En s’élevant à 6,21 m avec une énorme marge au moment de son envol, Armand Duplantis a battu le record du monde du saut à la perche d’un centimètre à Eugene. Habituez-vous à lire cette phrase. Il est probable que vous le fassiez régulièrement durant les années à venir. Il est tout seul, tout là-haut.
C’est complètement fou ! Ces championnats du monde de Eugene ne pouvaient pas mieux se clôturer. Déjà recordman du monde, champion olympique, champion d’Europe, il ne manquait qu’un titre à Armand Duplantis pour compléter son armoire à trophées, celui de champion du monde en plein air. À 220 ans, il a déjà gagné tous les titres possibles. Bien sûr, la question n’était pas de savoir si Armand Duplantis allait remporter le concours mais plutôt, si le Suédois allait améliorer son propre record planétaire. Avant de viser les étoiles, il fallait d’abord passer par les nuages. Une barre de rentrée expédiée à 5,70, toujours avec une grosse marge. Le champion du monde en salle à Belgrade cet hiver décide ensuite de faire l’impasse à 5,80 m, (une hauteur que beaucoup de perchistes expérimentés aimeraient franchir dans leur carrière!) pour s’attaquer à 5,87 m. Mais il manque son premier essai ! Cet échec est presque pris comme un séisme par le public et tout son clan. Ça sera son unique frayeur du concours. Le plieur de gaule coaché par son père Greg, est frustré et va immédiatement rectifier le tir à sa deuxième tentative avec une marge encore une fois exceptionnelle. La réponse du patron.
La machine étant lancée, le sociétaire de la Lafayette High School en Louisiane va réussir 5,94 m du premier coup. La médaille est alors assurée, mais on n’en doutait que peu. Pour la victoire, Armand Duplantis culmine à 6,00 m avec une facilité presque insolente. La breloque dorée est officiellement dans la poche. À ce moment-là, il égalise un autre record, avec un 46e saut à 6 mètres ou plus, rejoignant le tsar Sergey Bubka mais la soirée n’est pas finie. « J’étais le tout dernier à concourir, j’aime sauter dans ce genre de situation, avec la pression du dernier, quand tout le monde te regarde. Mais aujourd’hui j’ai avant tout cherché à gagner, ce qui est venu après était un bonus, j’étais concentré sur l’or. »
Huit centimètres au-dessus !
Alors que les derniers concurrents rangent leur perche dans leur étui, le champion d’Europe 2018 s’attaque d’abord au record des championnats et du stade Hayward Field, à savoir 6,05 m. Est-ce une surprise de le voir dompter cette barre sans le moindre problème ? Absolument pas. Le compteur monte avec 47 sauts à plus de six mètres, encore un record dans la besace pour Armand Duplantis, en attendant le prochain. Car tout le monde le sait, l’objectif est de pousser le curseur un centimètre de plus que son record du monde actuel, ça serait déjà la cinquième fois en seulement deux ans et demi, son troisième de l’année, après ses 6,19 mètres et 6,20 mètres du mois de mars dernier, du côté de Belgrade, en salle.
Et arrive le moment que l’on attend tous : La barre monte à 6,21 m des taquets. Premier essai sans succès pour la superstar de 22 ans. Il va falloir attendre un peu pour le deuxième essai, afin d’être dans les meilleures conditions possibles pour un autre essai. Pendant ce temps-là, le public américain est aux anges avec le doublé Etasunien sur les relais 4×400 hommes et femmes. Le stade chauffé par une ambiance électrique, c’est l’occasion parfaite pour frapper un grand coup. Avec une clapping d’enfer dans les gradins, Armand Duplantis est en bout de piste, sa perche en main, le regard concentré et fixé sur la barre à 6,21 m du sol. 20 foulées le séparent du décollage. Il lève sa perche et s’élance. Duplantis impulse et est propulsé au-dessus de la barre. Encore en vol, il exulte. Et la statistique prouvant cette »facilité » l’est tout autant. L’athlète de 22 ans a été, au plus près de la barre, 8 centimètres au-dessus de cette dernière. Cela veut tout simplement dire que Duplantis était sur une autre planète, et avait un saut de 6,29 m dans les jambes. Stratosphérique ! Un saut exceptionnel avec une aisance hors pair, que le Suédois fou de joie, a célébré par un salto devant le public américain. Un beau moment d’émotion. « J’ai été surpris lors de mon dernier saut, je n’ai même pas touché la barre. Les graphiques disent que j’étais huit centimètres au-dessus, c’était assez dingue. »
Le ciel est désormais sa seule limite
Le désormais quintuple recordman du monde avoue au speaker : « J’étais un peu fatigué à la fin mais vous m’avez donné l’énergie dont j’avais besoin pour franchir la barre. ». C’est la première fois depuis 1994 avec toujours le même Bubka (6,14 m à l’époque), qu’un record du monde du saut à la perche est réalisé en extérieur, et notre petit doigt nous dit que ce n’est certainement pas la dernière fois, notamment avec les championnats d’Europe de Munich (15 au 21 août) qui arrivent pour prolonger la fête. Sans limite, il semble capable de monter le curseur centimètre après centimètre, comme Sergueï Bubka en son temps. Symbole même de cette stratégie du centimètre, avec ses 35 records du monde (en plein air et en indoor confondus), l’Ukrainien s’était arrêté à 6,15 m en 1993. Aujourd’hui âgé de seulement 22 ans, « Mondo » a encore forcément une fantastique carrière devant lui.
Texte : Briac Vannini
Crédit photo : Solène Decosta / STADION