Shana Grebo : « Je ne réalise pas encore que les Mondiaux aient lieu sur notre stade d’entraînement »

12 juillet 2022 à 9:35

Avant de décoller ce mardi matin pour Eugene, la Mecque de l’athlétisme américain, pour disputer le relais 4×400 m avec l’équipe de France aux Championnats du Monde, Shana Grebo nous a ouverts les portes de son entraînement à Rennes pour un entretien et une séance photo. La compétition aura lieu dans le mythique stade Hayward Field la championne de France Elite du 200 m s’entraîne désormais à l’année, depuis qu’elle a rejoint cette saison la prestigieuse université de l’Oregon. Souriante, enjouée et concentrée, la sociétaire du Haute Bretagne Athlétisme assure qu’elle a franchi un palier cette saison de l’autre côté de l’Atlantique. À 21 ans, elle fait partie d’une prometteuse génération de jeunes filles sur le tour de piste. Interview !

— Shana, quand et comment avez-vous fait le choix de tenter l’aventure américaine ?

J’ai moi-même envoyé ma candidature à des universités. J’ai fait des démarches à peu près 10 mois avant la rentrée scolaire. J’ai commencé en décembre 2020. Je commençais à m’intéresser aux championnats américains, et je ne voyais pas mal de français partir. Ça m’a donné envie de faire la même chose. J’ai eu quelques retours, certains négatifs et d’autres positifs de la part de plusieurs écoles, entre décembre et janvier 2021.

 

Dans quelles conditions avez-vous rejoint les Ducks de l’université de l’Oregon ?

J’ai eu un très bon contact avec l’une des coachs qui s’occupait de recruter les athlètes internationaux. On s’est très bien entendues. Elle m’a expliqué le fonctionnement et elle m’a mise en confiance. Je me suis sentie super à l’aise et j’ai eu un bon feeling. Parmi les autres universités que j’ai contactées, il n’y avait que celle-ci avec qui j’ai eu la meilleure accroche. Et puis à un moment donné, je n’avais pas reçu 15 retours positifs non plus, donc c’est vraiment ici que je voulais aller et j’ai continué à fond les démarches avec Oregon.

 

— Ce changement de vie implique également un changement sportif important…

Carrément. Changement de vie c’est clair. J’étais à Rennes depuis toujours. J’ai grandi là-bas et toute ma famille est ici également. Donc partir à l’autre bout du monde (parce que c’est vraiment l’autre bout du monde), ça me faisait bizarre. Je suis très proche de ma famille. Notamment ma mère, mon frère et ma sœur. J’ai mon copain qui est à Rennes, on habitait ensemble donc ça faisait beaucoup de changement. Sur le plan sportif, c’est pareil. J’avais un super groupe avec lequel je m’entraine depuis super longtemps, un super coach qui est Marc Reuzé… Donc j’avais énormément de questions avant mon départ, j’en ai eu autant pendant mon année. Et maintenant, je commence à réaliser que j’ai fait un choix qui me plaît et je suis heureuse de comment ça s’est déroulé. Mais il y a eu beaucoup de questions avant le départ et pendant ma transition.

 

— Vous vous êtes posée beaucoup de questions mais il y a-t-il eu des regrets ?

Non, je n’ai jamais eu de regrets. Je savais qu’au fond de moi j’avais envie de partir, de changer de cadre. Mais forcément avec plein de choses d’un coup, une nouvelle langue, de nouvelles personnes, nouveau coach, nouveau cursus scolaire, ça allait me mener à des milliards de questions. Mais je ne me suis jamais dit que j’aurais dû rester à Rennes.

— Beaucoup d’athlètes expatriés racontent à leur retour que l’approche est différente de l’autre côté de l’Atlantique…

C’est clair. C’est une autre mentalité. J’ai appris énormément de choses là-bas. Je comparais avec ce qu’on m’avait enseigné en France toutes ces années. C’est vrai qu’ils sont hypers compétitifs. Ils sont vachement professionnels, ils ont une approche du sport qui est tellement plus “sérieuse”. C’est-à-dire qu’ils prennent plus au sérieux le sport universitaire que nous en France. Ils vont tout faire pour nous emmener au haut niveau, ils vont nous donner les moyens et tout ce dont on a besoin pour arriver à nos objectifs. Ils vont nous accompagner de A à Z sur le programme. On nous déroule le tapis rouge et on nous dit « on veut que tu sois le meilleur à l’école et en sport alors on va faire ça, ça, ça… ». En France je n’ai jamais vu ça, ou alors dans très peu de structures. Aux États-Unis, ils ont vraiment la culture du succès et ils savent la cultiver.

 

C’est pour ces raisons aussi que vous êtes partie là-bas ?

