En avalant le dimanche 12 mars son 20 km marche en 1h19’57 dans les rues d’Aix-les-Bains à l’occasion des Championnats de France, Aurélien Quinion a réalisé les minima pour les Jeux olympiques de Paris 2024. Le Francilien de 30 ans est devenu le troisième Français de l’histoire à descendre sous la barre mythique des 1h20. Une incroyable performance pour un marcheur qui n’en attendait pas autant. Rencontre avec une personnalité attachante et passionnée par sa discipline.
Aurélien Quinion (20 sélections en équipe de France) est généralement au départ de courses de 35 km marche. Lors des championnats nationaux à Aix-les-Bains, le marcheur de l’Entente Franconville Césame Val d’Oise avait fait un choix stratégique avec son coach, celui de s’aligner sur les 20 km pour tenter une qualification aux Jeux olympiques. « Je ne m’attendais pas du tout à faire les minima, confie-t-il. « Je m’attendais surtout à batailler avec les courses et les points pour me qualifier mais au ranking ». Au moment de franchir la ligne d’arrivée, on peut lire l’émotion sur le visage de l’athlète tricolore. Un amas de sentiments qui passe par la tête. « Je savais que j’avais entre 1h21 et 1h22 dans les jambes (ancien record : 1h22’29 en 2017) mais il fallait réussir à aller au bout techniquement. Il y a le passage sous 1h20 qui est très symbolique dans la marche. Ensuite, il y a les minima directs. Pendant un an et demi, je suis serein sur ma qualité d’athlète de haut niveau. C’est une qualification pour les JO ! J’étais super content d’avoir participé aux championnats du monde à Eugene puis aux championnats d’Europe de Munich l’été dernier. Il me manquait les Jeux. À domicile, c’est encore mieux et puis, je réalise cette performance aux France. Cela met en valeur le niveau du championnat ».
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Ce chrono et cette qualification, Aurélien Quinion pourrait les qualifier d’un aboutissement. Il insiste tout de même que cela ne veut en rien dire qu’il arrêtera. Il fait désormais partie des trois seuls Français à être descendus sous la barre mythique des 1h20. Sa performance a eu des échos un peu partout. Il s’est vu féliciter par le champion du monde du 35 kilomètres et a reçu un message du double médaillé aux championnats du monde de Eugene ou encore du champion olympique. « Cela montre la portée de la performance. Je marque l’histoire de la marche athlétique en France. »
Rien ne prédestinait un tel chrono
On pourrait croire que tout était aligné pour le pensionnaire de l’EFCVO et pourtant, pendant l’échauffement, il s’est demandé ce qu’il faisait là. « J’ai toujours mal au dos avec mon lumbago que je traîne depuis un mois même si c’est moindre qu’aux France Elite en salle à Val-de-Reuil le 11 février. J’ai trottiné dix minutes pour m’échauffer, puis marcher quelques minutes. Je me demandais quoi, je me disais que j’aurais dû faire les 35 kilomètres. J’ai arrêté mon échauffement pour faire deux ou trois gammes. Et puis, ça passe. Je n’arrivais pas à me mettre dedans, me concentrer ». Aux côtés de Gabriel Bordier pendant une grande partie de la course, les deux hommes se sont portés vers la performance. « Je ne sais pas ce que cela aurait donné sans Gabriel. Pour moi, cela reste le marcheur le plus fort sur 20 km actuellement et avec le plus gros potentiel. Je suis arrivé sans prétention. Je l’ai suivi, j’étais fier de m’accrocher. La course s’est faite. On s’est relayé et j’étais bien. J’avais peur d’être dans l’excès au début. Je suis donc resté dans la maîtrise et on est arrivé assez vite au dixième kilomètre ».
