Pour une sauteuse en hauteur, il y a bien un adversaire : la barre. Jusqu’à 1,88 m, aucune n’a résisté à Marine Vallet. Une performance qui lui a permis cet été de se confronter au gratin mondial de la discipline lors au Meeting de Paris et d’honorer sa première sélection chez les seniors lors du DécaNation à Marseille. Double championne de France en salle et en plein air cette saison, la protégée de Marc Robert à Rennes espère poursuivre sa progression et devenir à terme un membre régulier des grandes compétitions internationales. Après 10 ans de pratique de la gymnastique où elle apprend la rigueur, l’excellence et le goût du travail, elle décide à l’âge de 16 ans de troquer le tapis de gym pour celui de la hauteur. Un décor qu’elle ne quittera plus. Au point d’y passer 12 heures par semaine aujourd’hui.
— Stadion : Bonjour Marine, vous avez décroché deux titres nationaux cette saison. Vous rendent-ils plus sereine pour la suite ?
Je ne sais pas si « sereine » est le bon mot. Je sais qu’en athlétisme il y a des hauts, mais aussi beaucoup de bas, donc je ne veux pas trop m’avancer pour la suite. J’ai fait une super saison, mais je suis bien consciente il va falloir bosser dur pour rester à ce niveau là et qu’il y a encore du chemin à parcourir avant de passer le cap suivant.
ʻʻ 1,90 m, c’est une barre qui me fait un peu rêver ʼʼ
— C’est à Angers que vous avez réalisé votre meilleure performance de la saison, avec un saut à 1,88 m. Un concours référence ?
Ça peut paraître étonnant mais je ne prendrai pas Angers comme concours de référence, mais plutôt celui d’Aubières (championnat de France en salle en février). À Angers j’étais en forme physiquement, mais techniquement les choses n’étaient pas terribles, notamment en course. Pendant le concours j’ai senti que je manquais de repères, mais c’était le concours à ne pas louper, donc j’ai mis ça de côté et je me suis concentrée sur l’objectif (à savoir gagner), et je me suis donnée à fond. A Aubières c’était différent. J’étais fatiguée physiquement, mais étonnamment mes sauts étaient assez fluides, et je me suis surprise à franchir des barres auxquelles je n’avais jamais pensé avant.
— Vous vous êtes ensuite attaquée à une barre à 1,92 m…
C’était un peu ambitieux je sais… Je venais de battre mon record d’un centimètre, et la barre d’après était 4 centimètres au dessus. Mais je ne voulais pas avoir de regrets. Les minimas européens étaient à 1,90 m et les minima français à 1,92 m. Je savais que même si je franchissais 1,90 m la Fédération ne me sélectionnerait pas pour les Europes, donc j’ai tenté le tout pour le tout en demandant la barre des minima fixée par la France. Je n’avais rien à perdre. Et puis je me suis dit : « si tu fais un gros saut, que la barre soit à 90 ou 92 ça ne changera pas grand chose, ça passera ». Donc j’ai tenté, mais malheureusement je n’ai pas réussi à sortir le gros saut qu’il fallait.
— Cette barrière des 1,90 m, c’est donc le prochain objectif ?
En quelque sorte oui. Je ne me fixe pas d’objectif chiffré, pour éviter les blocages et les déceptions, mais j’y pense forcément un peu. C’est une barre qui me fait un peu rêver et qui me ferait passer un palier supplémentaire. Je pense que c’est LA barre qui commence à ouvrir des opportunités à l’échelle internationale.
— Vous avez mis une belle claque de cinq centimètres à votre record personnel cette saison. Vous vous y attendiez ?
Je ne m’y attendais pas forcément, car même si on travaille dur pour progresser on ne sait jamais à quel moment ça va payer : cela peut aussi bien être la saison qui suit mais aussi 1 ou 2 ans après. Je savais que potentiellement j’étais capable de me rapprocher des 1, 85 m, mais je ne savais pas à quel moment je franchirai ce cap. Et de là à franchir 1, 88 m, non je ne m’y attendais pas du tout, et ça a été une super surprise.
ʻʻ J’ai envie de jouer dans la cour des grands ʼʼ
— Vous avez connu votre première sélection chez les grands cette année lors du DécaNation à Marseille…
J’étais super contente de recevoir ma convocation pour le DécaNation. Cette sélection en Équipe de France A j’y pensais depuis tellement longtemps. C’était un super cadeau pour commencer une saison. Ayant coupé ma saison après les France Élite, la reprise a été particulière pour moi. Habituellement je reprends fin août, mais cette année, avec la Diamond League et le DécaNation j’ai repris début août, tout en sachant que je ne serai pas prête pour ces deux compétitions mais pour au moins être un peu dans le bain et ne pas y aller en touriste fraîchement rentrée de vacances (rires) alors que tous les athlètes présents au DécaNation finissaient leur saison estivale, donc j’étais un peu décalée.
