D’une manière générale, Stadion souhaite donner la parole à tous ceux qui œuvrent au sein de l’athlétisme français. Souvent en athlétisme, seul le talent de l’athlète est mis en lumière. Pas le travail de l’ombre mis en place par l’entraîneur. Coach de demi-fond à l’EA Mondeville-Hérouville et à l’Insep, Adrien Taouji a accordé un entretien à Stadion où il évoque son parcours, ses idées et son regard sur le métier.
— Adrien, pouvez-vous vous présenter ? Quel a été votre cursus pour devenir entraîneur ?
Je m’appelle Adrien Taouji, j’ai 34 ans, je suis titulaire depuis 2009 d’un Master 2 INSEP en Ingénierie du Sport « Entraînement du sportif de haut niveau » et depuis 2018 d’un DESJEPS (option performance sportive). De 2008 à 2016, j’ai été entraîneur adjoint de Bruno Gajer à l’INSEP où on s’est inscrit sur deux olympiades, Londres et Rio. Le groupe était notamment composé de Pierre-Ambroise Bosse, Jeff Lastennet, Elodie Guégan, Linda Marguet, Muriel Hurtis, Timothée Bommier ou encore Brice Panel. Actuellement sur le pôle France INSEP j’entraîne les spécialistes du 3000 m steeple Emma Oudiou, Maëva Danois et Claire Palou. Depuis quelques semaines, j’accompagne Jimmy Gressier sur notamment la technique de course, la musculation spécifique du coureur de demi-fond et les séances orientées steeple.
Sur le club de Mondeville, j’ai un rôle de coordinateur à distance avec un groupe d’une vingtaine d’athlètes (Léo Fontana, Dorian Louvet, Alexis Jacq…) sur lequel je suis responsable de la programmation hebdomadaire des plans d’entraînement. Cette activité, je la réalise en compagnie de trois autres entraîneurs qui sont directement sur place pour encadrer les athlètes. Depuis un an, sur le club de Montreuil, j’accompagne aussi des athlètes de demi-fond. Enfin, en parallèle de mes activités d’entraîneur d’athlétisme, il m’arrive régulièrement de préparer physiquement des footballeurs professionnels une activité exercée depuis 2010.
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— Qu’est-ce qui vous plaît dans le métier d’entraîneur ?
La décision de devenir entraîneur est dans la grande majorité des cas le résultat d’une volonté profonde. Les échanges entre l’entraîneur et l’athlète sont souvent placés au centre de la performance. Une bonne collaboration entre les deux parties permettraient de hausser le niveau de l’athlète. On s’aperçoit qu’au-delà du cœur de métier (entraînement, stage, compétition) qui reste prépondérant, « le management de l’équipe » occupe une place importante dans les priorités de l’entraîneur.
Sur l’entraînement du fond, demi-fond et hors-stade, chaque individu est différent, on peut arriver à la même performance en passant par plusieurs chemins et cheminements. Ce qui m’intéresse le plus, c’est la compétition car c’est le fruit et le résultat de tout notre travail et de notre investissement. Autre élément, important pour moi, c’est l’épanouissement de l’athlète à tous les niveaux. C’est un plaisir de voir un athlète heureux dans son projet sportif et son objectif. Cela signifie qu’on a réussi.
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— Quelle est votre philosophie globale de l’entraînement en tant que coach ?
Il faut que l’entraîneur reste le manager principal, c’est lui qui prend les décisions finales. En tout cas, dans l’organisation des choses je n’hésite pas à échanger, à proposer, à demander. Ça enrichit la pratique. En effet, je peux avoir pris une décision mais je peux enrichir ma réflexion par des échanges avec des entraîneurs qui connaissent le très haut niveau. En tout cas, c’est ma démarche. Un entraîneur doit se réinventer, créer et adapter son contenu. Faut voir ce qui se passe ailleurs également, comme faire de la veille internationale sur les entraîneurs qui sont performants. Un entraîneur, doit autant transmettre des valeurs autres que des savoirs. Exigence et bienveillance au service de la performance de l’athlète sont mes leitmotiv.
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— Quelle est votre vision du haut niveau ?