Ce n’est qu’après 15 kilomètres que l’élève de Denis Langlois se décide à regarder sa montre. Il se rend alors compte qu’il n’est que dix à quinze secondes au-dessus des minima. À partir de ce moment-là, la donne a changé. Les minima, il les aurait. « Avec l’euphorie et tous les entraînements, j’ai réussi à passer le cap et à accélérer pour rattraper le temps. Quand il reste cinq kilomètres, je savais que c’était fini, que j’allais aux Jeux. Je me suis dit que j’étais trop proche de ce chrono pour craquer. Je ne pouvais pas échouer à quelques secondes près, si proche du but. Je savais que ça allait être dur mais ça passerait. J’ai confiance en ma capacité de résistance et d’accélération sur les fins de course. Je l’ai pas mal testée sur les dernières années. Je me fais de plus en plus confiance et je sais que je suis capable de passer au-dessus de la douleur. »
Un excellent finisher
Il le dit sans prétention : « Je suis un des meilleurs finishers du circuit ». À Aix-les-Bains, Aurélien Quinion met 40’28 pour accomplir les dix premiers kilomètres. La seconde partie de course est plus rapide d’une minute (39’29). Il l’explique par la difficulté qu’il a à se mettre dedans. « J’ai besoin d’un petit laps de temps. C’est pour cette raison d’ailleurs que je suis plus à l’aise sur des distances comme le 35 ou 50 kilomètres car je dois moins oser dès le début. C’est plus enivrant d’être dans une allure et d’accélérer progressivement. Plus tu accélères, plus tu sais que cela va être dur mais comme tu es dans une phase positive, c’est plus facile de subir la douleur de l’effort. »
Moins de quantité, plus de qualité
Après avoir connu des difficultés entre 2018 et 2021 et une longue période d’errance, le recordman de France du 35 km (2h28’46) a senti qu’il y avait un réel changement et que son rêve d’être un acteur de sa discipline devenait plus concret. « J’ai trouvé une stabilité en dehors du sport de haut niveau (financier et travail). J’ai rempli ma vie autrement qu’avec juste le résultat et la performance. Je grandis. Je peux me permettre de dire que je m’entraîne deux fois moins que Kévin Campion ou d’autres athlètes de haut niveau. Souvent, en demi-fond ou en marche, on essaie de faire 200 km/semaine. Je n’en fais même pas 100. Je fais moins mais quand j’y vais, je le fais vraiment. Je suis dans la qualité et moins dans la quantité. Je me permets une totale liberté. S’il y a des séances que je ne sens pas, je ne les fais pas ».
Les résultats découlent de sa manière de penser et d’aborder les courses par le plaisir. La place ne signifie pas grand-chose à ses yeux. « Ce week-end si Gabriel avait fait premier, ça n’aurait pas changé ma vie. Là où je vise plus c’est mon plaisir personnel plus que celui par rapport un résultat, une compétition, des sponsors. Je le fais pour moi car je suis fier de qui je suis, ce que je fais. C’est le plus important. Tout le monde s’en fout que j’aille aux Jeux ou pas. C’est bien mais cela ne résume pas une vie. Je me suis toujours dit : le jour où j’arrêterai, je veux être fier et ne pas arrêter sur une frustration. Cela résume le cheminement qui m’amène à être plus relâché et plus distant de tout ce monde-là et qui me permet d’être performant. »
Le plaisir prime sur les résultats et les performances
Du kiff, cela résume le rapport qu’Aurélien Quinion entretient avec son sport. Il en souligne l’importance tout au long de l’échange. À quoi bon se priver ? « Il y a trois grands champions en France. Je ne fais pas partie des élus sinon je le saurais depuis un bon bout de temps alors autant kiffer et en prendre plein les yeux tout le temps ». Pourquoi manger des pâtes ou du riz la veille des championnats de France lorsque l’on peut manger une bonne tartiflette ? La raison est toute trouvée. « Pour ce que cela va changer sur mon niveau de performance. Je préfère profiter avec les jeunes que j’entraîne. Lorsque j’ai remporté le World Challenge à Dublin, je suis parti trois jours avant la course. On a passé avec mon coach toutes nos soirées en centre-ville et on rentrait à minuit. Quoi qu’il arrive pendant une course, je sais au moins que j’ai kiffé. Je peux paraître à l’ouest sur ce qu’est le haut niveau mais j’ai décidé de profiter et cela a toujours été ma logique depuis que je suis jeune ». Le Français de 30 ans ne se sent plus du tout sous pression depuis qu’il n’est plus à l’INSEP ou dans le suivi fédéral. Cela l’a libéré. « Le jour où l’athlétisme s’arrêtera pour moi, ma vie continuera. »
