Entraîneur national pour la FFA et responsable du demi-fond sur le pôle France de l’INSEP, Adrien Taouji accompagne un groupe d’athlètes français confirmés et prometteurs à l’instar de Jimmy Gressier, Mehdi Belhadj, Bérénice Cleyet-Merle, Aude Clavier ou encore Renaud Clerc. Le coach d’origine normande de 37 ans nous raconte son ressenti sur son approche du métier et sur les chances de la France de briller aux JO de Paris 2024.
— Adrien, vous devez être un entraîneur heureux avec les beaux résultats de vos athlètes actuellement…
Oui, évidemment, je suis plutôt satisfait. La saison n’est pas terminée (l’interview a été réalisée le 18 juillet, avant le Meeting de Monaco et les Championnats de France Elite à Albi, ndlr) mais en tout cas à ce moment de la saison, on récolte tous les fruits d’un travail régulier, et d’une belle dynamique de groupe aussi. C’est vrai que quasiment tout le monde arrive à bien s’exprimer cette année, donc c’est plutôt cool à un an du grand rendez-vous des Jeux olympiques, et paralympiques aussi. On a mis beaucoup de choses en place à plein de niveaux et on récolte les fruits de tout ce travail.
— Comment arrivez-vous à créer une émulation au sein de votre groupe ?
Tout le monde participe à cette dynamique et à cet équilibre. Cette dynamique se crée naturellement parce qu’on se voit tous les jours, on se côtoie régulièrement en séances, en stages, dans la souffrance, dans les échecs, la réussite. Finalement, tout le monde s’entraide, tout le monde fait la même chose, tout le monde vit le même quotidien. Et après ? Oui, moi, par ma personnalité, j’essaie d’apporter beaucoup de bienveillance, d’apporter des petits ingrédients, d’apporter des choses ludiques, d’apporter de l’empathie de manière régulière pour essayer de faire que les athlètes se sentent bien dans leur travail, parce que c’est un travail. Et puis c’est s’investir pleinement tout en restant épanoui, quoi. Donc après, la dynamique se crée naturellement dans ce contexte.
— Comment comptez-vous exploiter pleinement le potentiel de chacun de vos athlètes ?
Déjà, il faut du temps et de l’engagement des deux côtés. Il faut finalement créer un projet commun : athlète et entraîneur. Quand les athlètes arrivent sur le Pôle, en général, ils ont des projets sportifs de haut niveau. J’essaie de mettre les choses en place pour les accompagner de la meilleure des manières, voir un petit peu ce qui manque, essayer de créer un staff autour pour qu’ils puissent s’investir pleinement, pour qu’ils puissent s’entraîner, pour qu’on puisse augmenter la charge d’entraînement et permettre une progression derrière. On va dire que c’est un peu individuel, ça dépend vraiment des profils. Tout le monde n’a pas les mêmes besoins. On essaie de répondre un petit peu à toutes les individualités.
« Je suis plutôt à l’écoute, j’entretiens beaucoup de communication avec mes athlètes. »
— Comment définiriez-vous votre méthode de management ?
J’avais déjà dit chez vous il y a trois ans (interview du 27 juillet 2020) que c’était beaucoup de bienveillance au service de la performance. Je n’ai pas vraiment changé par rapport à ça. Il y a la dynamique de groupe et puis après il y a les individualités, donc il y a le coaching collectif et après le coaching individuel. Pour autant, le groupe prime sur les individualités parce que, au quotidien, on s’entraîne en groupe, on part en stage et on essaie d’avoir une vie de groupe la plus équilibrée possible. Et après il y a des séances individuelles, il y a des profils singuliers. Je n’ai pas une méthode particulière de management. Je suis plutôt à l’écoute, j’entretiens beaucoup de communication avec mes athlètes. Régulièrement, il y a des bilans qui sont effectués, des briefings avant séance, des briefings après séance.
Dans ma façon d’entraîner, il y a tous ces petits outils que je fais de manière naturelle et puis de manière régulière. Briefings, débriefings, bilans. Et puis aussi encore une fois, beaucoup de communication et beaucoup d’échanges aussi avec les acteurs qui entourent mes athlètes : Préparateurs mentaux, diététiciens, médecins, kinés, ostéos. Tous ces acteurs contribuent d’une manière ou d’une autre à la performance de l’athlète. Et puis, parfois ça peut aller aussi sur le côté études, donc voir un petit peu comment les études sont aménagées, voir ce qu’on peut faire de plus, de mieux, pour que le projet sportif ne soit pas impacté.
— Valentin Gondouin et Luc Le Baron ont passé un gros cap depuis le printemps… c’est une progression conforme à ce que vous constatez à l’entraînement au quotidien ?
