Après une carrière de plus de 30 ans sur les chaînes du service public, Patrick Montel a tiré sa révérence dimanche sur le plateau de Stade 2. L’occasion pour Stadion de revenir sur sa carrière de commentateur et d’évoquer ses futurs projets. Et n’allez surtout pas lui parler de la retraite. Entretien.
— Patrick, vous avez 67 ans. Vous vous étiez fixé ce cap pour faire vos adieux à France Télévisions ?
L’âge ne veut rien dire, ce sont juste des convenances. Dans un couple passionné, lorsque l’un des deux prend la décision de prendre une distance l’un par rapport à l’autre, ça ne sert à rien que l’autre s’accroche. Il était dans les tuyaux depuis pas mal de temps que la Direction des Sports avait décidé de prendre un nouveau virage éditorial dans la perspective des Jeux olympiques 2024 pour lesquels j’aurai dépassé « la date de péremption ». Chacun son boulot. Moi, je commente, je suis journaliste. Et puis la direction dirige. À partir du moment où la Direction des Sports avait décidé ça, et me l’avait d’ailleurs tout à fait sereinement et clairement exprimé, les choses étaient actées.
— Vous êtes fier de votre carrière en tant que commentateur ?
Je suis fier de ma carrière en tant qu’homme. En tant que commentateur je ne sais pas. Parce que moi, c’est mon oxygène, est-ce que t’es fier de respirer ? Non, tu respires. Est-ce que je suis fier de commenter ? Non je commente parce que c’est « ma came », mon carburant. Est-ce que je suis fier des valeurs que j’ai essayées de transmettre à travers le commentaire avec Bernard (Faure) et Stéphane (Diagana) ? Je réponds oui, bien sûr, parce qu’on a essayé de mettre des choses en lumière qui me sont très chères comme notamment la lutte à mort contre le racisme, toute forme de discrimination et aujourd’hui je m’aperçois que le combat il continue. Oui je suis fier de dire que ces valeurs là on a essayé de les porter très haut.
— Pour devenir un bon commentateur, il faut être passionné ?
Oui je pense qu’il faut être passionné. Maintenant la passion elle s’exprime différemment. C’est à dire quelqu’un qui va commenter d’un manière posée, sereine et technique, ça ne veut pas dire qu’il n’est pas passionné, ça veut dire simplement qu’il exprime sa passion différemment. Ma passion, je l’exprime par la fièvre. Mais il y a d’autres manières d’exprimer la passion. Je suis sûr qu’Alexandre Pasteur qui prend ma suite est passionné aussi mais il l’exprime d’un manière plus calme. D’une façon générale, il faut être passionné par tous les métiers. Un mec qui n’est pas passionné est un mec qui perd son temps.
— Commenter l’athlétisme, c’est plus dur que du football et du basket ?
Ça c’est sûr et certain. Commenter l’athlétisme c’est 20 matchs de foot ou de basket en même temps. J’ai commenté beaucoup de sports notamment les sports auxquels vous faites allusion et bien d’autres. Je pense que l’athlé c’est évidemment le plus dur parce qu’il faut avoir des yeux partout et il faut tout le temps rebondir. Tu es à peine dans l’émotion d’une arrivée du 100 m qu’il y a un athlète qui est en bout de piste au triple saut, qu’il y a un autre athlète qui lance le disque. Mais c’est hyper jouissif parce que c’est hyper casse-gueule. Et tout ce qui est casse-gueule est jouissif.
— Votre plus beau souvenir en tant qu’homme ?
Mon plus beau souvenir, c’est très clair, c’est la course que je commenterai demain. Tous les matins quand je me lève, je me dis « putain » aujourd’hui tu vas avoir le plus beau souvenir de ta vie, tu vas commenter une course. Laquelle ? Je n’en sais rien, peut-être celle d’une personne dans la rue. Je me projette vers l’avenir et mes plus beaux souvenirs, je ne les ai pas encore vécus.
— Et le pire ?