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« Partager avec d’autres athlètes »
Peu d’athlètes vous diront que la manière importe plus que le résultat. Et pourtant, Aurélien Quinion en fait partie. Le dépassement de soi, la bagarre, les attaques, les relances… cela passe en effet plus vite. Le record de France du 20 km marche de Yohann Diniz (1h17’02), il n’y pense pas. C’est tout d’abord un autre monde puis il préfère refaire un 1h19 aux JO que le battre. « Si je fais 1h17 tout seul, cela ne sera pas fun. C’est beaucoup plus cool de partager. C’est ce qui me transcende. C’est bien plus exaltant ». En juillet dernier, l’athlète de 30 ans battait son record de France du 35 kilomètres aux Mondiaux de Eugene et malgré une belle quatorzième place, il était un peu frustré à l’arrivée. « Je n’avais servi à rien dans la course. Je n’ai pas été acteur. C’est quelque chose que j’aimerais être capable de faire à chaque fois. Je préférerais ne jamais être champion du monde et être toujours acteur. Cela me fait plus vibrer. »
Une casquette de coach propice à son propre développement
Le partage, une valeur importante. S’il apprécie partager ses courses avec ses concurrents, il prend également du plaisir lors des temps d’échange avec ses athlètes. Coacher, c’est se renseigner, adapter, réfléchir et recommencer. « J’aime la curiosité qu’amène ce taf mais aussi leur partager mon amour pour la marche, mon plaisir de pratiquer. Cela m’apporte beaucoup car je vois autre chose, je réfléchis autrement. C’est superbe ! C’est un métier gratifiant. Que je sois athlète de haut niveau ou non, je continuerai à le faire. Cela m’apporte en tant que personne ». Que ce soit pour lui ou ses athlètes, Aurélien Quinion souhaite avant tout qu’ils soient fiers de ce qu’ils font, ce qu’ils sont. « Pas uniquement dans l’athlétisme. Je souhaite qu’ils grandissent, mûrissent et qu’ils soient fiers d’eux en devenant des adultes posés, réfléchis. L’athlétisme n’est qu’un passage. Les valeurs qu’on a, c’est toute une vie. »
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Entraîneur, athlète, mais également paysager. Il a de nombreuses cordes à son arc. Le point commun ? Tout ce qu’il fait, il le fait avec plaisir. « J’aime beaucoup car c’est un métier créatif, imaginatif. Je me suis formé pendant longtemps. Je connais les contraintes mais je ne les subis pas et c’est le plus important. C’est tout de suite plus facile ». Il y a un an, Aurélien Quinion s’achetait encore ses baskets et ses équipements. Depuis peu, il a rejoint la famille d’Asics. « Cela me soulage. C’est agréable de se dire qu’une marque nous fait confiance. Je suis très loin d’un contrat avec de l’argent mais cela reste une dotation. Il n’y a pas de pression financière ». Depuis janvier, il est rentré de nouveau dans le suivi fédéral de la marche. La Fédération allège son quotidien. Il a notamment pu partir en stage en janvier et février. Il insiste, il reste leader et meneur de ce qu’il fait. « Je suis le décisionnaire. Mon attitude a changé. Je me sens moins imposé par des choix. Tout ce que je fais, je l’ai décidé. La Fédération respecte mes choix et décisions. Le responsable du suivi m’appelle quasi toutes les deux semaines. Cela peut paraître rien mais c’est beaucoup. Je pense que c’est un peu comme Asics, la Fédération accorde énormément à la relation et la confiance des uns envers les autres. Je ne suis pas champion du monde ou olympique mais j’ai l’impression d’être soutenu et mis en confiance. Cela me permet aussi de performer. »
Budapest en ligne de mire
Ces minima pour les Jeux olympiques va amener du changement dans le planning de compétitions du tricolore. Cela va lui permettre de faire des courses en fonction de ses besoins. Sa saison était calée en vue de faire les minima ou la qualification via le ranking pour les Jeux. « Je vais garder des compétitions du circuit mondial car c’est important d’aller se confronter aux meilleurs de la discipline. Je n’aurai pas besoin de courir sur toutes les épreuves du circuit. Cela nous libère. Sinon ma saison reste calée sur les 35 kilomètres ». On le retrouvera avec son maillot bleu-blanc-rouge lors de la Coupe d’Europe par équipes (21 mai à Podebrady, en République tchèque). L’objectif final sera les Mondiaux de Budapest sur 35 kilomètres cet été (19 au 27 août, minima fixés à 2h29’40).
Texte : Coline Balteau
Crédit photo : STADION