Aurore Fleury : « J’ai vraiment envie de montrer de quoi je suis capable »

16 mars 2022 à 18:03

À 28 ans, Aurore Fleury touche enfin du doigt ses rêves de haut niveau. Depuis qu’elle a fait tomber les barrières qui l’empêchaient, jusque-là, de s’exprimer pleinement, la Nancéienne coachée par Fréderic Fabiani revit. Ce vendredi, aux Championnats du monde en salle de Belgrade, la spécialiste tricolore du 1500 m aura l’occasion de concrétiser sa progression et de conclure en apothéose une saison hivernale pleine d’ambitions. Interview !

L’interview vous est présentée par

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Aurore, vous avez brillé avec le relais mixte aux championnats d’Europe de cross à Dublin, puis en salle où vous avez notamment explosé votre record personnel sur 1500 m (4’07″09). Quel type d’effort préférez-vous, et comment avez-vous fait pour tenir physiquement durant toute cette saison hivernale ?

Sans hésitation, l’effort que je préfère c’est le 1500 m, c’est la piste. Le cross, je le fais parce qu’il y a une dimension de l’équipe qui me plaît beaucoup et parce que c’est une belle préparation justement à la saison en salle. Le cross c’est une belle école, mais ce n’est pas ce que je préfère donc voilà, je sais que je dois passer par là mais je préfère vraiment la piste. Et puis effectivement, la saison est un petit peu longue mais on l’avait prévu donc on a eu des moments avec un peu plus de repos et de récupération pendant ces mois, donc c’est quelque chose qu’on avait prévu. Dans ces moments-là, c’est plus facile de mieux planifier l’entraînement par rapport aux différentes échéances, donc je me sens pleine d’énergie pour ces championnats. Je n’ai pas l’impression que c’est la fin de la saison, bien au contraire. Je n’ai pas tant couru que ça en compétition en salle en plus, donc j’ai pu avoir des moments et des semaines où je n’avais pas de compétition. Je ne ne me sens pas usée par la saison, et ça c’est déjà une belle réussite par rapport au travail de mon entraîneur, ça veut dire qu’il a bien travaillé tout ça et c’est de bonne augure pour vendredi

À Karlsruhe (Allemagne) le 28 janvier dernier, vous étiez à neuf centièmes des minima, finalement c’est bon, c’est passé. Mais vous aviez dit qu’à la base votre objectif était sur 3000 m ?

C’était difficile à ce niveau-là, les minima sont très durs, les courses sont peu nombreuses, en Europe notamment, sur 3000 m pour aller dans ces chronos là. Mine de rien, on est aussi un peu soumis au calendrier, aux courses dans lesquelles je peux rentrer ou pas à l’instant T et mon état de forme à l’instant T, est-ce qu’il y a une compétition et est-ce que je suis assez en forme ou pas pour faire notamment 8’45, le chrono demandé. Donc en fait, finalement je n’ai pas eu trop le choix de la discipline parce que je me suis pliée aux compétitions dans lesquelles je pouvais rentrer et avec lesquelles j’avais le plus de chances. Donc on est obligé de jouer avec tout ça, et c’est aussi hyper intéressant, parce qu’il faut s’adapter et qu’il faut changer des fois un peu ses plans pour arriver, aujourd’hui, aux championnats du monde. Cette course en Allemagne m’a quand même porté chance. Et même si la suite de la saison a été un peu compliquée pour moi, parce que j’ai eu des petits événements compliqués à gérer dans ma vie personnelle, il a fallu aussi s’adapter, y croire quand même et aller aux championnats de France avec l’envie de gagner pour essayer de valider mon ticket pour Belgrade. Donc ça a été une belle saison, mais entrecoupée de moments où il fallu bien s’adapter et retrouver des ressources. Je suis contente que ça se concrétise par cette sélection, parce que c’était aussi l’objectif principal. Ça se termine plutôt bien et il faudrait que ça se termine en apothéose vendredi, j’espère, pour la finale samedi.