Cette sélection chez les grands a été une super expérience. J’appréhendais un peu car je savais que je n’étais pas prête à reprendre le chemin du sautoir, et que je serais entourée de tous ces grands athlètes de retour de Rio, mais les gens ont su me mettre à l’aise rapidement. L’ambiance était très sympa, aussi bien avant et après la compétition que pendant. Le public était au rendez-vous, la France est montée sur la première marche du podium, que demander de plus ? Bon d’accord si j’avais sauté quelques centimètres de plus ça aurait été encore mieux, mais j’ai fait avec les moyens du bord et on va dire que j’ai limité les dégâts !
— Dans quels secteurs avez-vous progressé en 2016 ?
Je pense que j’ai surtout progressé en course cette année. Quand j’ai commencé l’athlétisme je sortais de 10 ans de gym, donc concrètement je ne savais pas courir, en tout cas pas comme court un athlète. J’ai beaucoup travaillé sur cet aspect là, et cela commence enfin à se mettre en place. Il y a encore de quoi faire mais je partais de loin. Maintenant le plus dur c’est de réussir à appliquer et adapter cette technique de course à ma course d’élan pour la hauteur. Quand je cours en ligne droite c’est de mieux en mieux, mais dès que je passe en courbe, certains défauts reviennent au galop, donc j’y travaille.
— On vous sent motivée comme jamais…
Oh oui ! Je suis une compétitrice dans l’âme, donc les performances appellent les performances. D’avoir aussi bien réussi cette saison 2015-2016 me donne envie de m’entraîner encore plus dur pour faire en sorte que la saison 2016-2017 soit tout aussi belle voir encore mieux. J’ai pris beaucoup de plaisir cette année, et j’ai eu beaucoup d’émotions pendant mes différents concours, notamment à Aubière. C’est pour vivre des choses comme ça que je suis prête à souffrir à l’entrainement et à y passer des heures et des heures. Vivre des choses comme celles que j’ai vécu cette année cela n’a pas de prix, et je donnerai beaucoup pour avoir l’occasion d’en vivre encore et encore.
J’ai eu l’occasion de côtoyer le très haut niveau à deux reprises en l’espace d’un mois (la Diamond League puis le DécaNation), et je me suis rendue compte que c’était un monde différent. Pour l’instant je finis mes concours alors que les autres sauteuses les commencent tout juste. J’ai envie de jouer dans la cour des grands. Ces deux compétitions m’ont encore plus motivée, et m’ont donné envie de me surpasser pour pouvoir un jour me présenter sur un sautoir avec ces mêmes filles et être une vraie concurrente, et non pas la « petite » du concours.
.— Vous êtes aussi désormais plus « professionnelle » dans votre approche de l’athlétisme…
On va dire que quand les efforts payent comme cette année, on sait d’autant plus pourquoi on travaille tant le reste de l’année. Je sais pourquoi tous les jours, après ma journée de cours, je vais au stade, peu importe le temps qu’il fasse ou l’heure qu’il est. Mes performances m’ont confortée dans l’idée que je veux aller encore plus haut, et que je suis prête à m’entraîner dur et à faire certains sacrifices pour y arriver. Malgré tout je suis bien consciente qu’il y a peu de chances que je réussisse à vivre de mon sport, donc je suis assez impliquée dans mes études. J’espère que mon double diplôme d’ingénieur-manager me permettra d’avoir une situation professionnelle assez stable, tout en me permettant de continuer à m’entraîner pour atteindre mes objectifs sportifs.
ʻʻ Je ne fais pas de la saison hivernale ma priorité ʼʼ
.— Où en êtes-vous dans votre préparation ?
Le début de ma préparation a été particulière cette année, car j’ai coupé ma saison estivale début juillet mais j’ai repris début août, pour me remettre dans le bain pour le Meeting de Paris et le DécaNation. Donc depuis mi-septembre je suis dans un gros cycle préparation physique, qui a juste été entrecoupé d’un peu de repos suite à une infiltration du genou. De toute façon, le but n’est pas de faire une grosse saison hivernale, mais plutôt de bien se préparer pour l’été. Je ferai quelques concours cet hiver mais plus dans une optique de préparation pour l’outdoor.
Je pense faire ma rentrée en compétition le 18 décembre à Mayenne, puis petit retour aux sources en allant sauter pour le plaisir au meeting de Villeneuve d’Ascq. Pour la suite on verra, rien n’est défini pour le moment. J’adapterai en fonction de la forme du moment et des performances réalisées lors de ces deux premières compétitions.
— Que vous inspirent les championnats d’Europe en salle au mois de mars ?
Pour le moment je vois ça de loin. Étant donné que je ne fais pas de la saison hivernale ma priorité, je n’y pense pas plus que ça. Et puis, j’ai le sentiment que l’hiver les minima sont plus élevés que l’été car il y a moins de qualifiés, donc je ne me fais pas d’illusions. Après, si je suis plus en forme que prévu cet hiver et que je sens que j’ai les minima dans les jambes ça changera ma façon d’aborder les choses, mais pour le moment je n’y pense pas trop. Avant de penser à franchir un palier supplémentaire, je suis plutôt dans l’optique de confirmer ce que j’ai fait la saison dernière.