En toute simplicité, Alexis Miellet nous a ouvert les portes de sa maison dijonnaise pour une longue interview et une séance photo exclusive à découvrir ci-dessous en version magazine grand format. Dans l’entretien qui suit, on a donc parlé de 1500 m, de Tokyo, de chaussures à plaque carbone et d’eSport. Bienvenue chez lui !
MÉDAILLES INTERNATIONALES
RECORD PERSONNEL SUR 1500 M
TITRES DE CHAMPION DE FRANCE
SÉLECTIONS EN ÉQUIPE DE FRANCE
Ce lundi 19 avril, l’un de nos photographes attitrés Antoine Decottignies a suivi le triple champion de France Elite en titre du 1500 m dans son entraînement bi-quotidien. C’est vers 11h qu’Alexis nous reçoit chez lui. Mais il n’était alors pas question de s’y attarder, il était temps de partir pour sa première sortie de de la journée : un footing de 40 minutes. Le but du footing étant en partie de préparer la séance de l’après-midi, Alexis, « facile » sur l’allure de 4’23/km sur laquelle il nous a mené, n’a pas manqué de nous parler des sous-bois et des champs que nous avons sillonnés avec lui pendant la sortie. L’athlète dijonnais est très attaché aux décors bucoliques dans lesquels il vadrouille depuis toujours puisqu’ils sont à deux pas de chez lui.
Mais ces espaces verts ne sont pas la seule chose à laquelle il tient dans son environnement d’entraînement. Et c’est l’après-midi lors du deuxième entraînement que nous l’avons compris : le jeune homme apprécie particulièrement les structures d’entraînement qui sont mises à sa disposition. En effet la piste du stade Colette Besson où il s’entraîne depuis ses débuts jouxte sa salle de musculation et des boucles vallonnées (allant jusqu’à plus de 2km pour la plus longue) qui lui servent aussi bien pour l’échauffement que pour les spé cross l’hiver, et cette proximité compte pour l’international tricolore de 25 ans.
Après toutes ces belles paroles et sa séance de gaming quotidienne, c’est à 17h que nous avions rendez-vous avec son coach de toujours Rémy Geoffroy sur la piste du DUC. Deux blocs de 800 m – 600 m – 400 m avec 1’30 de récupération entre les courses et 4’ entre les blocs étaient au programme. Pointes aux pieds, Alexis Miellet achèvera sa séance de belle manière en signant des temps de respectivement 1’59, 1’28, et 56″ et ce sur les deux blocs.
— Alexis, comment vous êtes venu à l’athlétisme ?
Mes parents étant athlètes, j’ai toujours baigné dans le monde de l’athlétisme. Ma maman était spécialiste du 400 m et mon papa faisait du 1500 m avec un beau record en 3’39. J’ai couru mon premier cross à l’âge de trois ans à Arnay Le Duc mais j’ai pris ma première licence sportive dans le football. J’ai toujours pris beaucoup de plaisir à courir depuis que je suis petit mais c’est avec les cross UNSS que j’ai débuté sérieusement.
— Cela a été un coup de coeur immédiat ?
J’ai vite remporté des cross donc c’était forcément plus motivant de me réaligner au départ d’une course. À l’âge de 16 ans, j’avais un peu marre du foot et j’ai décidé d’arrêter pour me consacrer à 100% à l’athlétisme. J’ai vu que j’avais quelques qualités et que je pouvais être performant.
— Quelles sont vos conditions d’entraînement à Dijon ?
Je cours beaucoup sur la boucle que l’on a fait ce matin (l’interview a été réalisée entre les deux séances du jour, ndlr). C’est assez pratique parce que j’ai juste à sortir de chez moi pour me retrouver dans la forêt. C’est un terrain assez souple où je fais quasiment tous mes footings. Sur Dijon, on a de supers conditions d’entraînement parce que la piste d’athlétisme et la salle de musculation sont à 10 minutes de chez moi en voiture. La seule ombre au tableau sont les conditions météo l’hiver avec pas mal de vent tout au long de l’année. Il m’arrive aussi de faire des séances de fartlek autour de mon quartier sur une boucle de 2 km, entre bitume et gravier, qui est assez intéressante avec quelques virages à angle droit qui permettent des relances. Derrière chez moi j’ai aussi mesuré la route sur 100 et 200 m pour effectuer des lignes droites.
— Vous semblez avoir franchi un palier important depuis la saison 2019. Comment l’expliquez-vous ?