Cet hiver, vous êtes devenue la troisième meilleure performeuse française de l’histoire sur 1500 m indoor. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

C’est une grande fierté. Après, j’ai conscience aussi qu’on peut difficilement comparer les époques. On a des technicités, au niveau des pointes notamment, qui sont quand même bien différentes, donc je resterai assez réservée sur le fait de me comparer aux athlètes qui ont couru il y a dix ou quinze ans. Mais en tout cas, ce dont je suis fière, c’est qu’actuellement je fais partie des meilleures françaises, des meilleures européennes et que je tends vers le meilleur niveau. C’est de ça dont je suis fière. Mais je ne me permettrais pas de me comparer aux athlètes qui ont couru avant, parce qu’elles avaient d’autres forces et d’autres moyens que moi donc c’est difficilement comparable. Mais le chrono j’en suis fière et je suis contente de mon placement actuellement avec les personnes qui courent en même temps que moi. Je vais essayer de rester là-dessus parce que sinon, ce n’est pas juste pour les anciennes athlètes qui n’avaient pas les mêmes moyens que moi.

Comment vous projetez-vous sur ces Championnats du monde à Belgrade ?

C’est sûr que c’est assez relevé. Alors c’est moins dense que l’été, obligatoirement, parce qu’il y a moins de qualifiées, mais c’est une belle compétition. Je le prends vraiment comme une étape pour cet été, où mon objectif principal est d’entrer en finale à Eugène aux championnats du monde. C’est vraiment l’objectif principal de l’année. Vendredi, c’est mon premier pas dans une sélection sur la piste, c’est directement les championnats du monde donc ça va malgré tout être beaucoup plus dense que ce que j’ai connu jusqu’à maintenant. Donc c’est pour moi une prise d’expérience hyper importante. J’ai vraiment envie d’essayer de m’exprimer à 1000 % dans cette série parce que oui, bien sûr que j’ai le souhait de passer en finale. On sait que les séries c’est très piégeur. Je suis à peu près dans le milieu de tableau dans les qualifiées donc je suis à deux ou trois places près, sur le papier, de pouvoir passer en finale. Les cinq filles qui sont derrière moi et les cinq filles qui sont devant moi, finalement c’est très rapproché en termes de chrono. Donc je peux ambitionner presque un top 5, comme une quinzième place. Tout ça est très très compliqué en amont. Mais le principal est de faire une belle série, de m’exprimer, d’être actrice de la course. Parce que, forcément je regarde les anciens championnats, et souvent les premières sélections des athlètes c’est compliqué, on ne trouve pas sa place dans les pelotons… J’anticipe un petit peu tous ces problèmes et j’aimerai vraiment essayer de montrer de quoi je suis capable. Après, on verra. S’il y a trop de filles meilleures que moi ce jour-là, je resterai en série et je serai quand même fière de moi, mais j’ai vraiment envie de montrer de quoi je suis capable et surtout de profiter du moment. L’idéal, évidemment c’est d’entrer en finale pour pouvoir aussi avoir cette expérience d’enchaîner deux grosses courses en 24 heures, parce que c’est quand même ça. Et à Eugène cet été, il y en aura, j’espère, trois en quatre jours, donc il faut vraiment que je prenne de l’expérience parce que je suis un petit peu âgée. Enfin, un petit peu âgée… J’ai 28 ans, donc bien évidemment je ne fais pas partie des petites jeunes mais mon expérience elle, elle est très jeune, donc il faut que j’apprenne plus vite aujourd’hui que les autres, pour justement être performante aussi cet été aux Europe bien évidemment, mais d’abord aux championnats du monde. Personnellement, c’est vraiment cette finale aux championnats du monde qui est très importante pour la suite, et pour Paris 2024 notamment. Parce qu’être finaliste deux ans avant, c’est une belle étape pour essayer d’aller chercher une très belle place à Paris dans deux ans.

À 28 ans justement, comment êtes-vous arrivée vers le haut niveau et qu’est ce qu’il vous manquait il y a cinq ou six ans pour avoir le chemin classique de la découverte des grands championnats à 22/23 ans ?

