De retour à la compétition après une blessure à la jonction entre le tendon et le mollet contractée lors d’un stage de préparation à I’INSEP mais qui traînait depuis les Championnats d’Europe en salle à Apeldoorn (Pays-Bas), Amandine Brossier entend bien s’octroyer un cinquième titre Elite en plein air sur 400 m à Talence début août et se qualifier pour la finale des Mondiaux de Tokyo (13 au 21 septembre), son principal objectif de la saison. Entretien !
Elle a inauguré son nouveau bolide, le RCR Van Rysel 105, pour nous rencontrer. La quadruple championne de France du tour de piste en plein air Amandine Brossier nous a donné rendez-vous dans un café du centre-ville de la cité du Roi René, son fief. Lunettes de soleil sur la tête, smoothie dans la main droite, la sociétaire du SCO Angers Athlé est revenue sur les Jeux olympiques de Paris et de Los Angeles, son rapport avec la concurrence et ses ambitions futures pendant près de 40 minutes. Passionnant.
— Amandine, sur Instagram, vous déclariez pendant votre retour de blessure : « le Wattbike est mon meilleur allié ». Pourquoi ?
J’ai essayé de transformer toutes les séances de sprint, d’aérobie sur des équipements qui ne sont pas sensibles pour les tendons et mollets, tout ce qui ne me faisait pas mal. J’ai continué à m’entraîner énormément. J’ai tout de suite recommencé à faire du renforcement, en plus de toutes ces séances d’entraînement, même si parfois, elles étaient moins longues, parce que je ne courais pas.
— Comment jugez-vous votre reprise estivale sur 400 m (52″10 à Paris le 20 juin, 52″08 à Madrid le 27 juin) ?
Ça me fait plaisir de reprendre la compétition. C’est vraiment un point important. J’avais hâte, parce que ça faisait un petit moment depuis cet hiver (dernière course avant sa blessure sur 400 m le 7 mars et sur 4×400 m deux jours plus tard) même si c’est sûr que ce n’est jamais évident de reprendre et de savoir que je ne suis pas au top de ma forme, du fait de la saison qui est encore longue et de ma blessure. Ce n’est pas hyper agréable, surtout sur 400 mètres, surtout avec l’expérience que j’ai, de ne pas forcément sentir les bonnes sensations à l’entraînement. J’ai souvent eu des débuts de saison un peu compliqués. Je sais que j’ai besoin aussi de cette émulation. Je suis toujours beaucoup plus forte en compétition qu’à l’entraînement.
« Aujourd’hui, se qualifier aux Championnats du Monde en 51″00, ça ne veut rien dire »
— Près d’un an après vécu les JO à Paris, quels souvenirs gardez-vous (5e sur 4×400 m femmes / 8e sur 4×400 m mixte) ?
Le sentiment, il est un petit peu mitigé parce que forcément, j’ai profité à fond et j’ai vécu vraiment l’instant présent aux Jeux. On va dire qu’il est un peu adouci, même si c’est vrai qu’il y a un an, les souvenirs sur les réseaux sociaux, sur le téléphone, c’était il n’y a pas si longtemps. Avec mon entraîneur (Sullivan Breton), on l’a vraiment vécu comme un deuil. Ça a été assez compliqué quand même de faire une croix sur ma participation individuelle, alors que ça faisait des années qu’on le préparait et qu’on y croyait vraiment. On avait raison d’y croire aussi parce que mon chrono, juste après à Monaco, l’a prouvé (50 »43 au Meeting Herculis EBS sur le Rocher le 12 juillet 2024, minima fixés par la FFA à 50″95 pour les Jeux olympiques de Paris en poche mais au-delà de la date limite du 30 juin). C’était assez frustrant de savoir que j’en avais les capacités et qu’on n’a pas réussi à le mettre en place à temps. Ça fera partie de mon histoire. Mais la douleur, elle est toujours là. C’était une super belle fête. J’en garde un super souvenir. C’est un petit peu entaché. C’est la vie : il y a des hauts et des bas.




— Vous aviez validé votre ticket pour les JO de Tokyo en 51″25 (minima à 51″35). À Paris, ils étaient fixés à 50″95, ceux pour les Mondiaux 2025 à 50″41. Selon vous, est-ce que cette approche de la FFA axée sur la haute performance vous dessert-elle ? Ou au contraire, vous-pousse-t-elle à viser encore plus haut ?
