Avant de tenter de descendre sous la barre symbolique des 4 minutes sur le Mile (1609 m) à Paris le 26 juin au stade Charléty, Faith Kipyegon, triple championne olympique du 1500 m (Rio 2016, Tokyo 2021, Paris 2024), a longuement échangé depuis le Kenya sur son projet « Breaking 4 » qui fait évidemment écho à « Breaking 2 » d’Eliud Kipchoge, son ami, impulsé par son équipementier Nike à l’occasion d’une visio-conférence organisée par la marque à la virgule. Interview !
On a cru la louper. Et puis à 16h16 ce mercredi 18 juin, après un léger retard, elle est apparue, tout sourire comme à son habitude. Décontractée, sereine, souriante, Faith Kipyegon est aussi à l’aise en dehors des pistes que sur les pistes. À huit jours de relever l’un des défis les plus fous de l’histoire de l’athlétisme, la multiple recordwoman du monde (1500 m et mile) s’est prêtée pendant plus d’une demi-heure au jeu des questions-réponses avec beaucoup de sympathie à des journalistes obnubilés et passionnés par ses propos. La maman d’une petite fille prénommée Alyn depuis 2018 devra abaisser sa marque de référence sur le Mile d’au moins 7’65 pour dompter ce seuil longtemps considéré comme une limite infranchissable, soit environ deux secondes par tour dans l’écrin de la capitale parisienne. L’exploit serait énorme.


— Faith, vous avez eu tellement de moments importants dans votre carrière. Comment vous préparez-vous mentalement pour cette tentative ?
Je suis mentalement forte et je crois dans tout ce que je fais. Je crois en l’entraînement. Je crois dans le fait de me réveiller pour inspirer la prochaine génération, je crois dans tout ce qui a été fait depuis que j’étais plus jeune, quand j’étais en train de m’entraîner, jusqu’où j’en suis aujourd’hui. Cela m’a vraiment donné cette envie de me réveiller et d’aller à l’entraînement et d’être forte.
— Quelle est la partie la plus épuisante mentalement ?
Parfois, il y a des défis dans tout ce que la personne fait. Se réveiller tôt le matin (à 5h40 du matin, Ndlr), pour nous, c’est un défi, chaque fois. Se réveiller avant que tout le monde ne se réveille et participer à cette course, rêver de réussir et inspirer la prochaine génération.
— Vous avez affirmé : « ce qu’un homme peut faire, une femme peut le faire aussi ». Comment cette mentalité a-t-elle formé votre approche physique et mentale ?
C’est ce qui m’a beaucoup motivée. Vous ne pouvez pas vous limiter. Vous devez rêver et tout faire pour réaliser ce rêve. Croyez-en vous-même que tout peut se faire. Pas seulement un homme peut le faire, mais une femme peut le faire. Nous avons tous le même rêve, mais nous devons réveiller les consciences et faire en sorte que ce rêve soit réalisé.
« Elles doivent rêver et faire de leurs rêves une réalité. »
— Quel est le meilleur conseil qu’un entraîneur vous ait donné ?
Je dirais que mon entraîneur est comme mon père. Il a été là pour moi depuis que je l’ai rejoint. Mon entraîneur Patrick (Sang) m’a toujours dit d’être patiente, de se concentrer. Je crois en mon entraîneur. Je crois en tout. Vous savez, quelque chose ne va jamais arriver facilement si vous ne vous entraînez pas.