Ce qu’il me manquait de base, je pense que c’était la confiance en moi et le fait que depuis toujours je me mettais des barrières sur mes capacités et sur, potentiellement, le talent que j’avais, tout simplement. Et donc je ne me permettais pas vraiment de penser que mes rêves, ils pouvaient être un petit peu dans la réalité. J’ai aussi fait des études que je n’ai pas aménagées du tout, parce qu’effectivement, j’avais un niveau modeste. Je me qualifiais aux Championnats de France mais je n’avais pas les prétentions pour avoir des aménagements, donc j’ai dû faire mes études ostéopathe sans aménagement. Évidemment ça a freiné aussi ma progression à ce moment-là, même si je continuais de m’entraîner. J’ai vraiment essayé de faire les deux à ce moment-là, et ça a amené beaucoup de blessures, parce que je travaillais beaucoup et que je m’entraînais aussi le plus possible quand même. Donc je me suis beaucoup blessée dans ma carrière, ce qui explique aussi cette petite éclosion au haut niveau à 28 ans seulement. Il y a plein de raisons… Mais maintenant que j’y suis, je compte y rester le plus longtemps possible, même si évidemment, à 28 ans, je ne vais pas vous dire que ça va durer vingt ans. Mais par contre je veux en profiter. Maintenant que je suis là, je veux vraiment progresser encore et pour le coup, faire tomber ces barrières qui m’ont empêché de rêver vraiment grand et de pouvoir mettre les choses en place pour arriver à réaliser ces beaux rêves. J’ai vraiment envie de saisir ma chance, maintenant je suis un petit plus sûre d’avoir un peu de talent et je pense que je peux y arriver si je travaille bien, intelligemment et si je fais tomber un peu ces barrières là. Donc voilà ce qui explique un petit peu mon vieil âge.

Et à quel moment avez-vous commencé à croire que vous aviez ce talent ? À quel moment avez-vous eu un déclic ?

Le déclic a eu lieu en 2020, l’année de la Covid. Je sentais que j’étais capable de belles choses, mais mon rythme de vie… Je travaillais dans trois cabinets à cette époque là, donc je me suis rendue compte que mon rythme de vie était bien trop élevé pour exprimer mon talent, et mon travail aussi. Parce que finalement, on a beau s’entraîner beaucoup, si on est fatiguée le jour de la compétition, ça ne se concrétisera pas. Donc à ce moment-là, j’ai eu un déclic un peu d’organisation, de priorités de vie et j’ai mis ensuite les choses en place pour moins travailler et avoir plus de temps pour m’entraîner correctement, sans risque de blessures, ou en tout cas pour les diminuer. Et à partir de ce moment-là, je n’ai fait que de progresser et j’ai passé vraiment des gros cap en moins d’un an de temps, qui m’ont fait passer d’une bonne coureuse nationale, que j’étais très fière d’être, attention, à une bonne coureuse européenne qui tend vers le très haut niveau. Donc ça a été ce déclic plutôt mental, parce que finalement, mes capacités physiques sont les mêmes depuis que je suis née. C’est plutôt ce qui se passe dans la tête qui compte beaucoup à un moment donné et notamment aussi mon entourage qui a cru en moi au moment où je donnais des chronos un peu fous. Parce que quand vous faites 4’15 au 1500 m et qu’un jour vous dites « mais moi je veux faire 4’05 au moins », il faut des gens en face qui soient capables de suivre ce projet un petit peu bizarre, mais je remercie mon coach pour ça. Il m’a dit « ok, bon il y a des étapes avant, mais c’est vrai que tu as peut-être raison, tu peux peut-être y arriver un jour ». Donc c’est aussi l’entourage. Quand on est bien soutenu, on y croit aussi un peu plus.

— Pour rebondir sur ce qu’on disait tout à l’heure, avec quel modèle de pointes allez-vous courir ce week-end, et que pensez-vous de l’essor des pointes carbone ?

