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— Marion, Damiel, comment la perche est-elle apparue dans votre vie ?
Marion Lotout : Je suis originaire de Bretagne et j’ai avant tout joué au football avant de débuter l’athlétisme. Je touchais à toutes les épreuves et j’ai commencé la perche quand j’étais au collège. J’aimais le côté « foufou » de la discipline. Je ne me suis jamais dit à ce moment-là que j’allais faire du haut niveau mais comme les résultats arrivaient j’ai continué. Marion Lotout Damiel Dossevi Marion Lotout Damiel Dossevi Marion Lotout Damiel Dossevi
Damiel Dossevi : J’ai commencé la perche au collège Saint-André à Bordeaux, en classe de cinquième plus précisément. Mon professeur de sport Jean-Marc Bedecarrax m’a fait découvrir la perche avec l’UNSS et j’ai connu les premières sélections en équipe de France dans les années 2000 qui m’ont fait encore plus accrocher avec la discipline. Si je ne me suis pas spécialisé tout de suite avec notamment des expériences dans les épreuves combinées, j’ai eu la chance de pouvoir progresser à la perche. Ce que j’aime dans le saut à la perche, c’est la remise en question permanente. Et c’est ce qui a permis à ma carrière de durer. Tu ne sais jamais comment ça va se passer à l’entraînement ou en compétition. C’est une discipline où tu ne peux pas être à 80%, faut être tout le temps à 100%.
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— Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre parcours sportif ?
Marion : De 2008 à 2012, je me suis entraînée avec Gérald Baudouin et j’ai pu me professionnaliser, suivre une formation de podologue et connaître mes premières sélections chez les jeunes. Lors de ma dernière année, j’ai obtenu mon diplôme en même temps que ma sélection aux JO de Londres où j’ai terminé quatorzième (en qualifications). En 2013, je pars trois ans à Clermont-Ferrand avec Philippe Dencausse et je fais finaliste aux Mondiaux de Moscou la même année et dix-septième à ceux de Pékin deux ans après. En 2016, je rejoins Georges Martin à Bordeaux où depuis 2017 je suis entraînée par Damiel qui a repris le flambeau pour le groupe perche.
Damiel : Dès mes débuts, j‘ai rejoint le groupe haut niveau d’Objectif Perche Atlantique sous la houlette de Georges Martin et à chaque entraînement j’avais envie de prouver que j’avais ma place. En 2005 je remporte les Championnats d’Europe espoirs avec 5,75 m (Erfurt, en Allemagne). J’ai ensuite participé à toutes les compétions internationales jusqu’en 2011 sauf les JO en 2008. Aujourd’hui je me suis plus mis dans la position d’entraîneur en prenant la direction du groupe d’OPA. Je suis en train de remonter une école de perche à Bordeaux sur la formation des jeunes des clubs de la région bordelaise. Désormais je saute pour le plaisir, j’aime ça. J’ai terminé sixième aux France Elite à Saint-Etienne et à Albi en ne faisant plus du haut niveau ma priorité. Ça permet de partager des moments sympas sur les concours avec les potes.
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— En quoi votre couple est une force pour performer au plus haut niveau ?
Marion : Tout d’abord, c’était un choix de vie de changer d’entraîneur, on est très pudique, pas très expressif avec Damiel. Je ne vais pas avoir des priorités parce que je suis la compagne du coach. À la maison on ne discute pas plus athlé que ça.
Damiel : Nous n’étions pas encore ensemble lorsque j’étais dans mes meilleures années mais je pense que pour Marion, qui est toujours dans le haut niveau, c’est un plus que je sois devenu son entraîneur. On arrive à en discuter sans que ce soit un sujet qui nous prenne la tête. Quand je suis sur le stade je lui parle comme si c’était une athlète, et elle le comprend bien. On a cette intelligence de faire la part des choses entre l’entraînement et la maison.
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— Quel est votre meilleur souvenir sportif commun ?
Marion : Ce sont souvent les compétitions internationales qui restent dans les mémoires et les Championnats d’Europe de Berlin sont pour l’instant une belle aventure humaine mais pas un beau souvenir sportif, parce que je ne suis pas passée loin de la finale (11e). J’ai été sélectionnée alors que j’étais entraînée par Damiel qui m’avait préparé pour cet objectif depuis deux ans, c’est spécial. Il manque encore un beau résultat dans une grande compétition pour que ça soit réellement un beau souvenir vécu ensemble.
Damiel : On a partagé plusieurs stages nationaux ensemble, j’avais beaucoup de plaisir à prendre part à ces regroupements, il y avait toujours une bonne ambiance, un lien entre chaque athlète. Avoir amené Marion aux Championnats d’Europe à Berlin en 2018 a été une belle expérience.
— Comment jugez-vous le niveau de la perche française actuellement ?
