Gabriel Tual : « Je suis un compétiteur, j’aime gagner »

10 février 2022 à 11:57

Révélation française des Jeux olympiques de Tokyo au 800 m (7e), Gabriel Tual fait partie d’une très prometteuse génération sur le demi-fond tricolore dont l’année 2021 restera à marquer d’une pierre blanche. Pendant une journée, le sociétaire de l’US Talence âgé de 23 ans nous a ouvert les portes de son entraînement en Gironde pour une longue interview et un reportage photo à découvrir ci-dessous en version magazine grand format. Pour Stadion, le protégé de Bernard Mossant revient sur sa belle saison, avant de se projeter, déjà, sur la suivante. Entretien d’un athlète attachant et très motivé.

Gabriel Tual en chiffres

SA PLACE AUX JO DE TOKYO SUR 800 M

RECORD PERSONNEL SUR 800 M

TITRES DE CHAMPION DE FRANCE

SÉLECTIONS EN ÉQUIPE DE FRANCE

Mercredi 2 et jeudi 3 février, l’un de nos photographes attitrés Antoine Decottignies a suivi le récent finaliste olympique sur 800 m à l’entraînement. C’est à 17h le mercredi que Gabriel Tual nous donne rendez-vous avec son groupe au Stadium de Bordeaux Lac pour une séance de vitesse longue. La séance est découpée en deux blocs : une premier de 100 m – 150 m – 200 m et un second de 200 m – 150 m – 200 m. Bien que rapide et satisfait des chronos (l’un des 200 m a été bouclé en moins de 23 secondes), Gabriel Tual nous confie ne pas raffoler de courir en salle. L’une des raisons de cette réticence sont les virages relevés qui lui réveillent souvent une douleur au pied normalement endormie le reste de l’année. Il nous expliquera les autres raisons dans l’interview.

C’est après une bonne nuit de sommeil que nous nous retrouvons le lendemain matin vers 10h. Le fartlek en nature initialement prévu a finalement été transformé en un simple footing sur pelouse, par prévention suite à l’apparition de la douleur la veille. C’est à allure modeste et écouteurs vissés sur les oreilles que Gabriel a finalement affronté pendant 25 minutes les deux degrés qu’affichait le thermomètre au CREPS de Bordeaux ce matin-là. Le dernier endroit où le vice-champion de France Elite 2021 a tenu à nous emmener est le cabinet de Nicolas Marrone, son kiné. Le champion a l’habitude de lui rendre visite au moins une fois par semaine pour prévenir ou guérir de quelconques douleurs, ce jour là le sujet principal était donc sa douleur au pied apparue lors de sa séance en salle de la veille. 

— Gabriel, alors que s’est ouverte la saison 2022, que retenez-vous quand vous regardez en arrière, vers ces Jeux de Tokyo l’été dernier ?

Même si les Jeux olympiques se sont déroulés dans un cadre particulier, c’est quand même une expérience magique et je l’ai sentie, mentalement, comme quelque chose d’extraordinaire. Pour rien au monde je vais rater ceux de Paris. Ça donne un gros coup de boost, et j’ai envie de bien faire pour cette année et les années à venir. 

—  Nous auriez-vous pris pour un fou si on vous avait dit il y a un an à cette même période que vous seriez finaliste olympique à Tokyo ?

Ouais ! Parce que bon, le début d’année a été compliqué, j’ai raté les Europe en salle de Torun pour quatre centièmes et après la saison estivale a commencé, et ce n’était pas top top ! J’ai commencé en 1’46, je me suis dit « mais jamais je vais y arriver ! ». Jamais je me voyais, déjà, faire les minima, c’était quand même compliqué. Puis j’ai fait 1’45″25 à Marseille, et là je me suis dit « nan, c’est pas possible de rater pour cinq centièmes, ça serait quand même dommage ! ». Puis j’ai fait les minima, et bon, déjà c’était un premier point pour m’assurer tout ça, mais jamais je ne me serais imaginé être finaliste. Alors après, oui c’est quand même un objectif d’être finaliste, même de gagner : on ne sait jamais, sur un malentendu, ça peut passer ! On l’a toujours dans un coin de notre tête, mais de là à être vraiment finaliste… Non.

— Quel était votre objectif en arrivant aux Jeux ?