Depuis que je m’entraîne avec mon coach Rémy Geoffroy, une relation qui a commencé en 2012 en cadets 2, j’ai eu la chance d’avoir une progression linéaire. On a la même vision des choses depuis le début, c’est-à-dire faire en sorte de ne pas griller les étapes et d’être fort en senior. Je m’entraîne à mon rythme. Dans les catégories jeunes, j’ai commencé à quatre séances par semaine et au fur et à mesure des années, on a rajouté une séance supplémentaire quand on voyait que c’était le bon moment. Est-ce qu’il y a eu un déclic en 2019 ? Je ne pense pas, c’est plus un travail de longue haleine, grâce à tous les efforts effectués depuis 2013. Hormis le fait que j’ai commencé la musculation en 2019, je n’ai absolument rien changé à l’entraînement, c’est tout simplement une logique de progression depuis près de 10 ans.
« Le seul événement au-dessus sont les Jeux olympiques qui sont aussi une étape à franchir. »
— Quels enseignements avez-vous tiré de la saison 2019 marquée par un nouveau record sur 1500 m en 3’34″23 et des Mondiaux de Doha où vous avez atteint les demi-finales ?
J’ai vécu plusieurs expériences qui devraient me servir pour la suite de ma carrière. J’ai participé à mon premier Meeting Diamond League à Monaco. Pouvoir accéder à la plus grande réunion d’athlétisme au monde est une étape importante. À Doha, lors des championnats du monde, j’ai couru contre les meilleurs athlètes de la planète. En 2018, j’ai été sélectionné pour les Europe à Berlin, mon premier grand rendez-vous chez les A. Je suis tombé à la mi-course alors que j’étais bien placé. Chaque championnat doit me permettre de continuer à apprendre. Désormais, le seul événement au-dessus sont les Jeux olympiques qui sont aussi une étape à franchir.
— De quoi vous sentez-vous capable sur 1500 m cet été ?
Je pense savoir à peu près de quoi je suis capable. J’ai une marge de progression chronométrique. Il y a toujours plusieurs facteurs à prendre en considération et qui peuvent faire que l’on est un peu moins ou un peu plus performant de ce que l’on avait imaginé. J’ai tout mis en place cette année pour être le plus performant possible. Même sans les pointes à plaque carbone, je peux courir plus vite que mon record. J’ai eu quelques pépins physiques aux ischios qui ne m’ont pas permis de m’exprimer pleinement en 2020. Depuis décembre, je m’entraîne sans problème avec une préparation hivernale qui s’est super bien passée. Il y a eu des signes positifs, notamment avec de meilleures séances sur le long que l’an passé. On a attaqué la préparation estivale depuis quelques semaines et je fais à chaque fois les temps qu’il faut, voire un peu plus vite. On est dans les clous.
— Qu’est-ce qui vous plaît sur cette distance ?
Il faut être polyvalent ! Un bon coureur de 1500 m doit être bon sur 800 m mais aussi sur performant sur les distances supérieures. Être spécialiste du 1500 m me permet aussi de faire les cross et de la route l’hiver mais également du 800 m l’été. Ça me permet d’éviter la monotonie à l’entraînement. Pour un coureur de 800 m, c’est déjà plus limité parce qu’il doit toujours rester un peu plus dans le spécifique. Par exemple, il ne peut pas vraiment monter sur 10 km puisque dans le cadre de sa préparation, ce n’est pas spécialement recommandé alors que nous on peut se permettre de le faire. Sur l’effort en lui-même, c’est une distance qui me correspond, même si c’est compliqué à expliquer, j’arrive bien à sentir la course et j’ai tout de suite accroché avec le 1500 m.
— On vante beaucoup votre sens tactique et votre instinct du placement. Êtes-vous d’accord ?
Quand on est dans une course tactique en championnat, ça se passe toujours bien pour moi. Cela correspond bien à mes qualités. Je pense avoir une bonne vision de la course en elle-même, j’arrive bien à me placer et j’ai la pointe de vitesse nécessaire sur la fin qui me permet de bien me débrouiller sur les courses disputées dans cette physionomie.
— Dans une discipline où les petites différences de chronomètre entre les concurrents se gomment avec la tactique de course, est-ce que bien connaître ses adversaires, c’est aussi une des clés du succès ?
