Peu connu du grand public il y a encore un an, Yanis Meziane a séduit l’ensemble des passionnés d’athlétisme en 2023. Champion d’Europe espoirs du 800 m à Espoo (Finlande), aux portes de la finale aux Mondiaux de Budapest et auteur d’une fin de saison fulgurante, avec une quatrième place en 1’43″94 lors de la finale de la prestigieuse Diamond League à Eugene, le demi-fondeur de 21 ans doit sa progression, notamment, à l’augmentation de sa charge d’entraînement. En douze mois, le pensionnaire de l’Athlé 91 a fait passer son record personnel en 1’45″52 à 1’43″94 et s’impose comme le grand espoir du 800 m français. L’étudiant à Polytech Sorbonne pense déjà à la suite et notamment aux Jeux olympiques de Paris 2024. Découverte d’un athlète à la tête bien faite.
YANIS
MEZIANE
YANIS
MEZIANE
Yanis Meziane en chiffres
CHAMPION D'EUROPE U23
RECORD PERSONNEL SUR 800 M
TITRES DE CHAMPION DE FRANCE U23
SÉLECTIONS EN ÉQUIPE DE FRANCE
— Yanis, comment s’est déroulé votre stage à Potchefstroom, en Afrique du Sud ?
Super ! Les conditions étaient top et on s’est bien entraînés. C’était la première fois que j’allais à « Potch » mais les athlètes m’avaient déjà un peu raconté comment c’était là-bas. Je n’avais jamais fait de stage en décembre. C’était un peu un mix entre continuer à faire du volume, du foncier, tout en ayant la possibilité quand même d’effectuer un travail de qualité avec quelques séances de vitesse. J’ai eu la chance de pouvoir être accompagné de Paul Anselmini (médaillé de bronze à l’Euro U23) et ça m’a permis d’avoir un partenaire d’entraînement avec qui j’ai fait quasiment toutes les séances. On a fait dès qu’on pouvait des sorties avec les coureurs de 800 m (Benjamin Robert et Gabriel Tual) ou même avec Jimmy Gressier ou Azeddine Habz. C’est sympa, on a tous appris à se connaître un peu mieux.
— Comment était l’ambiance pendant ce stage avec l’équipe de France ?
Il est vrai que sur des Championnats du monde on est tous dans notre compétition donc on ne peut pas être complètement relax. Pendant le stage, l’atmosphère était beaucoup plus détendu avec des soirs où l’on jouait ensemble aux jeux de cartes. J’ai pu apprendre à connaître plein de nouvelles personnes et je pense que c’est important de créer et de renforcer des liens avant les championnats où justement on n’a peut-être pas forcément le temps pour ça.
« Au fur et à mesure des courses, j’ai vu que ce n’était pas un niveau inatteignable »
— Nous auriez-vous pris pour un fou si on vous avait dit il y a un an à cette même période que vous auriez réalisé l’année 2023 que vous venez d’effectuer ?
Je ne pensais pas forcément arriver au stade auquel je suis maintenant, c’est-à-dire en étant finaliste de la Diamond League, en étant quatrième. Je ne m’y attendais pas forcément. Mon objectif principal en 2023, c’était la médaille d’or aux Championnats d’Europe espoirs et je suis très content parce que j’ai réussi à l’atteindre. Forcément en visant cet objectif, je savais que faire les minima pour les Championnats du Monde ça allait de soi, et être sélectionné pour Budapest, c’était aussi quelque chose d’important pour moi. Finir dixième mondial aux portes de la finale (à sept centièmes du top 8), forcément sur le moment on avait envie de faire mieux et même j’étais frustré. Avec du recul, je pense que c’est quelque chose qui n’était pas forcément espéré encore l’année dernière, donc là-dessus aussi j’étais très content.
— C’est vraiment la seule petite ombre au tableau de votre saison…
Ça me donne beaucoup de motivation pour la suite, c’est clair.
— Vous avez pris part à seize 800 m l’été dernier mais on a l’impression que vous auriez pu en faire 20 et que le chrono aurait pu descendre encore…
Je pense qu’à la toute fin, c’est-à-dire à Eugene, je sentais que la fatigue commençait vraiment à arriver. Je ne m’attendais pas forcément à battre tout le temps mon record. Au final, j’ai tenu beaucoup de courses. C’est cool. Ça permet de voir que je n’ai pas forcément le meilleur foncier du monde. Et pourtant, j’arrive à enchaîner des courses.
— Que représente pour vous ce chrono de 1’43″94 réalisé à deux reprises à Bruxelles (8 septembre) puis Eugene (17 septembre) ?