Je dis souvent qu’il faut un peu de temps, donc une première année où il faut assimiler des nouvelles charges d’entraînement, une nouvelle manière de faire, s’entraîner en groupe, s’entraîner dans un groupe de haut niveau avec des personnalités parfois complexes, particulières en tout cas. Pour eux, c’est une première année où finalement ils ne se sont pas exprimés à 100% sur la partie physique. Sur cette deuxième année, ils sont habitués à ma manière de faire, à la structure de l’Insep et au contexte du haut niveau. Du coup, ils s’expriment pleinement. Je m’attendais à ce qu’ils puissent faire ce type de chrono et de performance. Et surtout du fait de leur jeune âge, pour Valentin qui a 24 ans, et Luc 20 ans, c’est que le début. C’est vraiment le début de leur jeune carrière donc ça progresse mais ça va encore progresser.
— Les filles ne sont pas en reste avec Aude Clavier et Bérénice Cleyet-Merle qui progressent aussi d’année en année…
Ce sont deux projets différents aussi. Aude est sur un projet de 3000 steeple, elle a 24 ans comme Valentin et a explosé en 2021 avec une troisième place aux Championnats d’Europe espoirs. Aude, c’est vraiment la bonne élève, celle qui s’investit à fond, c’est celle aussi qu’il faut freiner, parfois ! Elle est très motivée dans son projet, très investie et, finalement, finit par récolter les fruits de son travail. À un moment donné, le travail finit toujours par payer. Elle ira au bout de ses rêves, ça c’est sûr. Elle ne s’arrêtera pas là non plus. Et puis, Bérénice, c’est un autre profil. Elle a déjà 28 ans, ce n’est pas du tout limitant. Elle revient de cinq ans aux États-Unis où elle n’était pas forcément dans un parcours de haut niveau. Elle a de grosses qualités physiques et là elle se donne deux ans pour réaliser son rêve, et pas que de participer mais aussi de réussir les Jeux olympiques de Paris. Elle met tout en place pour, et le fait de côtoyer, avec elle, dans le groupe, d’autres athlètes qui ont le même projet sportif qu’elle, évidemment, ça la tire vers le haut.
— Vous coachez aussi l’athlète paralympique Renaud Clerc qui dispute des Mondiaux handisport. Avez-vous la même approche de l’entraînement avec lui qu’un athlète valide ?
Oui exactement, vraiment exactement. Je ne change pas mon coaching par rapport à cela (son handicap). Je veux dire, j’oublie même qu’il a un handicap, au quotidien. Il fait les mêmes séances que les autres. Il n’y a pas, finalement, d’ajustement nécessaire pour lui hormis éventuellement sur certaines séances de musculation. L’arrivée de Renaud, c’est vraiment un vrai plus pour tout le groupe, pour tout le monde. Par sa personnalité, par, évidemment son handicap. Ça apporte une vraie ouverture sur le groupe, une vraie fraîcheur. Et je suis vraiment content qu’il soit arrivé dans le groupe. C’est un élément très important dans la dynamique de ce groupe d’entraînement.
« C‘est sûrement l’athlète, pas le plus talentueux, mais l’athlète le plus complet que j’ai eu, oui. »
— Selon vous, sur quelle distance Jimmy Gressier, que vous coachez en collaboration avec Arnaud Dinielle, a-t-il les plus belles qualités pour briller ?
Ma réponse va avoir beaucoup d’importance ! Je vais y répondre un peu de manière politique. En tous cas, pour les deux prochaines échéances internationales : Les Mondiaux de Budapest et les Jeux olympiques de Paris, pour moi, la distance où il peut le mieux s’exprimer sera le 5000 m. Mais je parle bien pour les deux prochaines années. Après, sur une autre olympiade, on verra si on part sur un autre projet.
— Est-il le meilleur athlète que vous avez entraîné jusqu’à maintenant ?
Si on parle d’un point de vue performance pure, Pierre-Ambroise Bosse, que j’ai eu à l’entraînement lorsque j’étais assistant de Bruno Gajer, est un athlète exceptionnel. D’un point de vue de ses qualités physiques, c’était vraiment quelque chose de très fort. Dans le groupe, quelqu’un comme Mehdi Belhadj a des qualités physiques vraiment exceptionnelles. C’est sûr que Jimmy, il coche beaucoup de cases avec des qualités physiques de haut niveau, et des qualités mentales d’un grand champion. Actuellement oui, c’est sûrement l’athlète, pas le plus talentueux, mais l’athlète le plus complet que j’ai eu, oui.
— Quel est votre plus beau souvenir d’entraîneur ?
En tant qu’entraîneur de club, c’est quand on a réussi à être champions de France de cross court par équipes en 2014 avec le club de Mondeville. C’était le fruit d’un gros travail de formation, et un gros travail au sein du club de Mondeville avec d’autres entraîneurs. En tant qu’entraîneur sur la structure de l’Insep, s’il y en a un qui me reste bien gravé, c’est la deuxième place de Maëva Danois en 2015 aux Championnats d’Europe espoirs sur 3000 m steeple. Au-delà d’être une grosse performance, c’est un projet humain et affectif aussi. Maëva était une athlète de mon club, je la connais depuis toute petite, je connais bien ses parents, et il y avait tout un projet derrière, et finalement elle vient réaliser une énorme performance pour son premier championnat d’Europe. Et puis, c’est ma première médaille internationale aussi.