Il n’y a pas vraiment d’objectif en fait. Alors, oui, on veut aller en finale, on veut gagner, mais c’est tellement aléatoire qu’il faut se dire que rien n’est acquis, et que tous les jours, même pour les meilleurs, c’est une finale. Et c’était l’optique dans laquelle j’étais. Mon coach me répétait « aujourd’hui, c’est ta finale, il faut que tu cours comme si c’était ta dernière course, il faut que tu donnes tout ». On sait que c’est la loterie le 800, et que tout le monde peut passer. Donc il faut jouer sa carte, et il faut la jouer à chaque tour. Donc je n’avais pas vraiment d’objectif…

— Racontez-nous ce que vous avez ressenti lorsque vous avez appris votre accession à la finale ?

Déjà avec le chrono que j’avais fait, j’étais dans la série 2, il ne restait plus qu’une série, j’étais dans une bonne position. Je me disais « waouh je vais aller en finale, incroyable ! ». Et j’ai regardé la course et une fois qu’on voit le tableau de la dernière course s’afficher, et que le troisième fait 1’44″80, c’est incroyable ! On se dit « c’est bon ! ». Alors, à la fois on est soulagé, parce qu’on se dit « c’est bon, j’y suis arrivé », mais à la fois il faut se reconcentrer assez rapidement et se dire « ok, maintenant j’ai une finale olympique à courir dans deux jours ». Donc voilà, c’était un peu partagé entre soulagement, bonheur, et après il ne faut pas oublier que, oui, le travail a été fait, mais on a fait que 10% du travail. Il y a le gros du travail qui arrive maintenant. 

— Vous finissez septième, pas si loin finalement de la médaille. Que vous a-t-il manqué pour monter sur le podium ?

Il y a plein de choses. Avec des « si », on refait le monde, c’est très facile. Mais déjà, on était 9 et pas 8, sur une finale olympique, ça bouge beaucoup. Après j’étais à l’intérieur, donc là aussi je me suis vite fait enfermer pendant la course, et c’est une finale olympique, tout le monde veut gagner. Je me suis battu pendant 500 mètres avec les mecs qui étaient autour de moi, et je pense que j’ai grillé pas mal d’énergie. J’étais un peu fatigué des courses que j’avais faites, mentalement aussi j’étais très fatigué. Donc on arrive dans une disposition physique et mentale qui est bien diminuée. Après, peut-être le manque d’expérience, c’était ma première finale olympique. Manque d’expérience qui fait que je suis resté un peu derrière et je me suis fait bousculer. Mais bien sûr que j’ai appris. On se rend compte aussi que mettre une boite, ou attaquer dans une finale olympique : faut vraiment être sûr de soi ! Parce que les sept autres mecs qui sont derrière, ils sont prêts à te bouffer ! C’est vrai que j’étais un peu frustré de cette finale, mais en même temps on ne peut pas être frustré après ce parcours. Donc il faut garder en tête les erreurs que j’ai faites sur cette finale, pour les assimiler et les étudier, pour ne pas les refaire aux finales d’après. Mais bon, je fais quand même septième, je suis à neuf centièmes si je m’en rappelle bien de la quatrième place, donc on était vraiment tous dans un mouchoir de poche. J’ai fait septième aux Jeux, mais j’aurais pu faire quatrième. Quatrième aux Jeux olympiques c’est autre chose aussi, mais globalement je suis super content, et c’est de bonne augure pour la suite. 

« Je pense que j’aurais pu les faire sans les carbones. »

Après avoir longtemps couru après les minima olympiques (1’44″44 le 12 juin à Nice), qu’est-ce qui a fait basculer les choses du bon côté ?

Les petites pointes carbone ! En fait jusqu’à Marseille, quand j’ai fait 1’45″25, je n’avais pas les carbones. Et mon père, la veille, est venu m’apporter exprès les pointes carbone à Nice. Donc je lui ai payé 300 euros de voyage en avion pour qu’il m’apporte ces pointes carbone, parce que ce n’était plus possible. Mentalement j’étais aussi un peu usé, du fait que tout le monde parlait des carbones, tout le monde faisait des chronos avec les carbones. Je pense que j’aurais pu les faire sans les carbones. Mais bon, avec des « si » on refait le monde, comme je l’ai déjà dit. Mais je pense que je me suis dit « j’ai les carbones, c’est bon, je vais y arriver ». Et ça, ça m’a beaucoup aidé. Et l’état d’esprit dans lequel j’étais. À Nice, c’était ma dernière course, donc il fallait vraiment que je fasse les minima. Ça met plus de pression, mais mentalement j’étais prêt à partir comme un fou furieux, et à les faire coûte que coûte !

— Que représente pour vous ce chrono de 1’44″28 réalisé lors des demi-finales à Tokyo ?

