Margot Chevrier : « Je ne m’empêche rien et je ne me mets pas de limites »

19 mars 2022 à 11:06

Tout juste arrivée à Belgrade, Margot Chevrier a livré ses impressions avant le concours du saut à la perche des Championnats du monde en salle ce samedi (18h08). À 22 ans, la championne de France Elite de Miramas, étudiante en quatrième année de médecine, ne se fixe pas de limite et compte profiter de la grande compétition planétaire de l’hiver pour emmagasiner de précieuses expériences. 

L’interview vous est présentée par

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Margot, vous ne figuriez pas dans la sélection puis vous avez reçu une invitation de World Athletics. On imagine que vous êtes passée par toutes les émotions…

Oui, je pensais que ça allait être ma fin de saison après les France. On savait que pour les Europe, cet été ça allait passer, mais que pour les Mondiaux en salle ça serait compliqué parce que je n’avais pas fait les minima. Donc après les France, on savait qu’il restait une compétition à Rouen une semaine après, j’ai pris le temps de bien récupérer et je suis allée à cette compétition. Nerveusement ce n’était pas facile, j’ai fait ma compétition et après je me suis dit « bon ben, je fais mes deux jours de récup comme prévu, et on attend de voir. Si je suis prise, on fait une semaine d’entraînement en plus, si je ne suis pas prise je continue ma récup pendant dix jours et je reprends pour l’été ». Le lundi midi, je devais commencer à savoir si ça allait être bon, et on m’appelle à midi pour me dire que la Fédération est partante, mais qu’il faut juste l’invitation World Athletics. Donc je pensais que le lundi midi j’allais savoir, et en fait je ne savais pas. J’ai dû attendre jusqu’au jeudi midi où je travaillais au CHU toute la journée, je regardais mon téléphone toutes les dix minutes pour voir si je n’avais pas une notification. Du coup, le jeudi midi, j’ai su. Ce qui était compliqué, c’était le mercredi soir, la veille. J’ai dû m’entraîner au cas où, et je ne savais pas si j’allais être prise. Je ne voulais pas me mettre vraiment dans un état psychologique où je me disais « je vais être prise, je vais être prise », parce que si je n’étais pas prise ça allait être compliqué après de remonter la pente. Et en même temps je savais qu’il fallait que je fasse ma séance à 200%, parce que si jamais j’étais prise, il fallait que je sois à fond. Donc c’était peut-être le plus dur à gérer dans ma semaine. Du coup, quand j’ai su, c’était top parce qu’après j’ai pu me préparer vraiment comme je voulais, comme il fallait. Là je suis sur mes deux jambes, j’ai la tête à fond dans la compétition. C’était compliqué mais j’ai bien géré.

Que représente pour vous cette sélection ?

C’est énorme, parce que déjà c’était un objectif, vraiment. On va dire « la grosse carotte de la saison ». Je me mets toujours un objectif, pas inatteignable mais presque, pour vraiment me tirer et pour que, justement, les objectifs d’en dessous paraissent un peu plus simples et soient remplis. Quand cette grosse carotte là elle tombe et que c’est rempli derrière aussi… Je pense que c’est la première fois que vraiment tous mes objectifs d’une saison sont remplis. J’ai dû en remettre d’autres pour ce week-end, donc il va falloir essayer de les remplir aussi. C’est mon premier vrai championnat senior. J’ai fait l’année dernière les championnats d’Europe par équipes à Chorzow (Pologne), c’est vrai qu’en individuel ce n’est pas la même chose, d’autant plus les Championnats du monde. Donc pour moi, c’est le championnat le plus difficile à faire. Parce qu’on est que douze, parce que c’est en salle et que ce sont les championnats du monde. L’année dernière, pour les Europe en salle de Torun (Pologne), ce n’est pas passé et je m’en suis un peu voulu parce qu’il ne manquait pas grand-chose. Là, j’étais vraiment super contente, et je le suis toujours. Je sais que j’ai pas mal de choses à jouer quand même. Je ne suis pas la dernière prise du tout. J’ai été la dernière prise de la délégation française mais sur les bilans, pour le concours de perche, il y a vraiment quelque chose à jouer. C’est sur le moment, beaucoup de fierté d’être prise, et après, dès qu’on réalise, au bout de quelques heures, c’est retour au boulot, pour justement faire un concours comme j’ai pu faire aux France où il y a quelque chose à jouer et il ne faut rien lâcher jusqu’au bout.