Disons que j’ai arrêté d’essayer d’être négative et de critiquer ce qui essaie d’être mis en place. Je comprends, enfin je respecte en tout cas la stratégie et la politique. J’ai lu les modalités, mais je ne me fixe pas forcément là-dessus parce que mon objectif, c’est vraiment de courir le plus vite possible. Je ne me fixe pas trop de limites, même si je connais les minima et je les ai en tête. Le niveau mondial a augmenté. Aujourd’hui, se qualifier aux Championnats du Monde en 51″00, ça ne veut rien dire. On ne va pas exister. Je comprends aussi la logique, même si ce que je trouve juste compliqué dans la saison, c’est de devoir faire plusieurs pics de formes. Mon objectif, c’est vraiment d’être finaliste sur les Championnats du monde à Tokyo, mais avant, je dois me qualifier. C’est compliqué d’avoir une première étape qui est finalement la plus importante comme c’était le cas pour les Jeux. J’avais beau être prête pour les Jeux, j’ai raté la première étape. C’est juste ça qui est un peu frustrant.
« Pouvoir mettre mon nom avant celui de Marie-José Pérec, ça serait cool »
— Derrière ce constat, les moyens suivent-ils ? Concrètement, comment arrivez-vous à vous financer ?
Si j’arrive à avoir un équilibre et à ne pas avoir de travail à côté, c’est grâce à ma recherche de sponsor. La fédération me salarie : j’ai l’équivalent d’un mi-temps du fait de nos résultats aux Jeux olympiques sur le relais (5e sur 4×400 m femmes / 8e sur 4×400 m mixte). C’est déjà super. Au lendemain des Jeux, j’ai perdu beaucoup de mes financements : bon nombre d’entreprises me soutenaient parce que c’était une visibilité et que ça fédérait les salariés.
— En France, vous êtes la patronne sur 400 m, avec quatre titres de championne de France consécutifs en plein air depuis 2021. Est-ce que ce manque de concurrence est-il un frein en termes de performance ?
Oui, c’est sûr. Je l’avais dit aussi sur les championnats de France Elite cet hiver (quatrième titre en salle à Miramas le 23 février 2025). Ça avait pu être pris un peu maladroitement, donc je fais attention à ce que je dis maintenant (sourires). Alors que Louise (Maraval) n’avait pas réussi à se qualifier pour la finale (élimination dès les séries), j’avais dit que c’était dommage parce que justement, je la savais en forme parce qu’on avait fait des séances ensemble (à Nantes) et j’aurais bien aimé me battre avec elle. C’est un défi de pousser ses limites à chaque fois. On voit bien que même dans les autres pays ou sur d’autres disciplines en France, dès qu’il y a plusieurs personnes d’un même niveau, ça hausse le niveau tout de suite.




— Vous êtes la deuxième performeuse française de l’histoire sur le 400 m en salle en 51″67 (Metz le 3 février 2024). Pensez-vous vous donner l’objectif dès l’hiver prochain de battre le record de France de Marie-José Pérec (51″44 en 1996 à Liévin) ?
Quand j’ai battu mon record, je me suis dit que ce n’était pas si loin. Cette année, je me sentais très en forme, mais je pense que mon pic de forme était un peu plus tard dans la saison. L’hiver est assez court, il n’y a pas beaucoup de sorties. J’ai manqué un peu de temps pour aller le chercher. Mais forcément, c’est un objectif. Disons que le record du 400 m à l’extérieur n’est vraiment pas à ma portée (48 »25 le 29 juillet 1996 en finale des Jeux olympiques d’Atlanta de Marie-José Pérec), autant celui en salle, il l’est beaucoup plus. Pouvoir mettre mon nom avant celui de Marie-José Pérec, ça serait cool.
« Quand on voit la finale des JO de Paris avec trois athlètes sous les 49 secondes, ça fait rêver »
— Vous vous entraînez au Stade Mikulak du Lac de Maine depuis plus de 10 ans. Que représente-t-il ?