J’avais déjà une très bonne structure ici. J’avais aménagé mes études après le bac etc. Mais voir les autres partir, ça me donnait vraiment envie. J’avais envie de changer d’air parce qu’après plus de 18 ans passée à Rennes, je me suis dit qu’il était temps de voir autre chose. Ma dernière année était quand même très bonne sur le plan sportif et scolaire. J’avais même un projet scolaire à Rennes. Mais c’est à ce moment-là que j’ai commencé à me poser des questions concernant les USA. Soit, je continuais une alternance dans l’immobilier à Rennes, soit je partais. J’ai vraiment énormément hésité car à Rennes, j’avais tout quoi, j’étais hyper bien. Mais j’ai pris la décision de partir car je me suis dit que ça serait une occasion qui ne se représenterait pas.

 

À quoi ressemble votre groupe d’entraînement ?

C’est un groupe de très, très haut niveau. On est divisé en plusieurs petits groupes. Il y a un groupe de saut et sprint long. Et un autre de haies et sprint court. Moi, comme je fais du sprint mais aussi des haies, j’étais un peu dans les deux groupes. C’est un assez gros groupe puisqu’on doit être une trentaine au total. C’est un groupe dans lequel j’ai réussi à faire ma place. C’est vrai que quand on arrive, qu’on ne parle pas forcément parfaitement anglais, bah c’est difficile de s’intégrer avec les gens, ça prend du temps même si j’ai été bien accueillie, même si les Américains sont très avenants et accueillants, il faut quand même faire son petit nid.

J’ai vraiment découvert la mentalité américaine dans le groupe : On s’entraide, on est toujours ensemble. Par exemple, on commençait toujours en même temps, si une personne est en retard, on l’attend, si on est tous en avance, on commence en avance. Quand on terminait l’entraînement, nous les filles on prenait un peu plus de temps que les garçons en musculation. Ils avaient terminé et on finit par des abdos. Et bien ils nous attendaient. À la fin on finit par le cri de guerre de l’université. Ils savent vraiment comment créer de la cohésion. Plus l’année avançait et plus on était soudés tous ensemble, et à vivre, c’est énorme. Je pensais qu’il y aurait plus de compétitivité entre nous. Qu’on serait en mode « si t’as envie de participer à la prochaine compétition, va falloir être meilleure qu’une telle »… mais au final, je ne l’ai jamais ressenti d’un point de vue malsain, loin de là. C’est un super groupe d’entraînement avec du très, très haut niveau. Tout ce que j’étais venu chercher.

 

— Êtes-vous à l’aise avec la langue de Shakespeare ?

J’ai été à l’aise pour les trucs classiques. Tout le monde arrivait à me comprendre et j’arrivais à comprendre à peu près tout. Donc on va dire que ça allait. Ce qui était plus difficile, c’était quand je voulais rentrer dans une conversation un peu plus poussée avec des amis. Je n’avais pas le langage courant. Donc suivre une conversation avec des gens de mon âge, c’est hyper difficile. Ça a pris quelques mois. Mais quand je suis rentrée en France à Noël, et quand je suis revenue en janvier aux USA, je pense qu’il y avait des automatismes qui s’étaient formés et j’étais beaucoup plus à l’aise. Ça a pris quelques mois pour être vraiment “Fluent” comme on dit en anglais.

— Participer aux Championnats du Monde sur son stade d’entraînement de Hayward Field, ce n’est pas courant !

C’est assez incroyable. Je ne réalise pas encore que les Mondiaux aient lieu sur notre stade d’entraînement. C’est LA compétition de l’année ! Franchement j’ai hâte car ça fait plaisir d’arriver, de dire qu’on connaît les lieux, qu’on va reconnaître des personnes, que des gens vont nous reconnaître… c’est vraiment énorme. Je savais quand j’avais commencé les démarches à fond avec Oregon, que si j’avais le niveau pour participer au grand rendez-vous de l’année, ça serait sur le stade. Toute l’année on en a entendu parler. Ils sont super fiers car c’est une toute petite ville Eugene, pour les habitants c’est énorme. Il y avait vachement d’engouement par rapport à ça. J’ai hâte.

 

Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter aux Mondiaux de Eugene sur le relais 4×400 m ?

Nous souhaiter une finale ! Les séries ont lieu le 23 juillet et la finale le 24. Ce sont les 2 derniers jours de compétition. C’est vrai que l’objectif final est clair dans toutes nos têtes et j’espère vraiment que ça va marcher car on a vraiment un super beau collectif, et ça sera une super bonne expérience pour nous toutes. On aura une deuxième chance à Munich pour faire quelque chose aussi.

 

Vous avez été sacrée championne de France Elite du 200 m à Caen en 22″98. Qu’avez-vous ressenti en découvrant le chrono sur le tableau d’affichage ?

J’ai regardé le chrono au moins 50 fois ! Avant de me dire que le chrono n’a pas buggué. Franchement j’étais dans un état d’euphorie complète. J’étais hyper heureuse. Je m’étais déjà sentie bien en série, mais c’est vrai qu’en finale, à l’échauffement j’avais déjà trois courses dans les jambes, deux 400 et un 200, mais j’avais tellement envie d’aller chercher la médaille d’or, je me suis mobilisée à fond, j’étais à 200%. J’étais vraiment en confiance et c’est vrai que d’aller claquer moins de 23 secondes avant cette année, jamais je ne me serais dit que je le ferais car pour moi c’était réservé à l’élite du sprint et je ne pensais pas que je pouvais aller à cette vitesse-là.