Vous disiez que vous avez dû vous fixer de nouveaux objectifs. Quels sont-ils ?

J’ai plusieurs objectifs par rapport au monde. Forcément, le but premier c’est de se classer. Parce que c’est bien d’être sélectionnée, mais après il faut quand même y faire une place. Donc le premier objectif c’est d’être classée, et ensuite c’est top 8 et top 5. Et après, comme ça reste un championnat et que tout peut se passer, vu la start-list, je ne m’empêche rien et je ne me mets pas de limites. Je sais qu’il y a beaucoup de choses techniquement qui peuvent se passer, physiquement aussi. Au niveau performance, je n’ai pas de limite, et au niveau place je n’ai pas de limite non plus.

Le record de France en salle (4,73 m par Ninon Chapelle en 2019), vous y pensez ?

Ce n’est pas infaisable. Ça fait partie des gros objectifs que je me suis refixés quand j’ai eu la sélection officielle. Mais non, ce n’est pas infaisable. SI tout est mis dans l’ordre et que tout est en place, il y a des chances pour que ça puisse se passer.

Comment vous êtes-vous remobilisée après votre super concours des France pour sauter à Rouen une semaine après ?

C’était émouvant et en même temps c’est dur de réaliser ce que j’avais fait aux France sur la première soirée. Après, j’avoue que le concours des garçons le lendemain m’a vite remis les pieds sur terre. Parce qu’encourager les copains, et voir qu’eux aussi font des trucs assez incroyables, je ne sais pas comment dire, mais on se rend compte qu’on n’est pas tout seul à faire des trucs de fou et qu’en fait, finalement, quand on est jeune, qu’on s’entraîne et qu’on est sur une pente ascendante, c’est assez normal de faire des choses comme ça. Et j’avais Ninon Chapelle qui m’avait bien prévenu que j’allais mettre peut-être du temps à réaliser, mais qu’il ne fallait pas que ça finisse ma saison parce j’avais des petites chances de mon côté pour qu’elle ne s’arrête pas là. Et je ne voulais pas que le Perche Elite Tour de Rouen, qui est un très gros concours avec un gros plateau, je ne voulais pas que ça soit un concours de perdu parce que je n’étais pas remobilisée. Donc ça a été un peu l’objectif de ma semaine. J’ai récupéré un peu les premiers jours après les France, et puis on s’est remis tout de suite au boulot et je me sentais très très bien physiquement. Nerveusement, c’était un petit peu plus compliqué. Je pense que mon corps a compris que ce concours avait été d’extérieur assez facile alors qu’en fait de l’intérieur c’était assez compliqué de gérer tout ça. Et à Rouen, je savais aussi que tout le monde m’attendait au tournant, et qu’il y en avait beaucoup qui s’attendaient à ce que je passe à côté. Et j’aime bien avoir des challenges, et j’aime bien quand je sais qu’il y en a certains dans les tribunes qui pensent que ça ne passera pas. Donc ça m’a aussi aidé à me mobilier, justement, pour que mes sauts soient techniquement propres. Et je sais, aujourd’hui, que quand je fais des sauts techniquement propres, il n’y a aucune raison pour que les barres ne passent pas. Donc je me suis concentrée sur ça et j’ai essayé d’aller à la bataille avec les filles, il y avait aussi quelque chose à jouer donc je me suis bien défendue. J’ai fait 4,56 m, j’étais contente parce que ça aurait été mon record avant les France, et à 4,61 m je fais des très bons essais. Le dernier ne passe pas parce que j’ai été un peu moins attentive. Je pense que c’est là que nerveusement, je l’ai un peu payé. A posteriori je me dis que, sans les France, j’aurai peut-être passé cette barre là, et je n’ai pas été suffisamment vigilante. Mais ça reste des très bons sauts que j’ai fait, et ça confirme ce que j’ai fait aux France, donc j’étais contente d’avoir pu montrer ça à Rouen.