— Quand vous avez essayé la chaussure et la tenue pour la première fois en vue de cette tentative de record, quelles étaient vos premières impressions ?
Ça avait l’air tellement bien. C’était vraiment beau. Surtout l’aspect visuel. Quand je l’ai portée, c’était tellement léger. Vous vous sentez tellement à l’aise. Vous n’avez l’impression de rien porter. Vous avez quelque chose, mais c’est très léger.
— Quel message espérez-vous envoyer à votre fille et aux jeunes filles ?
Elles doivent rêver et faire de leurs rêves une réalité. Parce que la prochaine génération va nous regarder, nous devons leur montrer la voie. C’est ce que je fais maintenant. En ce moment, Alyn, ma fille, ne comprend pas ce que je vais faire (sourires). Mais quand elle aura un peu grandi, elle comprendra que j’ai inspiré beaucoup d’autres.
« Eliud m’a beaucoup inspirée. »
— Vous vous rendez au Stade Charléty où vous aviez inscrit votre nom en battant le record du monde sur 1500 m en 3’49’’04 le 7 juillet dernier. Revenir en France dans la capitale vous donne-t-il un supplément d’âme ?
Absolument, oui. J’ai de beaux souvenirs à Paris. J’ai cassé mon record de 5000 m (14’05″20 le 9 juin 2023, avant qu’il soit battu la même année par Gudaf Tsegay en 14’00″21 à Eugène, ndlr), j’ai cassé mon record de 1500 m. Et maintenant, je vais participer à une course spéciale. J’espère voir mes fans là-bas. Je sais que beaucoup de Kenyans sont là-bas. Mes fans vont être partout dans le monde. J’espère que pour ceux qui ne seront pas là-bas, ils vont regarder en live. J’espère recevoir du soutien et des acclamations vers la ligne d’arrivée.
— Eliud Kipchoge vous attendra à l’issue de votre course. Vous êtes amis et partenaires d’entraînement depuis longtemps. Premier homme à briser la barre des 2 heures sur marathon (1h59’40 à Vienne le 12 octobre 2019), vous a-t-il distillé des conseils au cours de votre préparation ? Que représente-il pour vous ?
Ce sera tellement génial. Ce sera merveilleux de voir Eliud après la ligne de fin. Ce sera tellement bien. Et ma famille, en face de tous mes fans, nous avons réussi ce que beaucoup pensaient être impossible. Et c’est devenu possible. C’est vraiment spécial pour moi. Eliud m’a beaucoup inspirée.
— Quel est votre rituel avant une grande course ?
Je prie Dieu. Je prie toujours avant de m’allonger, avant de sortir pour l’entraînement. Et avant aussi de courir. On met Dieu d’abord, avant de faire tout. Pour moi, je prie beaucoup.
— Faites-vous d’autres activités pour vous préparer mentalement ? Lire, méditer, le yoga par exemple ?
Eh bien, j’aime regarder des films drôles. Les films drôles me font rire, et me permettent de mettre la tension un peu de côté. Quand vous riez, vous oubliez.
— Lesquels ?
J’aime les films du Nigeria. Les films africains. La liberté, être capable de rire et être capable se détendre un peu est la meilleure médecine.
« C’est vraiment une tenue unique. »
— Vous aimez la couleur violette. Que représente-elle pour vous ?
C’est ma couleur préférée. Ça symbolise l’amour de mon pays. C’est presque une combinaison de nombreuses couleurs. Et si vous regardez doucement, vous pouvez voir que c’est la couleur du Kenya. Il y a aussi du vert. Et ça symbolise la prochaine génération des jeunes, comme Alyn. Il y a un lien avec les chaussures. Il faut mélanger les couleurs pour obtenir le violet.






— Au point de vous faire les cheveux violets ?
Je ne sais pas. On verra la semaine prochaine (sourires).
— Quelle est la grande différence entre votre kit de course typique comparé à cette veste que vous allez utiliser la semaine prochaine ?
La différence est la longueur du short. Le short avec cette veste est un peu plus long comparé à l’uniforme de l’année 2025. Et en même temps, le matériel utilisé dans la veste est totalement différent comparé à l’uniforme de l’année 2020, celui que nous utilisons dans la Diamond League. Il est très léger, très confortable. C’est vraiment une tenue unique. Il y a beaucoup de différences entre les deux tenus. J’adore celle que je vais porter la semaine prochaine. C’est long, je ne l’ai jamais utilisée dans n’importe quelle compétition. Nous allons expérimenter ce que beaucoup de gens n’ont jamais expérimenté. Pour moi, tout sera nouveau. Le tenue sera nouvelle, la configuration de la veste sera nouvelle. C’est pourquoi je dois prendre le défi au sérieux.
Propos recueillis par Renaud Chevalier
Crédits photos : NIKE