C’est la prise de confiance au fur et à mesure des courses, notamment sur les Meetings de la Diamond League. Ma première expérience sur ce circuit était à Paris (9 juin) où je courais avec des finalistes olympiques et mondiaux. Forcément, t’es un peu intimidé même si tu sais que le but c’est de bien courir et que t’as le niveau pour faire un bon 800 m. Je me disais qu’ils étaient encore meilleurs que moi. Au fur et à mesure des courses, j’ai vu que ce n’était pas un niveau inatteignable, qu’il y avait des gars que je pouvais battre même si ce sont des finalistes mondiaux. J’ai su que je pouvais faire de mieux en mieux. Et puis à Bruxelles, j’ai pris la tête de la course sans me soucier que derrière ça allait me battre. J’ai couru pour gagner. C’est ce déblocage-là qui a fait que j’ai passé un cap au niveau des chronos.
« 2023 a finalement été une confirmation en compétition »
— Des chronos de top niveau mondial qui doivent vous ouvrir l’appétit…
Si je veux vraiment faire partie des meilleurs, il y a encore un petit cap à passer, une petite progression, et pour cela, je compte sur l’entraînement et sur l’accumulation d’expérience jusqu’aux Jeux olympiques où j’espère que je ferai partie des tout meilleurs.
— Quelles sont les clés de votre progression ?
J’ai changé d’entraîneur l’année dernière pour rejoindre Boris Le Helloco. Tout de suite, j’ai intégré des séances de musculation, je n’en faisais pas du tout avant. Pendant deux ans à Étampes (Essonne), j’étais tout seul sur les séances spécifiques. Maintenant j’ai tout un groupe avec lequel je peux bien m’entraîner sur des séances un peu plus longues, ce qui a aussi permis de contribuer à ma progression. Toutefois, la vision de l’entraînement des deux entraîneurs reste sensiblement la même.
— Vous avez gagné près de deux secondes sur votre record personnel en 2022 (1’45″52 à Strasbourg)…
Au-delà de ma saison 2023, je pense que ce chrono de 1’45″52 en 2022, c’est le plus inespéré de tous dans le sens où je m’entraînais tout seul. 2023 a finalement été une confirmation en compétition et je me suis amélioré grâce à une plus grande professionnalisation à l’entraînement.
— Selon vous, quels sont vos principaux axes de progression ?
Ce qui me manque par rapport aux autres coureurs de 800 m, c’est le foncier et le travail de VMA. J’ai un profil plutôt « 400-800 m ». Toutefois, l’année dernière, j’avais ce niveau-là en foncier et ça ne m’a pas empêché de faire des très bonnes performances sur 800 m. La vision de mon coach, c’est qu’il faut conserver ses points forts et les renforcer. C’est-à-dire, la résistance lactique et la vitesse. Il faut aussi que je progresse dans les axes où je suis peut-être encore un peu moins bon, c’est-à-dire la musculation, vu que j’ai commencé que récemment.
« C’est la compétition, mais c’est la compétition saine »
— Aujourd’hui, le 800 m s’apparente plus à un sprint long qu’à du demi-fond….
Je considère qu’il y a deux écoles, il y a ceux qui pensent qu’il faut être très bon en foncier pour pouvoir enchaîner les deux tours. Et moi je considère qu’il faut avoir une très bonne vitesse si justement tu veux passer le premier tour très vite pour ensuite faire un gros chrono. Donc c’est deux écoles différentes, moi je fais plutôt partie de celle qui avantage le sprint. Je pense que mon chrono de 47″54 sur 400 m est perfectible parce que je l’avais fait en début de saison lors du premier tour des Interclubs. Mais quand on regarde les meilleurs mondiaux, la plupart ont des chronos en 45 secondes.
— On dit souvent que l’âge d’or pour un coureur de 800 m, c’est entre 22 et 24 ans. Qu’en pensez-vous ?
J’avais entendu que c’était plutôt vers 26 ans mais après je pense que ça change pour chacun. Je pense que si je peux être bon dès maintenant, je ne vais pas m’en priver. Et puis si à 28 ans, je reste très bon, je ne vais pas me dire mon âge d’or est passé. Je pense que c’est se fixer des limites inutilement.
— Quel est votre avis sur le niveau du 800 m français aujourd’hui ?