Je cours avec les ZoomX Dragonfly. Depuis le 1er janvier, je suis sponsorisée par Nike. Je les remercie aussi pour leur confiance parce que c’est très important. C’est un autre rêve pour moi qui se réalise, de pouvoir faire partie de cette famille et de cette marque que j’aime beaucoup. Donc je vais courir avec les ZoomX Dragonfly. Il n’y a pas de carbone dedans, mais c’est une mousse. Toutes les marques ont des mousses un petit peu révolutionnaires maintenant, et qui nous font effectivement courir plus vite, il ne faut quand même pas se mentir. Direct, quand je les ai mises à l’entraînement, j’ai tout de suite senti la différence. C’est une révolution, c’est pour ça qu’on ne peut pas comparer ces bilans tous temps, ces anciennes athlètes qui ont couru etc. Pour moi, ce n’est pas comparable du tout. Après, là où je vois vraiment la différence, c’est que j’avais beaucoup de problèmes d’aponévrosite plantaire, en fait ce sont des douleurs sous le talon. Dès que je mettais des pointes d’anciennes générations, ça me faisait très mal et j’étais vraiment limitée dans le port de ces pointes. Alors que maintenant, quand je porte ces nouvelles pointes avec cette mousse qui est beaucoup plus réactive, qui permet beaucoup plus d’amortir les chocs, je peux les mettre presque de manière illimitée. Il m’arrive même de me dire « je suis en basket mais je vais mettre mes pointes pour que ça me fasse moins mal aux pieds » alors que c’est complètement contradictoire par rapport à avant. Je pense que ça nous protège, toutes les marques nous protègent vraiment davantage des chocs au niveau des talons, au niveau des talons d’Achille etc. Et en plus, effectivement, ça permet une réactivité bien plus importante, notamment dans les derniers tiers de course, où généralement on tend un petit peu à s’affaisser dans le sol, à avoir un bassin moins haut, à moins réagir au niveau des pieds qui s’écrasent un peu… Là, à ce moment-là, ça nous aide vraiment à être plus réactif, plus gainé, plus solide, et évidemment on termine souvent plus vite avec ces pointes. En tout cas moi c’est le constat que j’en fait. Et niveau confort, il n’y a pas photo. On a de la chance d’un sens, et en même temps il faut garder les pieds sur terre et éviter de comparer des époques qui ne sont vraiment pas comparables et rester dans cette comparaison instantanée entre nous, qui courrons avec les mêmes armes pour le coup. J’essaie vraiment de rester dans ce cadre-là.

À Karlsruhe, vous aviez dit avoir manqué d’un peu d’audace, ce qui vous avait peut-être coûté ces quelques centièmes. Vous dites aussi qu’il faut apprendre vite. Dans les quelques courses que vous avez faites cet hiver, sentez-vous déjà une amélioration ?

C’est vrai qu’à Karlsruhe, j’ai construit cette course un peu par l’arrière, et j’ai terminé vraiment fort. Ça laisse augurer un chrono qui peut être meilleur, c’est pour ça que je parlais comme ça. Effectivement, j’ai un peu tendance encore, dans ces courses de haut niveau, à courir dans la prudence pour rester dans ma zone de confort et, si je le peux, accélérer à la fin. Ce qui est une bonne qualité dans les championnats d’être une bonne finisseuse parce que ça va être important, notamment si j’arrive à passer en finale. Mais il faut, vendredi, que je comprenne que j’ai vraiment ma place et que je dois m’imposer. Je pense que mon bel axe de progression, ça va être de m’imposer physiquement parce que j’ai tendance, notamment à Karlsruhe en Allemagne, je m’étais très bien placée dès les 100 premiers mètres sauf qu’en fait, au bout de 600 mètres de course, les filles me passaient devant, elles se remettaient à ma place et je perdais du terrain dans le peloton en les laissant passer physiquement parlant en leur disant « ok bon, allez tu peux te mettre à ma place ». Et le problème c’est qu’en faisant ça, je n’étais plus derrière le bon wagon, et finalement ces filles-là je les ai repassées à la fin parce qu’elles étaient en décélération et moi je pouvais aller plus vite. Donc il va falloir physiquement que je m’impose vendredi, parce que les courses tactiques ce sont des combats, et ça c’est pour moi, mon gros point faible actuellement. Il va vraiment falloir que j’aille au combat physique et que je prenne ma place pour m’exprimer totalement et montrer comment mes jambes peuvent courir vite, et jusqu’à quelle vitesse, et pendant combien de temps. Donc il faut que je m’impose physiquement pour m’exprimer dans tout mon potentiel. Et ça, vendredi c’est mon gros challenge.

Propos recueillis par Emeline Pichon
Crédits photos : Jean-Luc Juvin / STADION

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