Marion : Chez les garçons, il est très bon, il l’a toujours été et devrait l’être encore. Chez les filles, il y a Ninon (Guillon-Romarin) qui est une des meilleures européennes et mondiales, elle a battu à plusieurs reprises le record de France (4,75 m en plein air et 4,73 m en salle). C’est forcément une athlète qui pousse vers le haut et il y a quelques jeunes qui arrivent comme Alice Moindrot (troisième aux Mondiaux juniors en 2018) et Marie-Julie Bonnin (vice-championne d’Europe juniors en 2019) qui sont toutes les deux de la région bordelaise. Je pense qu’on n’est pas à la rue chez les filles, il faut continuer à bosser pour être encore meilleure. Il ne faut pas nous comparer, historiquement, les hommes ont toujours été excellents.
Damiel : J’ai deux avis, évidemment c’est très dense et la France à un bon niveau international. Mais actuellement on n’a pas d’athlète médaillable à coup sûr sur un championnat. A l’époque on avait Renaud Lavillenie ou Romain Mesnil, on savait qu’avec eux, on partirait au moins avec une médaille parce qu’ils avaient le potentiel de réaliser entre 5,80 m et 5,90 m à chaque concours. Actuellement, on n’a pas ça en France. La densité internationale a aussi augmenté avec de plus en plus d’athlètes à six mètres. Même en franchissant 5,90 m tu n’es pas certain d’être sur le podium. Cependant avec la nouvelle génération, on aura à chaque fois deux ou trois français sélectionnés en championnat.
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— Quel regard portez-vous sur l’avenir de la perche française ?
Marion : Il y a eu un effet Renaud Lavillenie qui remportait des médailles à chaque championnat donc il y avait un véritable coup de projecteur sur le saut à la perche. Et c’est important que l’athlé et notre discipline soient médiatisés lors de ces événements. Quand on a des concours extrêmement bien filmés avec des images fortes notamment les trois premiers hommes qui s’amusent sur le tapis à la fin aux Mondiaux de Doha. Et là, je ne parle pas de performances. On a la chance que la perche soit une discipline acrobatique et un vecteur d’émotion. Et c’est grâce à ce genre de moment que ça crée des vocations chez les jeunes. La relève française est bien là mais il faut la nourrir de ce genre d’images fortes.
Damiel : La densité a augmenté et il y a une dizaine de prétendants sur chaque sélection. Ce qui m’a marqué par rapport à ma génération, c’est que les jeunes se donnent à fond toute la saison pour prouver qu’ils ont leur place en grand championnat. Ils ont du mal à gérer leur pic de forme, il n’y a pas de progression linéaire tout au long de l’été. De notre côté, plus on arrivait près des échéances, plus on était prêt et on avait la rage le jour-J.
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— Quelle est la place de la perche dans l’athlétisme ?
Marion : Je ne pense pas que la perche soit plus importante qu’une autre discipline de l’athlétisme. Ce qui fait notre force c’est la diversité des épreuves en athlétisme. C’est toujours impressionnant de voir de la perche en vrai et c’est parce que c’est une discipline spectaculaire qu’on a pu la transformer en show par le biais du Perche Elite Tour. Certaines personnes nous prennent pour des fous quand on on dit qu’on va à cinq ou six mètres de haut avec une perche dans les mains. On retrouve moins ce côté acrobatique dans les autres épreuves. On a la chance d’avoir six étapes du Perche Elite Tour en France qui nous permettent de faire sortir l’athlétisme du stade. Les gens se déplacent et adorent qu’on propose un véritable show athlétique.
Damiel : C’est une discipline qui est plus facilement mise en avant parce qu’elle est spectaculaire et acrobatique. Quasiment toutes les autres épreuves sont pratiquées au collège et au lycée, la perche, que très rarement. Le Star Perche c’est deux journées intenses pour un moment convivial et de partage assuré ! Il offre tout d’abord une journée d’initiation pour le grand public où peu importe ton niveau tu peux essayer la perche, suivie d’une journée compétition pour les meilleurs perchistes français. Les jeunes ils voient les grands sauter et forcément ça crée de l’émulation, ils se disent qu’ils ont envie de faire pareil un jour. C’est comme ça qu’on peut trouver la pépite rare comme Renaud et avoir des champions olympiques plus facilement que dans les autres disciplines.
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— Les 17 et 18 janvier prochains, vous allez organisez une étape du Perche Elite Tour à Bordeaux (StarPerche). Comment a émergé ce projet ?
