pas qu’on monte une équipe, qu’on chauffe Etienne Daguinos aussi, et puis après, qu’on voit avec la Fédé comment on peut faire au niveau des qualifications ? ». On a validé ça aux Championnats de France Elite à Talence (1er au 3 août), le lendemain de notre 5000 m. On s’est vu avec Bastien Perraux (sélectionneur). D’ailleurs, si je suis aussi aux Championnats d’Europe de cross là, c’est parce qu’il m’a bien relancé sur le sujet. Il pense aussi fort que vous qu’on peut aller chercher une médaille, voire mieux, avec l’équipe.
— Que représentent pour vous ces Championnats d’Europe de cross ? Et à quel point ça a pu vous structurer en tant qu’athlète ?
Déjà, c’est le cross qui m’a révélé, avant tout. J’ai été qualifié un peu par hasard, avant l’Euro Hyères (13 décembre 2015), aux championnats du monde de cross en Chine (Guiyang, 28 mars 2015), où j’ai pris une déculottée : je crois que j’ai fini 80e. Je me dis : « Mais c’est quoi ce sport de fou ? ». Je chope la tourista, je suis dans les toilettes plein de boue, je ne peux plus bouger. Je reste au foot. Je me qualifie à Hyères et ce jour-là, j’ai senti vraiment la ferveur qu’il y avait autour de la course à pied. Je me suis dit : « C’est tellement incroyable, cet événement ! ». Et d’ailleurs, c’est mon événement préféré. C’est ce que je préfère : la ferveur, les trompettes, tous les bruits qu’il peut y avoir, la tension qu’il peut y avoir… c’est quelque chose que j’aime beaucoup. Et pendant toutes ces années, je n’ai pas pu les faire parce que la piste a pris une place importante. On finissait tard les saisons de piste, généralement en septembre.
— On vous a souvent vu faire le show sur les lignes d’arrivée. C’est beau pour le spectacle. En cas de victoire ce dimanche, avez-vous déjà prévu une petite célébration ou c’est quelque chose que vous faites un peu à l’instinct ?
Oui, c’est quelque chose que je faisais un peu à l’instinct. Je n’ai pas réfléchi, honnêtement. Après, si vous avez des idées, moi, je suis preneur. Mais je veux me concentrer avant tout sur la gagne. Si j’ai l’occasion de pouvoir profiter dans la dernière ligne droite, bien sûr que je vais faire une célébration. Je serai le plus heureux, donc c’est dans ces moments-là où mon cerveau peut dérailler et je peux faire n’importe quoi. Donc on verra. Mais si j’ai des idées, ça peut mûrir en tête, comme le jour où j’ai mangé la crêpe à Carhaix en 2023.
« J’ai prévu à mes 31 ans de basculer officiellement sur la route et sur le marathon »
— Comment gérez-vous le fait de disputer votre premier cross de la saison à l’occasion des Europe ? Avez-vous pu faire un travail spécifique ?
Non, je n’ai pas fait de travail spécifique. Pour tout te dire, je n’ai même pas mis les pointes une seule fois depuis les championnats du monde. Moi, je suis plutôt au feeling. Après, le meilleur spécifique que j’ai fait, c’est la Course de l’Escalade. Ça ne fait que monter. C’est la même distance que les Europe, quasiment. Ça monte, ça descend, ça tourne. Je n’ai pas fait forcément de spécifique. Après, j’ai vu que là, ça allait être un peu plus du sable. Donc, je ne sais pas trop comment je réagis dans le sable, mais je pense que je suis un peu passe-partout et que la simple reconnaissance de la veille va peut-être suffire.
— Où en êtes-vous sur votre réflexion de monter sur marathon ?
Il est prévu que je n’en fasse pas avant les Jeux olympiques de 2028. Je suis vraiment focus. Avant, c’était de l’imagination de faire un jour une médaille. Aujourd’hui, c’est de la concrétisation. Je pense que ma carrière va encore être longue et que derrière, j’ai dix ans à consacrer au marathon. Le Suisse Tadesse Abraham, à 42 ans, a réalisé 2h04 (2’04’40 à Valence en 2024) au marathon. Et moi, ce jour-là, je me suis dit : « Comme Kylian Mbappé, tu ne me parles pas d’âge ». Même quand je serai vieux, tu ne me parles pas d’âge. Si j’ai l’envie, j’ai toujours la même envie que quand j’étais gamin, que je mets le même sérieux, que l’hygiène de vie est là, tu peux continuer. J’ai prévu à mes 31 ans de basculer officiellement sur la route et sur le marathon : faire beaucoup plus de courses sur route, de 10 km, de semi-marathon, de marathon. Et puis après, j’irai titiller les trailers après le marathon, donc après mes 40 ans. On m’a dit que dans le trail, pareil, il y a des mecs de 50 ans qui étaient très bons sur les trails longs. Je ne sais pas si j’ai forcément la même envie d’aventure qu’eux, parce que faire des 170 kilomètres, il faut plus être aventurier que sportif. Tout ce que réalise Mathieu Blanchard, franchement, c’est sacrément costaud mentalement. Mais en tout cas, le plan, l’idée c’est de faire du marathon de mes 31 ans à mes 40 ans. Et ensuite, soit je reprends une carrière de foot en vétéran à Boulogne, soit je bascule dans le trail.
Propos recueillis par Clément Laborieux / STADION
Crédits photos : ATHLE.CH / KIPRUN





