Je trouve qu’il est incroyable. On doit être dix Français à pouvoir faire sous les 1’46, ce n’est pas déconnant. Et je pense que ce qui est bien, c’est que ça nous tire tous vers le haut. Là, même pour l’année olympique, on est déjà trois à avoir réalisé les minima. Mais on n’est pas du tout à l’abri. Je pense qu’il y aura un quatrième ou peut-être un cinquième athlète qui nous rejoindra. Je pense qu’on peut se comparer au niveau qu’il y a sur le 110 m haies. Cela crée une émulation positive et on s’entend relativement bien entre nous. C’est la compétition, mais c’est la compétition saine. Moi, je kiffe. Je pense que s’il n’y avait pas eu ce niveau-là, peut-être qu’on n’aurait pas forcément fait les perfs qu’on a faites maintenant.
— Avez-vous une idée de votre programme cet hiver ?
Normalement, ça ne va pas être un objectif. En tout cas, les Championnats du Monde à Glasgow (1er au 3 mars 2024), je ne les ferai pas. Après, peut-être que je ferai une sortie en salle afin de courir une seule fois et de voir un peu au niveau de l’entraînement où j’en suis. Si je peux rentrer à Liévin (10 février), ce serait sympa.
— Il y a trois échéances importantes cette année avec les Championnats d’Europe à Rome (7 au 12 juin), les Championnats de France Elite à Angers (28 au 30 juin) puis les JO de Paris (1er au 11 août). Est-ce que vous arrivez un peu à vous projeter ?
L’année dernière, avec mon coach, on avait réussi à garder une bonne forme sur toute la saison mais c’était peut-être un peu plus étalé. Il va falloir gérer tout ce programme. Je fais confiance à mon coach là-dessus. Il y aura peut-être des opportunités de grosses courses que je ne vais pas pouvoir forcément faire parce qu’on va peut-être privilégier l’entraînement pour être en forme lors de ces trois compétitions.
— Les Championnats de France Elite vont être capital dans la distribution des billets…
Il faut qu’on se dise que les Jeux, ça commence dès les Championnats de France. Surtout si on a un quatrième ou un cinquième qui font les minima.
— Quelle place ont les Championnats d’Europe à Rome dans vos objectifs en 2024 ?
Avant les JO, je pense que c’est bien de se mesurer au gratin européen. Même si on n’aura pas forcément le même niveau entre ces deux compétitions, c’est quand même important. Ce n’est pas parce qu’il y a les JO en France qu’il faut se priver de tout. Je pense que c’est une bêtise de réfléchir de cette façon.
« Paris, c’est un objectif assez récent »
— Vous avez commencé l’athlétisme relativement tôt, en école d’athlé. Vous souvenez-vous de ce qui vous avait plu ?
Il y a eu les JO en 2008 à Pékin. C’était la première fois que je regardais une grande compétition internationale. J’étais vraiment fan de handball à ce moment-là. J’en pratiquais en club. J’étais un bon joueur, peut-être que j’aurais pu aller en régional. J’aimais bien aller en match tous les week-ends. Mon père, à côté, m’avait inscrit à l’athlétisme parce que j’avais bien aimé l’athlétisme. Mais ce que je voulais, c’était le handball. J’ai fait les deux sports pendant dix ans. C’est comme ça que je suis arrivé dans l’athlétisme.
— Où en êtes-vous au niveau des études ?
Je suis en quatrième année en école d’ingénieurs à Polytech Sorbonne, en spécialité agroalimentaire. Ça me permet d’avoir une sorte d’équilibre entre le sport, les études et la vie un peu plus privée. J’ai des aménagements qui me permettent d’alléger mon emploi du temps. Je ne sais pas encore ce que je vais faire comme métier mais des stages en entreprises me permettront d’avoir une idée plus claire.
— Que représentent pour vous les Jeux olympiques de Paris 2024 ?
C’est plus qu’une étape dans ma carrière. Paris, c’est un objectif assez récent. Il y a deux ans, quand je décroche la médaille de bronze aux Championnats d’Europe juniors, j’étais encore trop jeune pour pouvoir atteindre cet objectif. On pensait plutôt aux Jeux qui arrivent à Los Angeles en 2028. Là, cette année, c’est vraiment un objectif.
— On imagine que vos parents doivent être fiers de vous…
Oui, c’est clair. Je suis né à Nishihara, au Japon. On a fait tout un voyage avant d’arriver à Étampes. Mon père m’a toujours accompagné sur toutes les compétitions. Quand j’ai commencé à prendre l’athlétisme au sérieux, j’ai tout de suite pu compter sur mes parents. C’est un pilier, heureusement que j’ai leur soutien.
Note de la rédaction : L’interview a été réalisée le 22 décembre dernier, avant l’annonce de la fin de carrière de Pierre-Ambroise Bosse.
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