— Un mot sur les conditions d’entraînement à l’INSEP…
J’ai tout ce qu’il faut pour entraîner les athlètes et les accompagner de la meilleure des manières. Il y a tout ce qu’il faut pour l’entraînement, la récupération et la musculation. Il y a une forêt exceptionnelle en face de la structure, j’ai l’accès à une piste indoor et une piste outdoor de grande qualité. Il y a aussi un laboratoire de recherche pour faire les différents testings. Il y a une cellule de réathlétisation pour accompagner les athlètes de la meilleure des manières et permettre de m’aider aussi à renforcer les athlètes sur leur points faibles, points forts. On est entourés en permanence de plein d’acteurs qui nous aident à tirer le meilleur des athlètes. Et après, à moi là-dedans de manager le plus possible tous ces acteurs, et puis de trier ce qu’il faut faire, ce qu’il ne faut pas faire. Je ne sais pas si je travaillerai toute ma vie dans cette structure mais en tous cas, j’ai bien conscience que j’ai de la chance de travailler dans cet environnement.
« Je pense qu’on peut transformer rapidement un top 8 en un top 5, voire en une médaille. »
— Vous avez aussi des missions fédérales. Pensez-vous que la France va réussir ses JO de Paris 2024 ?
J’espère en tous cas qu’ils vont réussir les Jeux olympiques de 2024. Je compte vraiment sur le fait de courir à la maison. Je pense qu’on peut transformer rapidement un top 8 en un top 5, voire en une médaille. Budapest va être une vraie préparation pour ces Jeux parce que c’est le même niveau de compétition. On va voir quelles sont les forces en présence. De toute façon, ça sera un événement exceptionnel et j’espère qu’on va les réussir. Après, là tout de suite, sur le papier, c’est difficile de dire sur combien de médailles on va décrocher. Il y aura aussi l’héritage pour 2028 et 2032. Nous, en tant qu’entraîneurs, on prépare à fond les Jeux olympiques de Paris 2024, mais on prépare aussi la suite. Il y a des athlètes qui vont performer en 2024, d’autres qui performeront surtout en 2028.
— Lors d’un entretien en 2020, vous nous aviez confié que la France était en retard par rapport à d’autres pays sur la partie « scientifique de la performance ». Depuis, la FFA a décidé de lancer une cellule d’« optimisation de la performance » encadrée par Bertrand Valcin… C’est une bonne chose ? Qu’est-ce que vous pouvez nous dire sur cette cellule ?
Je vois d’un bon œil la création de cette cellule. Ça, c’est la première chose. Deuxième chose, avant cette cellule, Christine Hanon, qui était responsable de la partie recherche au sein de la Fédération Française d’Athlétisme, avait déjà lancé plusieurs choses. Moi, je bossais pas mal en collaboration avec elle. Elle avait lancé plusieurs choses sur la récupération, sur l’accompagnement nutritionnel, sur la prépa mentale. C’est elle qui m’a formé sur la partie scientifique quand j’étais jeune entraîneur à l’INSEP. Maintenant, à la suite de Christine, il y a une cellule qui a été créée par Bertrand Valcin et Hugo Maciejewski. Ils essaient de lancer pas mal de choses sur la récupération, notamment des athlètes, sur l’optimisation de la performance, sur mieux gérer aussi l’entraînement. C’est un plus pour nous. Dans cette cellule, ils ont aussi des étudiants dont François Chiron que je connais très bien et qui m’accompagne depuis cinq ans. Après, on va dire que cette cellule existe dans plusieurs fédérations qui nous sont concurrentes. Je pense évidemment que toute cette partie un petit peu invisible de l’entraînement est surtout liée à la récupération : le sommeil, la nutrition ou une meilleure gestion de la charge d’entraînement. Des sujets sont nécessaires dans le haut niveau et pour réussir.
— Quels sont les axes d’amélioration de l’athlétisme français selon vous ?
Sur l’encadrement, il y a des choses qui sont mises en place mais on peut encore progresser sur la montée en compétence et sur la professionnalisation des entraîneurs. Je trouve que de manière positive, il y a de plus en plus d’échanges entre les entraîneurs et il faut encore continuer dans cette voie. Après, du côté des athlètes, c’est un peu pareil. C’est-à-dire qu’on est encore loin d’un sport pro. Moi, j’ai de la chance au sein de la structure, d’avoir une démarche professionnelle avec mes athlètes. Mais c’est loin d’être le cas en province. Je pense que clairement, on pêche à ce niveau-là. Après ce n’est pas que l’athlé, c’est le sport français de manière générale. Je pense qu’il y a des choses à améliorer sur le fameux double-projet et sur l’aménagement des études. Les athlètes aujourd’hui ont du mal à considérer leur projet sportif comme presque une profession. Parce qu’aujourd’hui, ils ne gagnent pas d’argent et ils n’ont pas de partenaires. Et pourtant, ils passent 30 heures sur le terrain donc c’est une vraie profession. Je pense que le sport va devenir de plus en plus privé, avec des partenaires privés dans les prochaines années. Je pense qu’on va tendre vers le modèle anglo-saxon après les Jeux.
Propos recueillis par Alessia Colizzi
Crédits photos : Antoine Decottignies / STADION