Et au final, ça vous a également apporté un supplément de confiance ?

Oui. A chaque fois, je dis que faire un record c’est un peu la partie la plus simple et que le plus dur c’est de le faire la deuxième fois. Du coup, j’avais dans un coin de ma tête que voilà, j’avais fait 4,65 m et que c’était une très grosse perf par rapport à mon précédent record et que là, c’était possible qu’il se passe du temps avant que je puisse refaire une perf comme ça. Et en même temps, vu mes sauts des France, je me disais « ça peut aussi se passer demain, je peux aussi rebattre mon record ». Du coup, j’y suis allée en me disant « voilà, nerveusement ce n’est pas facile ». Je suis arrivée je n’avais pas de jambes. L’entraînement se passait bien dans la semaine, mais sur la compétition ça a tenu mes deux/trois premiers sauts plus l’échauffement. Je suis arrivée à 4,61 m, je n’avais plus grand-chose. Ça m’a vraiment rassurée et ça m’a mis dans un état de confiance de voir que, même sans être forcément présente physiquement et nerveusement, j’arrivais à faire des grosses barres et à faire des gros sauts. Et techniquement, à refaire ce que j’avais fait aux France, qui était quand même assez nouveau, et que j’arrivais surtout à faire sur beaucoup de sauts d’affilée. Je le faisais de temps en temps dans la saison, ça me permettait de passer 4,50 m depuis un an et demi, mais c’était difficile de le mettre en place à chaque compétition. Même dans la compétition à chaque saut, et c’est ce qui a été fait aux France et que j’ai réussi à refaire à Rouen. Donc en sortant de cette compétition, je n’avais pas fait mon record, mais j’avais vraiment confirmé ce que j’avais fait, et techniquement, sans avoir le physique, je me suis dit en partant « bon, si je suis prise à Belgrade, j’ai dix jours pour m’entraîner et pour me reposer. Physiquement ça va être bien et il n’y a pas de raison pour que je ne refasse pas des supers choses et que je n’aille pas essayer de grappiller encore quelques centimètres à mon record ».

Vous disiez tout à l’heure attendre l’annonce de votre sélection au CHU. Vous n’avez pas que l’athlétisme dans la vie, comment faîtes vous pour tout gérer, surtout pendant cet hiver qui était assez chargé au niveau des compétitions ?

Oui, je suis en quatrième année de médecine à côté. Du coup, j’ai des aménagements avec ma fac. Mon doyen est très pro-sport donc c’est plus facile d’aménager. Après, à posteriori, en discutant avec d’autres étudiants en médecine qui font de l’athlétisme aussi, on est quelques uns, on n’a pas du tout tous les mêmes aménagements, et c’est vrai que je n’ai pas forcément les plus arrangeants par moment. Mais comparé au cursus de base, c’est quand même très aidant. Je passe un seul semestre par an. Déjà, ça m’enlève la moitié de l’année. Je peux étaler un peu, et du coup je peux bosser plus quand j’ai le temps. Ça me permet surtout de m’entraîner quand j’en ai besoin et quand il faut que je le fasse. Je peux poser un peu plus de jours de congés que les autres étudiants et du coup, souvent mes vendredis et mes lundis passent à la trappe parce que je pars en compétition ou que j’en reviens. Après, ça reste un quotidien un peu chargé mais c’est comme ça que j’ai trouvé mon équilibre. Aujourd’hui, j’ai presque la sensation que quand je ne bosse pas et que je ne fais rien de ma journée, j’arrive à l’entraînement et je n’ai pas trop d’énergie. Alors que quand je suis dans le jus toute la journée, que je suis en stage ou que je suis à la maison en train de bosser mes cours, quand j’arrive à l’entraînement, je sais ce que j’ai à faire. Je sais que j’ai deux heures pour être performante. Et ça me cadre. Je pense que je me suis vraiment habituée à ce quotidien. De l’extérieur, ça peut paraître un peu dur, ça l’est par moment mais la plupart du temps, je pense que c’est aussi vraiment ça qui me fait performer dans le sport. Donc ça me va et je sais que j’ai l’université qui est derrière moi et qui essaie de m’aider un maximum. Là, pour partir aux Mondiaux, j’ai quand même dû ne pas aller à certains partiels. Je devais au départ les passer aux rattrapages, ce n’était pas la meilleure idée, parce que les rattrapages sont pendant les monde en extérieur, donc je me disais que si j’avais envie de me qualifier, ça ne m’arrangeait pas plus. Donc j’ai vu quand même avec eux pour pouvoir partir avec la tête tranquille et ils ont réussi à me trouver des dates qui sont plus tôt et qui me permettront de faire ma saison estivale comme il faut. Et pouvoir aussi bosser de mon côté pour pouvoir passer mes partiels comme il faut, et ne pas être tout le temps soit dans le stress de rater l’un des deux, soit à m’entraîner à moitié parce que je sais que j’ai des partiels pas trop au bon moment. Ça m’a enlevé aussi un petit poids qui me restait avant les Mondiaux.

