Paré d’argent aux Jeux paralympiques de Paris sur 100 m et 400 m, le sprinteur malvoyant Timothée Adolphe, aussi connu sous le surnom « Le Guépard Blanc », ambitionne de tout rafler aux Championnats du Monde de para-athlétisme à New Delhi, en Inde (27 septembre au 5 octobre). Entretien.
Le ton blagueur, Timothée Adolphe a son après-carrière toute tracée. De son fils Tilem à son retour à la compétition en passant par son enfance difficile, le sprinteur non-voyant s’est livré sans filtre pendant plus d’une heure. Grosse nouvelle, le nouveau licencié de l’AC Paris Joinville (Val-de-Marne) depuis début 2025 verra son staff s’étoffer avec un troisième guide dès l’année prochaine. Un visage bien connu de l’athlétisme tricolore.













— Timothée, vous avez subi une fracture du sustentaculum tali (cheville) aux Championnats de France en salle le 1er mars 2025 au Stadium Jean-Pellez dans le Puy-de-Dôme tout en décrochant le titre sur 60 m. Racontez-nous.
Le chrono n’est pas extraordinaire (7″24). On finit deuxième (derrière Axel Zorzi en 6″95), mais au point on est devant (995 contre 992, Timothée Adolphe étant classé en catégorie T11, réservée aux athlètes non-voyants et Axel Zorzi en T13 pour les malvoyants). C’est grâce à la table hongroise que l’on devient champion de France. En s’arrêtant, on voit que la cheville a gonflé. On pense seulement que ce n’est qu’une bonne entorse. Quelques jours plus tard, on fait une échographie et une IRM par précaution. On apprend qu’il y a probablement un arrachement osseux. On me demande de faire un scanner.
— Comment s’est passée votre rééducation ?
J’étais hyper réceptif au traitement. Tellement qu’il fallait peut-être accepter de perdre du temps pour en gagner par la suite. Dès le 5 ou 6 avril, on a pu refaire des lignes droites. Reprendre la course tranquillement. Et j’ai pu remettre les pointes aux alentours du 20 avril. Ça a été quand même assez rapide en réalité. On ne va pas se mentir : Je n’ai pas eu de réelle coupure après les Jeux (médaillé d’argent sur 400 m le 1er septembre 2024 et sur 100 m quatre jours plus tard). Inconsciemment, psychologiquement, ça m’a fait du bien. Il faut réussir à trouver du positif, ne pas se lamenter sur son sort.
« Contrairement aux valides, nous ne sommes pas invités. »
— Vous n’avez pas pu décompresser après les Jeux paralympiques, c’est-à-dire ?
Alors que j’étais déjà cuit nerveusement et physiquement, je n’ai pas arrêté avec les gars (ses guides Charles Renard et Jeffrey Lami) de répondre à des sollicitations jusqu’à fin octobre. Le coach (Dimitri Demonière) voulait que l’on reprenne mi-octobre. Ce n’était pas possible, on avait des interventions jusqu’au 20. On a donc repris l’entraînement le 29 octobre. L’objectif principal de la saison est encore un peu loin. Les Mondiaux de para-athlétisme auront lieu à New Delhi, en Inde, du 27 septembre au 5 octobre.



— Paris, terres d’exploits et de désarroi. Au vu de ce qui s’est passé lundi 2 juin dernier avec Charles Renard (starting-blocks défectueux à l’Handisport Open Paris 2025 au stade Charléty), l’héritage des Jeux n’a pas lieu ?
Le HOP fait partie du circuit Grand Prix, l’équivalent de la Diamond League chez les valides. Contrairement aux valides, nous ne sommes pas invités. C’est encore la grosse différence, le gros gouffre. On paye nos déplacements, on paye l’hébergement, il n’y a aucune invitation. S’il y a une prise en charge, elle est uniquement de la part des fédérations pour leur sportif. À l’inverse des deux dernières années, en 2023 et 2024, il y avait peu de public. L’événement se déroulait le lundi, mardi et mercredi. Ce n’est pas étonnant.