Avant les championnats, je sais à peu près contre qui je vais courir. On se connaît un peu tous maintenant, et bien sûr que je connais les points forts et les points faibles de chacun. Néanmoins, je ne pars pas sur un 1500 m avec un schéma de course prédéfini. J’essaye à chaque fois de m’adapter à l’allure de course et à toutes les situations, et je pense que c’est aussi une de mes qualités. Je cours aux sensations selon comment je me sens et selon comment les adversaires avancent. Peu importe la discipline, un athlète de haut niveau doit être capable de s’adapter à toutes les situations.
— Comment jugez-vous le niveau mondial sur 1500 m actuellement ?
Il est chaud et il a rarement aussi été élevé que maintenant. Mais au-delà du niveau mondial, c’est le niveau européen qui est dense et relevé. Il y a des athlètes sous les 3’30 et cinq ou six sous les 3’32. Avec mon record de 3’34″23, je ne suis même pas sûr d’être dans le top 12 en Europe. Il va falloir encore progresser pour intégrer ce classement même si en championnat il peut tout se passer et que je peux très bien être devant des athlètes qui ont fait 3’31 ou 3’32.
« J’espère conserver cette série d’invincibilité encore longtemps. »
— Si vous êtes qualifié pour les JO cet été (minima à 3’35″00), avec quelles ambitions partirez-vous à Tokyo ?
Avec mon record établi en 2019, j’ai déjà réalisé le niveau de performance exigé par la Fédération. Il faut que je montre un état de forme très correct pour pouvoir être qualifié. Ça va dépendre aussi des autres Français parce que si on est cinq à avoir effectué les minima, les billets vont se décrocher aux Championnats de France Elite (26 et 27 juin à Angers). Si je suis dans la sélection, le gros objectif sera de rentrer en finale. J’ai pris l’habitude de fonctionner tour par tour parce que les rares fois où je me suis dit que c’était la finale le plus important, les séries se sont révélées compliquées. Je préfère me dire que chaque course est une finale, surtout à ce niveau-là.
— Estimez-vous que votre marge de progression est forte sur 800 m (record en 1’45″88, minima olympique à 1’45″20) ?
En me préparant de la même manière qu’en 2019, je suis capable de courir sous les 1’45. C’est une distance que j’aime bien intégrer dans mon calendrier de compétitions. Souvent, ça me met bien en rythme avant d’enchaîner les 1500 m. Cependant, je ne travaille pas spécifiquement le 800 m à l’entraînement. Le 800 m est une préparation pour courir vite le 1500 m. M’aligner sur 800 m en championnat ? Il ne faut jamais dire jamais parce que j’ai déjà réfléchi à l’éventualité de prendre le départ d’un France Elite sur la distance.
— On a trouvé une statistique impressionnante vous concernant. Vous avez remporté toutes les finales des Championnats de France (jeunes et Elite) sur 1500 m auxquelles vous vous êtes aligné avec sept victoires depuis 2012. Quel est votre secret pour toujours répondre présent lors des rendez-vous nationaux sur piste ?
Je ne sais pas du tout, il y a des années où j’ai eu un peu de chance. Lors de mon premier titre chez les cadets à Lens en 2012, j’ai un record en 3’59 et je gagne la finale en 4’10 alors qu’il y avait des gars plus rapides, c’était du grand n’importe quoi. On a encore regardé la vidéo avec mon coach la semaine dernière, il n’y a rien qui allait dans la course. J’ai ensuite remporté six autres titres dont trois chez les jeunes et trois en Elite. L’année dernière à Albi, même si j’ai conservé mon titre de justesse, c’est passé, malgré ma période de blessure. J’espère conserver cette série d’invincibilité encore longtemps.
« Il est certain que je réaliserai des saisons en salle avec l’ambition de remporter une médaille internationale. »
— On a également remarqué que vous n’aviez jamais pris part à une seule compétition en salle de votre carrière. Pourquoi ?
Le cross long a toujours été important dans ma préparation. Si je décide de faire une saison en salle, je pense que je monterai sur 3000 m pour éviter de faire tout le temps du 1500 m. À Dijon nous n’avons pas de salle couverte, donc pour préparer l’indoor ce n’est pas l’idéal.
— Vous verra-t-on un jour disputer un 1500 m en indoor ?
Il est certain que je réaliserai des saisons en salle avec l’ambition de remporter une médaille internationale. Voilà, mes adversaires sont maintenant au courant que le jour où je ferais une saison en salle, ce n’est pas pour faire de la figuration (rires).
— Vous avez participé à la Monaco Run sur 5 km (13e en 13’54) en février. Cette expérience vous donne l’envie d’aller tenter votre chance sur les distances supérieures, comme le 5000 m sur piste ?