En avril, j’ai fait un 200 m en 23″23 et je me suis dit que peut-être qu’un jour j’arriverais à faire moins de 23 secondes. Ça ne me paraît plus aussi loin que ça. Il y a des filles de mon groupe d’entraînement, avec qui je m’entraine tous les jours, qui font ce genre de chrono… et c’est vrai qu’aux Championnats de France j’ai été porté par tout le soutien de mon club du Haute Bretagne Athlétisme, beaucoup de gens qui se sont déplacés notamment dimanche. Ça m’a vraiment donné de la force. J’étais juste dans le bon jour, dans une belle forme, je me sentais voler. Avoir des sensations comme ça dans le sport c’est tellement rare… à la fin de la course j’ai déversé toute ma joie, des larmes, toute sorte d’émotions c’était vraiment énorme.

 

Aviez-vous en tête que les minima pour les championnats d’Europe de Munich sont à 23″05 au départ de la course ?

Pas du tout ! Avec la série que j’avais réalisée en 23″28 le matin, je me disais comme ça que j’allais me rapprocher des 23″00 et que ça ne serait pas impossible, mais je ne me suis pas fixé Munich dans la tête sur 200 m. Je m’étais surtout dit de ramener la médaille d’or, parce que j’avais eu l’argent la veille et je voulais quand même repartir avec de l’or. Je voulais surtout gagner… Et le chrono viendra après. Mais avoir les deux plus Munich qui n’était pas dans ma check-list du tout ! C’est vraiment sympa.

Vous avez mené de front 200 m (22″98) et 400 m (51″71) cet été, pourtant on vous connaît davantage pour vos résultats sur 400 m haies (56″28). Si vous avez amélioré vos records personnels sur les trois distances en 2022, allez-vous vous concentrer sur une épreuve en particulier ces prochaines années ?

J’ai du mal à savoir pour le moment. J’ai beaucoup progressé en vitesse, que ce soit sur 400 ou 200 m. Mais j’ai aussi fait des progrès sur les haies qui se sont concrétisés avec un record en début de saison. Mais je pense que je peux faire mieux encore sur les haies et je n’ai pas envie de les abandonner. Depuis que je suis rentrée en France fin mai, c’est vrai que j’ai eu du mal à retrouver des bonnes sensations et mes repères sur les haies. J’ai fait un 400 m plat à Troyes pour me changer les idées parce qu’au bout d’un moment, je commençais à avoir un blocage sur les haies. Et de courir sans pression sur le plat, ça m’a libérée et ça m’a ouvert une opportunité de continuer ma saison sur le sprint. Je prévoyais de faire un autre 400 m haies plus tard dans la saison, mais là je ne vois pas trop quand je pourrais… il y a beaucoup de choix et pour l’instant, je n’ai pas encore les réponses. J’ai du mal à savoir sur quoi je vais m’aligner aux prochains championnats de France. J’ai encore le temps de réfléchir mais c’est vrai que sur le sprint je commence vraiment à bien m’amuser. Mais d’un autre côté je sais que je peux m’améliorer sur les trois épreuves. Il me faut encore du temps pour réfléchir.

 

— Sur 400 m haies, vous êtes championne de France cadettes, juniors, espoirs et en Elite, vous connaissez donc une progression et un parcours linéaire et sans accroc sur la distance. Qu’est-ce que ça vous inspire ?

J’ai de la chance, je touche du bois. Je n’ai jamais connu de grosse blessure, j’ai toujours progressé d’année en année, par ci par là… J’espère que cette progression va continuer jusqu’à Paris 2024 où j’espère être dans la forme de ma vie. Mais c’est vrai que d’avoir le choix entre plusieurs disciplines, c’est juste énorme quoi.

 

Avez-vous l’impression d’avoir franchi un cap cette année ?

Complètement ! Et en plus de voir les chronos qui sont vraiment en progression, je pense que j’ai passé un cap grâce aux États-Unis, plus sur le plan mental, la gestion des émotions et des échecs aussi. Parce que là maintenant toute de suite, j’ai l’impression que tout me sourit, tout va bien, je n’ai jamais été aussi épanouie. Mais j’ai aussi galéré et douté une grosse partie de l’année avec tous les changements qu’il y a eu. Donc grâce aux USA, j’ai franchi un palier qui est bien plus dur à passer que le pallier chronométrique, c’est le palier de la confiance. J’ai pu prendre vachement en maturité. C’est quelque chose que je n’aurais pas forcément trouvé à Rennes, même si je suis certaine que j’aurais progressé aussi. Il y a des paliers qui demandent des choses plus grandes que seulement la zone de confort dans laquelle on est.

Propos recueillis par Briac Vannini
Crédits photos : Gaëlle Mobuchon / STADION

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