La recordwoman de France du lancer de marteau Alexandra Tavernier nous a ouvert les portes d’un de ses entraînements vendredi à Ploumilliau (Côtes-d’Armor).
Contactée pour un entretien après son nouveau record de France établi le 11 juillet à Vénissieux avec 74,94 m, Alexandra Tavernier nous donne rendez-vous le 31 juillet à la suite d’une semaine des vacances bien méritées. La Savoyarde installée en Bretagne poursuit sa préparation en vue des Jeux olympiques de Tokyo reportés en 2021.
Il est 9h50 du matin quand Alexandra Tavernier arrive à l’entraînement au stade du Clandy de Ploumilliau. C’est dans cette commune rurale de 2500 habitants, située dans le Trégor, que la vice-championne d’Europe 2018 s’entraîne depuis juin 2019. La ville bretonne a aménagé aux normes internationales une aire dédiée au lancer de marteau pour y accueillir la Française. On pourrait être surpris de trouver l’une des meilleures lanceuses du monde dans ce décor champêtre, loin des pôles élites.
Il n’y a pourtant eu aucune hésitation pour la médaillée de bronze mondiale 2015. Pour elle, c’est un environnement propice à l’entraînement du sport de haut niveau. Sans stress, sans bruit, dans un cadre naturel, elle s’y sent très bien. Gilles Dupray, son coach depuis février 2016, demeure à proximité. Le lieu est également proche de la commune de Pluzunet, où elle a posé ses valises : « C’est le top ici ! Je suis à 10 minutes de chez moi et surtout il n’y a pas le problème de la sécurité. Quand on jette le marteau de 3 kg à 85 mètres, il faut de la place. Oui, c’est possible de faire du haut niveau en milieu rural ».
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Silence, ça tourne !
La Savoyarde d’Annecy peut compter ce matin sur la présence d’Hugo, son petit frère âgé de 21 ans, cinquième des Mondiaux juniors en 2018. Un soutien de poids : « J’aime sa présence à l’entraînement mais j’aime aussi lancer toute seule ». Après avoir choisi chacun deux marteaux dans la salle du matériel, direction la cage de lancer. L’enceinte sportive offre un contraste saisissant. L’aire de lancer est une pelouse crevassée par les engins alors que juste à côté le terrain de football de l’AS Ploumilliau est un vrai « billard » avec l’herbe finement coupée. Pas un marteau n’est tombé dessus ! L’échauffement terminée, elle fait son entrée dans le cercle. Alexandra Tavernier est dans sa bulle. Silence, la lanceuse tricolore est prête ! À l’inverse de certaines épreuves d’athlétisme, le marteau se pratique dans le calme. C’est bien évidemment pour permettre à l’athlète de se concentrer au maximum. Quatre tours et demi en rotation ultra rapides et le boulet en acier de 4kg s’envole avec un léger bruit « Vouh » puis atterrit une soixantaine de mètres plus loin.
Derrière la cage, Gilles Dupray, son coach, qui est également référent national des lancers et recordman de France du marteau (82,38 m), ne rate pas une miette. À ses côtés, le papa d’Alexandra, Christophe Tavernier, qui fut son premier entraîneur, et la maman Nathalie sont aux premières loges pour assister aux fulgurances de leurs deux enfants. Gilles Dupray ne note rien et parle un minimum : « Comment te sens-tu Alex ? Les premiers jets révèlent souvent la forme du moment ». « Ça va ! » répond sobrement sa protégée qui avoue avoir du mal à l’entraînement à se transcender autant qu’en compétition. Plus tard, elle précisera : « Les performances sont correctes dans le contexte actuel et dans ce qu’on recherche techniquement. En compétition, je suis une personne radicalement différente dans mon attitude. Il n’y a rien d’autre qui compte que le résultat ». Et pourtant, vous pouvez nous croire, même à l’entraînement, ça dépote ! Après avoir expédié le second marteau dans le ciel de Ploumilliau, il est l’heure d’aller récupérer les engins sur la pelouse. Le moment opportun pour l’étudiante en psychologie pour refaire les lancers dans sa tête et les analyser.
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La séance est écourtée
Au tour d’Hugo de se mettre en place : « On est complètement différent, il est très technique et moins physique. On nous mettrait dans un shaker, on mélange, on aurait un très bon lanceur », s’amuse Alexandra Tavernier. Celui qui vient tout juste d’améliorer son record personnel à 69,36 m à Lyon attaque sa séance. Celle-ci sera enseignée par Gilles Dupray comme un cours de musique : « tempo, fausse note, problème de rythme ».