Déjà, je ne pensais pas faire 1’44″28. J’étais dans l’optique d’aller en finale, mais dans cette course, je ne pensais pas que j’avais fait ce temps. Je n’avais pas du tout regardé le chrono de toute la course, je ne savais pas ce que j’avais fait, mon objectif c’était vraiment d’aller en finale. Mais finalement, se dire que l’on fait ça en demi-finale des Jeux, ça laisse présager de belles choses, car ce n’était pas du tout une course à records. Bon, ça courrait quand même vite, c’était bien mené, mais ce n’était pas vraiment une course à records. Et je pense que si ça avait été dans une autre configuration, il y aurait eu quelque chose de mieux à aller chercher. Mais c’est quand même incroyable, 1’44″28 : ça va être bien pour cette année !

—  Quelles sont les clés de votre progression, avec ce record personnel pulvérisé (ancien record : 1’45″84 en 2019) ?

Non, je n’ai rien changé. Alors oui, après on s’entraîne plus, puis il y a les entraînements que l’on a fait les années d’avant qui ne sont pas perdus, et qui s’ajoutent aux entraînements qu’on fait aujourd’hui. Puis après, à un moment donné on va être limité physiquement, donc il faudra aller chercher d’autres choses, sur d’autres notions. Aujourd’hui je travaille l’aspect mental, mais je pense que c’est un tout.

— Quelles sont vos conditions d’entraînement ?

Il y a deux méthodes pour le 800 : les méthodes basées sur la vitesse, et les méthodes basées sur le long. Moi, je suis plus basé sur la vitesse. Après, chacun sa vision du 800. Déjà je fait deux grosses séances de musculation par semaine. Musculation, pas du renforcement ! On a aussi une séance de technique, une séance de tempo/vitesse, ça dépend la période à laquelle on est. Et on a deux séances de fartleck par semaine. Et après, soit on a une séance de piste, courte ou longue, ou selon ce qu’on prépare, une spé 400, spé 800, spé 1500… Ça fait beaucoup d’entraînements par semaine, à peu près neuf ! Mais ça change, c’est très variable. C’est sûr que, quand on est en stage, on s’entraîne 10 à 11 fois par semaine. Mais quand on est là, aujourd’hui, où on a les cours et autres choses, on s’entraîne un peu moins. Oui, je dirais 9 ! Et pas tant que ça de kilomètres. Je ne compte pas du tout, parce qu’on est plus sur quelque chose de qualitatif que de quantitatif. Et puis même, pour un coureur de 800, faire des bornes… Oui, ça sert. Mais ce n’est pas l’essentiel du travail. Il faut que je sache passer en 50 secondes au 400, et pour passer en 50 secondes au 400, ça ne sert à rien de faire des footings de 1h/1h10. C’est ma vision du 800… Il faut savoir courir vite. Et pour courir vite, il faut faire de la technique, faire de la musculation, savoir courir relâché, et voilà ! 

—  Où en êtes-vous dans votre préparation ? Comment vous sentez-vous ?

Le stage à Monte Gordo s’est très bien passé, on a commencé un peu les séances spécifiques pour préparer très rapidement l’hiver. Parce qu’aujourd’hui je fais de l’hiver, mais c’est dans l’optique de préparer l’été, c’est simplement pour retrouver des sensations, et pour qu’il n’y ait pas un trop gros décalage entre l’été 2021, et l’été 2022. C’est un petit rappel de sensations qui, je pense, va faire du bien !

Avez-vous une idée de votre programme cet hiver ?

Ma rentrée se fera à Val-de-Reuil, le 14 février. On va changer un peu, on va faire un petit 1000 m : on va voir ce que ça donne ! Puis je cours à Liévin le 17 février, sur 800 m cette fois-ci. Après je ferais les France Elite en salle à Miramas (26 et 27 février), après je ferais Madrid (2 mars). Ça fera une bonne petite saison, mais on ne peut pas avoir deux grands pics de forme dans l’année, ce n’est pas possible. Donc il faut vraiment lisser le premier pic en indoor, pour qu’il ne soit pas trop élevé, parce que sinon je vais me cramer pour cet été, et ce n’est pas le but. Au contraire, l’été c’est là où il faut être le plus performant. Donc là, mon premier pic j’aimerai l’avoir pour Madrid, ma dernière course. Je ne ferai pas de compétitions internationales en salle, comme par exemple les Mondiaux. C’est un choix que je fais, parce que je ne peux pas faire trop de fatigue, je ne veux pas m’épuiser à courir après les médailles en indoor, je préfère m’épuiser à courir après les médailles estivales. Surtout qu’elle va être quand même bien lourde avec les Mondiaux et les Europe. Ça va être long, il va falloir être saignant tout au long de la saison, et si on s’épuise dès cet hiver, ça ne va pas le faire. 