Le stade, je le connais par cœur. Je prends toujours autant de plaisir à y venir. En fait, mon meilleur et mon pire moment, ce sont les championnats de France. Mon premier titre de championne de France, c’était à Angers en 2021 (le 26 juin). C’était magnifique, il y avait plein de gens qui étaient là pour moi, c’était une des premières fois où j’avais pas mal d’amis, de famille qui étaient là, tout le monde réuni, et c’était un titre que je venais vraiment chercher. De réussir à le conquérir, c’était trop bien. En plus, c’était juste avant Tokyo, j’avais fait les minima deux semaines avant (à Genève le 12 juin), c’était parfait. Au contraire, en 2024, c’est mon pire souvenir, j’ai envie de dire, même si c’était quand même beau, parce que j’étais à Angers, je viens quand même décrocher un titre de championne de France qui n’est pas non plus anodin, mais en même temps, il y a cette grosse déception (pas de qualification individuelle pour les JO de Paris).
— Quel regard portez-vous sur les performances de la Dominicaine Marileidy Paulino qui domine le 400 m mondial depuis quelques années ?
C’est une athlète très discrète que j’apprécie bien que je n’ai pas plus de discussions que ça avec elle. Je trouve juste stratosphérique ce qu’elle est capable de faire et d’enchaîner. Je suis très admirative de ses performances. C’est un exemple. Quand on voit la finale des JO de Paris avec trois athlètes sous les 49 secondes, ça fait rêver. C’est ce vers quoi j’ai envie de tendre.
— Refoulerez-vous les parquets de basket à l’issue de votre carrière d’athlète, votre sport d’enfance pendant 13 ans ?
Je ne suis pas sûre. C’est hyper prenant le basket. Quand j’ai commencé l’athlétisme, au début ça me faisait bizarre d’ailleurs d’avoir des week-ends de disponibles. J’aimerais bien découvrir d’autres sports, peut-être plus des sports en nature. Actuellement, je teste le vélo. J’ai accompagné des copains sur des triathlons. Je suis allée les encourager. J’aimerais trop en faire même si je suis nulle en natation. J’ai quelques connaissances dans le rugby à 7 aussi. La vie est trop courte. Il faut que je profite de mes facultés physiques.
« C’est vraiment l’objectif de pouvoir faire trois olympiades »
— Vous admirez la basketteuse Céline Dumerc et Justine Dupont, championne du monde de surf de grosses vagues…
Chez Céline, j’aime bien sa détermination, le contrôle de ce qu’elle a sur le jeu, sa vision du jeu, elle ne lâche rien, c’est une guerrière sur qui tu peux compter. Sur le parquet, je la trouvais très hargneuse, et j’adore ce côté-là. Et Justine Dupont, j’ai pu la rencontrer à un événement adidas, elle est trop cool, vraiment relax, comme dans son sport. C’est la meilleure du monde, elle est engagée pour la planète aussi. Elle prend énormément de kiff dans ce qu’elle fait. C’est inspirant.






— Comment va se construire votre olympiade jusqu’à Los Angeles en 2028 ?
C’est vraiment dans un coin de ma tête, même si c’est vrai que quatre ans, c’est encore long. Il peut se passer beaucoup de choses. C’est vraiment un objectif. Honnêtement, quand on a goûté aux Jeux, ça nous manque, toute cette ambiance, cette adrénaline qu’on a eue, même si je sais que ce seront des Jeux qui sont différents, parce que ça ne sera pas à la maison, mais oui, c’est vraiment l’objectif de pouvoir faire trois olympiades. On a quand même de la chance d’avoir des gros championnats chaque saison. C’est super important pour moi, de pouvoir retourner justement à Tokyo dans le stade olympique, qui va être plein cette fois, c’est une première étape. Les championnats d’Europe l’année prochaine (Birmingham, 10 au 16 août) sont à ma portée pour aller chercher une première médaille internationale. Je ne me dis pas que j’ai besoin de gros changements pour pouvoir performer. Certes, je suis descendue qu’une seule fois sur les 51 secondes en compétition (50″43 au Meeting de Monaco en 2024) mais je vois aussi mes concurrentes qui descendent sous les 50 secondes et je me dis que je ne vaux pas moins qu’elles, et puis mince, je suis originaire du Maine-et-Loire, donc je vais essayer de courir sous les 50 secondes (rires).
Propos recueillis par Renaud Chevalier
Crédits photos : STADION