De nombreux perchistes français se sont révélés cet hiver. Que pensez-vous de cette dynamique dans votre discipline, l’émulation vous permet-elle d’aller battre vos performances ?

Oui. Ça, j’en ai pris vraiment conscience cette année. L’année dernière, ça commençait déjà à monter un peu. L’hiver dernier, Elina Giallurachis commençait à faire des bonnes performances, à battre son record régulièrement et à venir un peu me titiller sur les compétitions. Mais je ne le prenais pas pareil. J’aimais bien un peu cette sensation d’arriver en compétition, que ce soit des meetings internationaux ou des meetings nationaux, de me dire « voilà, j’arrive un peu, pas en patronne mais avec une certaine avance » et ça me détendait sur le plan mental. Sauf qu’en fait, ça m’a beaucoup trop détendue et je me suis pointée aux France en étant persuadée que j’allais gagner, et je n’ai pas du tout gagné. Donc je me suis dit « ok, ce n’est pas toujours si facile que ça et il ne faut pas toujours se dire que ça va passer, parce que si on ne met pas les choses en place avant, ça ne passe pas ». L’été dernier, ça a été un peu ma vengeance, où je me suis moins servie de la concurrence mais plus de ce que j’avais vécu l’hiver pour me dire « ok, cette fois là ce ne sera pas pareil » et j’ai réussi à me remobiliser pour les France et à gagner. Et cet hiver, j’ai vraiment senti qu’avec Elina qui continuait à battre ses records, avec Ninon qui revenait et on ne savait pas où elle allait s’arrêter, parce qu’on sait qu’elle a toujours de l’avance sur nous, puis elle a de l’expérience… Je me suis dit « là, c’est toute la saison qu’il ne faut pas faire d’écart et qu’il faut essayer d’être le plus performant possible du début à la fin ». On savait qu’on avait aussi le Crédit Mutuel Tour où il fallait être performant et régulier sur un peu tous les Meetings. Ça a été pas mal aussi parce que du coup, comme on était tout le temps sur les mêmes, on pouvait suivre au fur et à mesure, on savait que si celle d’après passait la barre et pas nous, on perdait un peu des places sur le ranking national. Et ça c’était de la bonne concurrence, et j’ai vraiment appris pour le coup cet hiver à gérer les autres, et à me servir de ce que les autres font de bien pour moi faire des choses bien. Et aux France, pour le coup ça s’est plutôt concrétisé parce que toutes les deux, avec Ninon, on a fait un super concours et on n’a rien lâché jusqu’à la fin. Ça m’a permis de battre mon record trois fois et elle de battre son « season best » de l’hiver. À la fin du concours, on était toutes les deux super contentes, elle en faisant deuxième elle était trop contente que j’ai gagné et que j’ai battu mon record, moi j’étais super contente de m’être battue avec elle. On avait qu’une envie, c’était de partir aux Europe ensemble cet été, donc le rendez-vous a été pris. Je vais tenir cette saison avec qu’une envie, c’est d’y retourner cet été pour aller me battre avec les filles et profiter du fait qu’on se tire un peu toutes vers le haut pour que tout le monde batte son record et qu’on se tire la bourre.

Propos recueillis par Emeline Pichon
Crédits photos : Jean-Luc Juvin / STADION

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