Je finirai ma carrière sur des distances plus longues. J’ai la possibilité, avec ma polyvalence, de bien figurer sur le long. Pour l’instant, il y a un record auquel je pense, c’est le nombre de titres nationaux en Elite sur 1500 m détenu par Jean Wadoux avec six victoires consécutives de 1965 à 1970. J’en suis à trois, et atteindre sept succès ce serait pas mal.
— Quel regard portez-vous sur les chaussures et pointes à plaque carbone qui inondent le marché depuis plusieurs mois ?
Je suis totalement contre ! Les records établis dans le passé n’ont pas du tout été réalisés dans les mêmes règles que ceux battus ces derniers mois (5000 m hommes et femmes, 10 000 m hommes). Et je vais même aller plus loin dans ma réflexion, ce n’est plus le même sport. J’ai l’impression de gagner 30 à 40 secondes sur 10 km juste en portant une chaussure différente, c’est ahurissant. Toutefois, les modèles ont l’air d’être calibrés avec une réglementation stricte de World Athletics. Depuis quelque temps, on voit toutes les marques présenter leur modèle à plaque carbone. Bien sûr que je vais en porter parce que je ne peux pas me permettre de me présenter sur une ligne de départ avec handicap vis à vis de mes concurrents.
« Sur la route, je sais qu’il y a un avantage qui est conséquent. »
— Lors de votre demi-finale à Doha, les sept athlètes devant vous portaient un prototype de la Air Zoom Victory de Nike (comprenant une plaque carbone et une mousse ZoomX)…
Lors du dernier 300 m, la partie de la course où j’arrive normalement à tirer mon épingle du jeu, j’ai remarqué une différence de niveau. Avec le recul, je me dis qu’il n’y avait peut-être pas que ma forme en cause ce jour-là. Ce n’est que quelques mois après Doha que j’ai appris l’existence de ces pointes. Des athlètes m’ont indiqué que les coureurs qui étaient devant moi avaient des modèles qui ne sont pas encore sortis aujourd’hui au grand public. Je pense qu’on ne peut plus faire marche arrière mais j’aimerai bien que ça soit possible quand même.
— Pouvez-vous chiffrer le gain de temps possible sur 1500 m grâce à ces pointes ?
Aucune idée, parce que je ne les ai jamais portées. Mon équipementier Adidas devrait m’en fournir prochainement. Ce qui est sûr, c’est que je vais me préparer sans, ou juste sur des lignes droites à l’entraînement, et je ne les mettrai qu’en compétitions. Cela me permettra de me rendre compte du gain, s’il y en a véritablement un. En tout cas, sur la route, je sais qu’il y a un avantage qui est conséquent. Pour avoir porté celles d’Adidas, c’est assez exceptionnel.
— Quel est le modèle (chaussures et pointes) de votre équipementier Adidas que vous portez le plus en compétition ?
Sur 1500 m, je mets les pointes Adidas Adizero MD. Ça fait déjà plus de trois ans que j’utilise essentiellement ce modèle, je les adore. Sur la route, je portais les Adidas Takumi Sen et maintenant je mets les Adios Pro qui bénéficient d’une plaque carbone.
— Vous êtes un gamer accompli, expliquez-nous cette passion ?
J’expose pas mal ce passe-temps sur les réseaux sociaux, mais je n’irai pas jusqu’à dire que c’est une passion. Ça me permet de couper entre les deux séances de la journée et de rester en relation avec des gens qui ne sont plus sur Dijon en jouant avec eux.
— Quels sont les jeux que vous appréciez le plus ?
Il y a deux ou trois jeux que j’apprécie. Dernièrement, j’étais à fond sur Fortnite mais j’aime aussi FIFA ou Call of Duty.
— Vous vous êtes inspiré du jeu « Fortnite » pour célébrer votre titre national à Albi en 2018…
Ça faisait un an que je jouais à Fortnite et ils avaient commencé à sortir des danses. À l’entraînement, j’avais parié avec un pote que si je gagnais les Elite, je devais reproduire une danse de Fortnite, « Take the L », avant la ligne d’arrivée.
— On parle beaucoup de l’eSport aux JO également, qu’en pensez-vous ?
Je ne suis pas pour les inclure aux JO. Ce n’est pas forcément du sport parce qu’il n’y a pas d’activité physique proprement parlée. Néanmoins, dans leur préparation, les joueurs qui participent à certains matchs sur Rocket League par exemple sont des athlètes de haut niveau à part entière.
Texte et photos : Antoine Decottignies