L’entraîneur est responsable de la performance, mais il va s’entourer des meilleurs experts. J’ai l’opportunité depuis un an de travailler avec François Chiron, qui vient de valider son Master 2 à l’INSEP, et qui se spécialise dans l’Accompagnement Scientifique de la Performance. Il nous accompagne sur tout ce qui est suivi fréquence cardiaques, variabilité de la fréquence cardiaque (vfc), analyse lactate, analyse biomécanique avec de la vidéo, analyse de la foulée, amplitude, fréquence, etc.
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— Un entraîneur doit-il obligatoirement savoir bien s’entourer ?
Tout dépend de la personnalité de l’entraîneur, tout le monde ne peut pas partager, travailler en collectif. Tout le monde n’a pas les compétences de manager et d’entraîner du haut-niveau. Il ne faut pas se limiter à seulement ce qu’on a appris. Personnellement, je me documente régulièrement sur des questions que je me pose. On rassemble du savoir, grâce à une transmission de connaissances accumulées par des entraîneurs.
Il faut transmette à l’athlète tout ce qu’on peut lui apporter, sans limite. Il ne faut mettre aucune limite à l’athlète. L’exemple de Sébastien Gamel avec Djilali Bedrani (5e des Mondiaux de Doha sur 3000 m steeple) est un des meilleurs que je connaisse. Seb est un entraîneur qui s’est beaucoup formé et s’est fait accompagner. C’est un duo qui a appris ensemble, ils ont avancé ensemble et ils sont maintenant proches de la perfection. Beaucoup d’entraîneurs peuvent s’appuyer sur ce bel exemple.
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— De votre côté, vous échangez beaucoup avec des entraîneurs nationaux. Comment cela fonctionne-t-il ?
Je n’ai jamais cessé d’échanger avec Bruno Gajer notamment sur des problématiques très fines liées à la très haute performance mais sinon on s’appelle souvent avec Sébastien Gamel, Bastien Perraux, Omar Taouji (son père entraîneur de demi-fond à Mondeville depuis plus de 20 ans) ou encore Roger Milhau. C’est un peu mon cercle d’audit. Il faut « piocher » les informations dont on a besoin et là où elles se trouvent. On se conseille et se critique entre nous, de façon constructive, afin de se faire progresser les uns les autres. Il m’arrive parfois de faire partager et de faire auditer mes plans d’entraînement. C’est un suivi en parallèle dans ma pratique qui me permet de progresser, de me remettre en question, d’avoir d’autres feed-back.
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— Vous pensez que l’on n’exploite pas assez le potentiel concernant l’échange, la communication et la transmission entre coachs ?
Il faut pousser l’intelligence collective. Malheureusement ce n’est pas beaucoup mis en pratique. Peu de coachs le font. Beaucoup d’entraîneurs ne communiquent pas assez, n’échangent pas assez, restent dans leur certitude, pensent avoir le science infuse et ne se renouvellent pas. Il faut accumuler du savoir, grâce à une transmission de connaissances accumulées par des entraîneurs. La priorité reste avant tout de faire progresser l’athlète et ne pas vouloir le conserver à tout prix quand les compétences de l’entraîneur sont restreintes.
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— Avez-vous des exemples précis ?
Bernard Mossant, entraîneur de Pierre-Ambroise Bosse jusqu’en 2010 à Gujan-Mestras, qui réalise 1’48 en junior 1 a contacté Bruno Gajer, dont j’étais l’adjoint, pour qu’il continue sa carrière dans une structure et un environnement de haut niveau. Pour Bernard, c’était la suite logique pour franchir un nouveau cap. Il faut qu’il y ait une continuité entre l’entraîneur “formateur” et l’entraîneur « expert » qui va amener au haut niveau. Quatre ans plus tard, en 2014, PAB battait le record de France sur 800 m (1’42″53) et deux ans plus tard celui du 600m (1’13″21) avant de finir quatrième aux JO de Rio. Beaucoup d’entraîneurs s’agrippent à leurs athlètes. C’est vraiment sur cet aspect qu’il faut évoluer, bosser ensemble de plusieurs manières et finalement le coach ce n’est pas le plus important. L’objectif c’est que les athlètes progressent et que l’Équipe de France progresse.