Alors qu’Alexandra Tavernier a effectué douze jets (6 séries de 2 lancers), le patron des lancers en France met fin prématurément à la séance. L’étonnement semble la première réaction de la lanceuse : « Ah bon ? » avant de se rendre compte qu’elle boucle sa neuvième séance en cinq jours. « C’est vrai que je suis cuite ! C’est très rare quand j’arrête une séance mais ce n’est pas le moment avec la fatigue de prendre des défauts ou de se faire mal. C’est souvent dans ces états que la blessure arrive. J’ai un coach hyper attentif qui dit stop quand il le faut. D’habitude on est entre 20 et 30 jets ». Hugo Tavernier continuera trois séries de plus. Le vice-champion de France espoirs 2019 commence lui aussi à sentir la fatigue avec l’enchaînement des séances de la semaine. Gilles Dupray tient un compte des lancers et les mesure à distance, à l’aide des fiches numérotées plantées sur la pelouse. Alexandra Tavernier qui semble tout d’un coup fatiguée s’allonge sur l’herbe, les lunettes de soleil sur le nez ce qui entraîne une plaisanterie de la part de Gilles « Tu écoutes la terre ? ».
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Lancée vers Tokyo
Le marteau, elle l’a dans la peau et même sur la peau. Le tatouage d’une silhouette de lanceur de marteau avec l’inscription « Hammer Throw » orne son épaule gauche. Les JO sont devenu son credo, sa raison de se lever tous les matins. Tokyo est dans un an mais quelque part, on sent que c’est déjà demain : « Mes parents m’ont offert des boucles d’oreilles en forme d’anneaux olympiques. C’est symbolique. Ça me rappelle ce que je veux et pourquoi on s’entraîne deux fois par jour. Même quand l’entraînement est fini, il y a toujours une part de moi qui pense à ce rendez-vous qui a lieu tous les quatre ans ». Si elle s’accorde le droit de rêver à la plus belle des médailles, elle ajoute : « Du moment que je sens que j’ai fait ce que j’avais à faire, avec la sensation d’avoir tout donné, je n’aurai aucun regret peu importe la place ».
Lors des trois derniers rendez-vous internationaux (Mondiaux de Londres 2017, Euro de Berlin 2018 et Mondiaux Doha 2019), elle n’a eu besoin que d’un seul lancer pour passer le cut des qualifications fixé aux alentours des 72 mètres. Une statistique qui ne trompe pas et est révélateur de la stabilité technique que lui apporte le coach depuis le début de leur relation : « Gilles m’a fait grandir. Il m’apporte la maturité et la sérénité. Comme il aime bien le dire, je suis un cube de glace et puis il sculpte petit à petit. Au début, en 2017, c’était des formes un peu vagues et puis plus le temps passe plus il y a les détails qui se dessinent. Notre relation est basée sur la communication. Il ne m’impose jamais quelque chose, il y a toujours une discussion. Mentalement aussi il m’a fait progresser et sur ce plan là je suis accompagnée depuis 2017 par Meriem Salmi, la psychologue de nombreux sportifs dont Teddy Riner ».
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Plus de visibilité des lancers
Exigeante mais pleine de vie, la pensionnaire d’Annecy Haute Savoie Athlétisme, le club qu’elle n’a pas quitté depuis ses débuts, explique que former un lanceur de marteau prend du temps : « Construire un lanceur, c’est long, il faut au minimum dix ans. Je fais du haut niveau depuis 2012, j’ai 26 ans, et je suis encore un bébé. Je suis physique et très rapide mais moins technique ». Autre chose qui tient à coeur Alexandra Tavernier, c’est de voir s’améliorer la visibilité accordée aux lancers : « Les lancers restent un peu en retrait par rapport aux autres familles d’épreuves de l’athlétisme. Il arrive même qu’on ne soit pas considéré comme de vrais athlètes. Certains de l’équipe de France m’ont demandé si je faisais partie de l’encadrement…». Une note d’optimisme toutefois : « Ça va mieux, ça prend du temps. Mélina Robert-Michon a mis un joli coup de projecteur cet été en décrochant une médaille d’argent au disque à Rio. Il faudrait que la génération d’après continue à pousser pour que les lanceurs soient mieux reconnus ».
Crédits photos : STADION