Marion : Le StarPerche a déjà connu trois éditions (2000, 2006, 2007) et ça fait quatre ans qu’on y pense. C’était un projet commun avec Damiel. Il fallait passer le pas, entre deux entraînements j’ai un peu le temps de bosser sur ce bel événement. Le projet a pris des proportions bien plus grandes qu’on avait imaginées au départ puisque la mairie de Bordeaux nous a tout de suite soutenus. Elle nous a proposé le super Palais des Sports (2000 places). On a la chance d’avoir un grand nombre de potes athlètes qui vont nous permettre d’avoir une édition visible dès cette première année. On souhaite pérenniser dans le temps le StarPerche.
Damiel : Un peu du hasard, à la base on voulait faire une organisation sympa et festive et la Mairie de Bordeaux, intéressée par le projet, nous a proposé une magnifique salle, ce qui donnait tout de suite une autre dimension au projet. On souhaite faire une étape qui se rapproche un petit peu de celle de Rouen ou du All Star Perche de Clermont-Ferrand.
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— Un Meeting réussi, qu’est-ce que ça serait pour vous ?
Marion : Avoir un maximum de monde dans la salle. On souhaite un événement populaire. On s’est rapproché de Jean-Paul et de Nicole Durand (organisateurs du Décastar de Talence) qui sont des personnes pour qui j’ai beaucoup d’estime. Ils nous conseillent pour notre organisation et on boit leur parole. On est prêt à bosser dur pour arriver à une belle édition.
Damiel : Beaucoup de public et qui soit content d’être là ! L’étape sera déjà réussie de notre côté si on a une tribune bien remplie. Une belle ambiance joue sur la performance des athlètes qui se transcendent pour les spectateurs. L’objectif de cet événement est de renforcer la dynamique du saut à la perche à Bordeaux et montrer qu’on peut faire du haut niveau dans la région. Le Meeting n’est pas organisé uniquement par Marion et moi, il y a toute une grande famille de la perche et quoiqu’il arrive c’est déjà mission réussie.
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— Quels arguments donneriez-vous à un jeune pour se rendre au StarPerche ?
Marion : Nous avons souhaité créer une ambiance de type chaudron pour que les spectateurs soient au plus près des perchistes. Quelqu’un qui n’a jamais vu de perche va découvrir une discipline atypique et impressionnante, et devrait passer une très bonne soirée avec sa famille ou ses amis. Ce show doit permettre de créer des envies parce que tous les clubs dans l’agglomération bordelaise sont capables d’accueillir et de former un jeune à la perche.
Damiel : Je lui proposerai donc de venir essayer le saut à la perche avec son école grâce à nos initiations du vendredi et de venir voir le show avec ses parents le samedi. C’est un spectacle que l’on ne voit pas souvent. C’est une salle qui s’y prête bien puisque le public va être au plus près des tapis de perche. Ils apprécieront les sensations que peuvent ressentir un perchiste en terme de hauteur et d’adrénaline. Dans une salle aux allures de boîte de nuit grâce aux musiques accompagnant chaque sauteur, ça va être de la folie.
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— Sportivement, qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter cette saison ?
Marion : Je vise les jeux Olympiques et les Championnats d’Europe de Paris. Le niveau européen je l’ai, le niveau des JO, par rapport au niveau mondial je l’ai. C’est plus le niveau français qui va être important cette saison, on verra ce qui va sortir en terme de minima et ce que sera la politique élitiste que veut mettre en place la Fédération. On est dans une logique complètement différente de certaines filles européennes de mon niveau qui préparent déjà les JO puisqu’elles vont jouer le jeu de « remporter » des places au ranking.
Je suis lucide, je sais ce que je vaux, je sais ce que je peux valoir sur un one shoot. Quand un athlète participe aux JO, il crée une émulation au sein de sa région et de sa ville. A Londres en 2012, ça été la fête dans mon village lors de mon concours et derrière ça a créé des vocations chez les jeunes. Je peux comprendre une politique élitiste mais les JO doivent être un moment de cohésion et ça passe par la présence de Français à la télévision. Chaque athlète ne vient pas faire de la figuration, il va tout faire pour honorer du mieux qu’il peut le maillot bleu.
Damiel : En tant que coach, je cherche avant tout l’épanouissement de la personne. Tant mieux si je continue dans le haut niveau grâce aux athlètes mais ce n’est pas du tout ma priorité. Ma priorité est de passer des bons moments avec les gens qui m’entourent. Quand je suis coach dans les tribunes, je vis désormais des choses de l’extérieur que j’ai vécues de l’intérieur pendant vingt ans. C’est assez kiffant ! Je me suis rendu compte que je stressais même plus pour mes petits jeunes que pour moi quand j’étais en compétition internationale. Je prends autant de plaisir à entraîner des jeunes ou des gens de tous niveaux que des athlètes internationaux. L’année 2020 s’inscrit comme une année olympique avec Tokyo 2020. C’est donc le moment de déceler les nouveaux talents pour Paris 2024.Marion Lotout Damiel Dossevi Marion Lotout Damiel Dossevi Marion Lotout Damiel Dossevi