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— Justement, vous accompagnez Jimmy Gressier sur le steeple…
J’appartiens à une génération qui partage ce qu’on fait. Par exemple, on échange beaucoup avec Arnaud Dinielle (entraîneur de Jimmy Gressier). J’essaie de lui transmettre mes connaissances et mon savoir-faire sur la musculation, la technique de course, les séances spécifiques 800-1500 m, le développement de la vitesse et évidemment mes connaissances sur l’entraînement du steeple. C’est une collaboration récente débutée fin mai mais qui est amenée à durer. Ils m’ont sollicité avec un projet clair, mettre toutes les chances de son côté pour faire progresser Jimmy et atteindre le plus haut niveau sur la piste.
Jimmy vient régulièrement s’entraîner avec mon groupe sur l’INSEP et avec Arnaud nous discutons quotidiennement de la programmation de son athlète. Ce type de collaboration je pense que c’est l’avenir. Ça n’empêche pas à Arnaud de rester son entraîneur bien évidemment. Quand un athlète à fort potentiel a pris la décision de prendre une direction, il faut l’accompagner pour progresser dans tous les secteurs. La grosse erreur, c’est de s’enfermer. Il faut ouvrir les yeux et se faire accompagner. Le coach a pour rôle d’accompagner le projet de l’athlète.
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— Sur quel sujet du haut niveau la France est-elle en retard sur d’autres pays ?
Des pays comme la Pologne ou l’Angleterre, ont intégré dans leur staff un « scientiste » dans la grande majorité des groupes nationaux. Il y a dans le staff en permanence tant à l’entraînement qu’en stage un kiné, un médecin et un scientiste. En France, on les a mais ce n’est pas toujours institutionnalisé. C’est un réel plus et ce sont des informations qui t’aident dans ta programmation des plans d’entraînement, dans la planification et notamment dans la gestion de la récupération et de la fatigue de tes athlètes.
Il faut mettre en avant nos espoirs français et faire confiance à la jeune génération. On s’aperçoit que quand on visualise la concurrence internationale, ceux qui sont bons à l’heure actuelle, qui ont entre 25 et 27 ans, ils ont déjà eu la chance en espoirs, voir même en juniors 2 pour les meilleurs, de faire des grands championnats seniors. On donne trop d’importance aux catégories en France, c’est compliqué. Et notamment sur les féminines, si on attend une maturité tardive, on peut en perdre les trois quarts en route. Car les études et les contraintes professionnelles vont prendre le pas sur l’entraînement.
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— Quels sont les axes d’améliorations selon vous ?
Il faut dès les catégories jeunes (dès juniors et espoirs), sensibiliser les forts potentiels à la charge d’entraînement nécessaire pour accéder au haut niveau, à la nutrition, à la gestion des émotions, expliquer le haut niveau et la manière d’y arriver d’une certaine manière. Ces bases-là doivent être posées dès le départ avec l’aide d’un préparateur mental pourquoi pas. C’est quelque chose qui pourrait être modernisé dans les années à venir. Certaines ressources ne sont pas assez utilisées ou exploitées, notamment pour nos athlètes qui s’inscrivent dans un couloir de haute performance. Ces ressources sont la préparation mentale, la nutrition et l’accompagnement scientifique de la performance.
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— Quel est la clé pour créer une émulation de haut niveau quand on est entraîneur ?
L’émulation se fait naturellement, quand on a un groupe qui est dans la communication et dans l’échange. Je fais des entretiens individuels régulièrement pour parler des objectifs et de la programmation. Mettre de la rigueur et de l’empathie. Un entraîneur doit être reconnu pour être rigoureux, exigent et bienveillant avant tout.
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— Un mot sur les conditions d’entraînement à l’INSEP…
C’est un outil magnifique. C’est un des meilleurs outils au monde pour faire de la haute performance. En termes d’installations, de matériels, d’équipements, de récupération, il y a tout pour réussir. Je me sens privilégié avec ce lieu de travail. C’est un lieu où on sent une atmosphère de haut niveau. Toutes les conditions sont réunies pour faire de l’entraînement de qualité. Je souhaite que dans un avenir proche, il y est un groupe de demi-fond un peu plus étoffé. Je souhaite avoir quelques effectifs qui vont rapidement rentrer. Il y a tout ce que recherche un athlète sur les plans scolaires et sportifs à la fois. C’est un point fort de l’INSEP, avec un réel aménagement pour concilier les deux.