Effectivement on en arrive au matériel. La tige du bloc est tordue, ce qui fait que quand tu sors de ton start et quand tu pousses un minimum, c’est dangereux. L’athlète risque de se blesser. Il n’y a pas eu d’héritage des Jeux. C’est du vent. Les Jeux paralympiques à peine terminés, il y avait un nouveau gouvernement (composition du gouvernement de Michel Barnier annoncée le 21 septembre 2024). Dans le livre officiel sur les Jeux, pas une photo sur les paralympiques. On arrive en février 2025, deux décennies depuis que la loi sur l’accessibilité des lieux publics a été votée (Loi « Handicap » adoptée le 11 février 2005). On en est toujours au même point 20 ans plus tard.
« Christophe Naliali devrait intégrer l’équipe. Il n’aura pas juste un rôle de remplaçant. »
— Allez-vous étoffer votre staff, en plus de Charles Renard sur 100 m et Jeffrey Lami sur 400 m ?
L’année prochaine, on va garder les mêmes ingrédients mais on va rajouter un back-up pour pallier aux blessures de l’un ou de l’autre (Jeffrey Lami était blessé à l’ischio-jambier récemment). Ce n’est jamais évident. Et il y a un contact.
— Un nom à dévoiler ?
Christopher Naliali (record personnel en 45″93 sur 400 m en 2022, 4 sélections). C’est un profil qui nous intéresse. Il est étiqueté comme un coureur de 400 m. Mais c’est un gars qui est extrêmement polyvalent (10″36 sur 100 m et 20″76 sur 200 m). Il faut que l’on en discute. Mais il devrait intégrer l’équipe. Il n’aura pas juste un rôle de remplaçant. Ce sera celui avec lequel je suis le plus performant qui je partirai. Ça va remettre aussi une émulation dans l’équipe. On a des gars qui ont de belles personnalités humaines. Ce sera une concurrence saine.
« Mon fils pourra se vanter d’être peut-être le seul gamin à avoir fait toute la zone mixte des Jeux. »
— Vous déclarez : « Treize ans, j’écris mes premiers lyrics. Réservé, le rap me permet de poser ce que je ne peux pas dire » (paroles de son titre A la base issues de son album Guépard Argenté sorti en 2025). Parlez-nous de votre enfance…
Quand tu es jeune, le handicap n’est pas facile. Même si je ne vois pas ou peu, ça n’est pas une excuse pour ne pas faire les choses. J’ai beaucoup lutté pour essayer de trouver ma place. À l’adolescence, comme beaucoup, je me suis renfermé. J’étais dans une période compliquée de ma vie. Je dois arrêter l’athlétisme. Je ne retrouve pas de club qui veut m’accueillir. Ma vue commence à se dégrader sérieusement. Je suis quelqu’un qui intériorise beaucoup. Par le rap, je réussissais en écrivant à sortir des choses que je n’arrivais pas à dire à mes proches.
— Vous avez écrit une chanson pour votre fils Tilem (Pâtes au choco). Il a bientôt 6 ans et est atteint d’une sténose aortique (malformation cardiaque). Est-ce le plus beau cadeau de votre vie ?
La chance que l’on a, c’est qu’ils (les médecins) n’ont jamais eu d’aussi bons résultats. C’est le cas de référence en France. Je suis séparé de sa maman. Je l’ai un week-end sur deux et la moitié des vacances. On sait qu’il doit être réopéré avec 15% de chances de mortalité. Il pourra se vanter d’être peut-être le seul gamin à avoir fait toute la zone mixte des Jeux ! Au final, ce n’était pas plus mal. Il voit son père qui court à deux mètres de lui, qui ne lui parle pas. Il se dit : « Mais pourquoi papa ne me calcule pas ? ». Le fait d’avoir eu ce moment privilégié lui a permis de comprendre tout le cheminement. Pouvoir le prendre dans mes bras était magique.
Propos recueillis par Renaud Chevalier
Crédits photos : KMSP / CNOSF