C’était le 22 août 1993, lors de la dernière journée des Championnats du Monde à Stuttgart, en Allemagne, parce qu’on me demandait de passer la pub au moment de faire vivre la finale du 4×100 m en direct. Je ne sais pas ce qui m’a pris, j’ai complètement pété les plombs. J’ai mis en cause une profession qui est la profession du chef de chaîne, et également des personnes que je ne connaissais pas et que j’ai jetées en pâture en public. Je m’en suis voulu terriblement parce que c’est simplement un péché d’orgueil et l’orgueil c’est malheureusement quelque chose qui très répandu aujourd’hui dans notre société. Et aussi dans notre profession. Je m’en veux encore aujourd’hui d’avoir cédé à cela. Quand je suis rentré de Stuttgart, je me suis fait convoquer dans le bureau du regretté Hervé Bourges, patron de France Télévisions à l’époque, qui était un homme d’une grande bonté et d’une grande humanité, et il m’a dit « Monsieur Montel, sachez une chose, c’est que le linge sale se lave en famille« , et je n’ai jamais oublié cet adage.
— Quelle fut votre plus belle rencontre sur une piste d’athlétisme ?
C’est Marie-José Pérec, j’ai épousé sa carrière, je l’ai suivie pas à pas, j’ai mis mes commentaires dans ses foulées. Je l’ai aimée éperdument comme j’ai aimé Colette Besson quand j’avais 15 ans mais je n’ai hélas pas pu le lui dire de vive voix.
— Les lecteurs pourront découvrir dans quelques mois votre livre « Mes héros des J.O ». De quoi parle-t-il ?
À la lecture du titre, les gens s’attendent peut-être à ce que je parle des plus grands champions des JO mais ce n’est pas ça. J’ai eu la chance incroyable de participer à 8 Jeux olympiques d’été et à 3 Jeux olympiques d’hiver et j’ai fait des rencontres. Vous me parliez de Marie-Jo tout à l’heure, elle est dans le bouquin bien sûr, non pas parce que c’est une athlète d’exception mais parce que je l’ai aimée éperdument. Ce sont des gens que j’ai rencontrés, que j’ai aimés et ce ne sont pas forcément des gens connus dont je parle dans le livre. Il y en a qui sont connus mais il y a gens qui sont tout à fait méconnus mais ça n’empêche pas que je les ai aimés quand même. Il y a 23 histoires d’amour que j’ai vécues grâce aux JO.
— Qu’est ce qui va vous manquer le plus ?
C’est la présence des athlètes parce que je les aime. Ça m’embêterait de ne plus être en contact avec eux. Par contre il y a quelque chose qui ne me manquera pas, c’est le commentaire. Je continuerai à commenter jusqu’à mon dernier souffle. Si je dois continuer à commenter pour plusieurs personnes ça sera avec plaisir, si je peux commenter pour ma famille, ce sera déjà sympa et si personne ne me supporte, je commenterai tout seul dans mon sous-sol, dans la salle de bain ou je ne sais où. Je vous jure que je commenterai toute ma vie.
— Patrick Montel derrière un micro, c’est vraiment fini ?
Je ne sais pas encore parce que je ne sais pas ce que je vais faire prochainement, j’ai une petite idée mais c’est encore un peu tôt pour en parler. Je suis salarié de France Télévisions jusqu’au 31 décembre 2020 et je suis très fidèle à ma boîte. Ce que je peux vous dire c’est que les projets ne manquent pas dans différents domaines. Le fait de fermer la page de la télé va me permettre d’en ouvrir une nouvelle. J’ai envie de faire perdurer les valeurs auxquelles je crois dans le sport. Le sport aujourd’hui, c’est tout d’abord la meilleure manière de réconcilier les gens et de partager des choses. Il y a aussi un défi qui est extrêmement important sur lequel je voudrais m’engager qui est la protection de la planète. On a assez déconné avec la planète et une fois qu’on sera parti, elle, la nature continuera à vivre. Il faut qu’on soit en harmonie avec elle. Le sport est un vecteur qui n’est pas assez utilisé pour le développement durable.
La passion du premier sport olympique résonnera toujours dans la voix de Patrick Montel.
Propos recueillis par Matthieu Tourault / STADION-ACTU
Crédit photo : Solène Decosta / STADION-ACTU