« Après cette septième place aux Jeux olympiques, j’en veux un peu plus. »

— Où en êtes-vous au niveau des études ?

Je suis en licence pro, conducteur de travaux en maisons individuelles. C’est une troisième année d’études, en alternance, avec des périodes de cours, et des périodes d’entreprise. Les périodes de cours se font à l’IUT Génie Civil, et les périodes d’entreprises elles se font à IGC, l’entreprise dans laquelle je réalise mon alternance. J’ai étalé ma dernière année d’étude sur deux ans, en septembre ça fera un an donc il me restera un an encore. Après, je pense que ça sera important de faire un petit break pour préparer 2024 le mieux possible. Mais c’est un choix que j’ai fait aussi, parce que je ne me vois pas ne rien faire à côté de l’athlétisme. Ce n’est pas un hobbie, mais c’est bien d’avoir quelque chose pour s’occuper en dehors de l’athlé. 

Vous vous êtes fixé un objectif pour 2022 ? Une médaille aux Championnats du Monde de Eugene (15 au 24 juillet), une performance ?

Je vais dire la même chose que ce que j’ai dit pour les Jeux olympiques, il va falloir passer le plus de tours, et il ne faut pas se dire que la finale est acquise. Ce n’est pas parce que j’ai fait une finale aux Jeux Olympiques que ça y est, je vais aller en finale aux championnats du monde : loin de là ! Chaque tour sera une finale, et je pense qu’il faut aborder les choses de cette façon. On verra jusqu’où je peux aller. Mais oui, après cette septième place aux Jeux olympiques, j’en veux un peu plus, donc on va voir. J’en dis pas plus ! 

Avez-vous un grand rêve, en tant qu’athlète ?

Je pense que tout athlète professionnel veut gagner les Jeux olympiques. On court pour gagner. Celui qui court pour juste aller à cette compétition, c’est faux. Moi je cours pour gagner ! Parce qu’au fond de moi je suis un compétiteur, j’aime gagner !

Et donc, plutôt record, ou plutôt médaille ?

Non, plutôt médaille ! Parce que les records sont faits pour être battus. Donc ça serait dommage de se faire effacer des listes. Une médaille, une fois qu’elle est acquise, elle est acquise pour toujours ! Et puis même, en terme de reconnaissance, il y en a plus avec une médaille, je trouve. Surtout si c’est une médaille olympique. Surtout si c’est une médaille olympique à Paris !

« Rudisha c’est quand même un coureur exceptionnel. »

—  Avez-vous déjà la tête aux Jeux olympiques de Paris en 2024 ?

Oui, ça sera l’objectif !

—  Si World Athletics a précisé son règlement sur les caractéristiques techniques des chaussures et pointes à plaque carbone, quel regard portez-vous sur cette technologie ?

Je ne sais pas si c’est vraiment encadré par World Athletics, mais en tout cas les marques ont sorti les pointes carbone. Je vais parler des carbones en général. L’outil en lui-même est incroyable. Parce qu’il nous fait courir plus vite, on récupère mieux, et on peut en faire plus. C’est-à-dire qu’on peut enchaîner les séances sans avoir mal, cet effet ressort de la chaussure nous fait aller encore plus vite, donc c’est vraiment top. Moi je sais que, quand je les mets, le lendemain j’ai les tendons qui tirent de partout, et même si musculairement c’est exceptionnel, j’ai encore un peu du mal. Donc bon, il y a une balance et il faut savoir bien l’utiliser. Mais l’outil est incroyable.

— Le recordman du monde du 800 m David Rudisha (33 ans) a annoncé en novembre dernier sur les réseaux sociaux qu’il sera bientôt de retour sur la piste après plusieurs pépins physiques ces dernières années. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Je ne crois que ce que je vois ! On verra, mais après Rudisha c’est quand même un coureur exceptionnel donc il faut s’attendre à tout ! Je ne sais pas quel âge il a maintenant, mais ça fait beaucoup. (Après avoir eu la réponse) À 33 ans, il y a d’autres choses qui rentrent en compte, le corps il commence à être fatigué. Alors oui, à 33 ans un homme normal, c’est là où il est le plus fort. Mais en sport de haut niveau, on est sur la grosse pente descendante, donc j’ai du mal a y croire quand même.

Texte : Emeline Pichon
Crédits photos : Antoine Decottignies

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