Ce mardi à Tokyo, Renaud Lavillenie n’a pas décroché de troisième médaille consécutive dans une finale olympique. Blessé, le corps meurtri, le Français a pourtant été au bout de lui-même, suscitant une fois de plus respect, et admiration.
Les champions ne sont pas faits comme nous. Ils sont habitués à tutoyer les sommets, à chatouiller les nuages. A faire de la douleur leur meilleure amie, quand celle-ci les guide vers l’or. À supporter l’insupportable, tant que la victoire est à portée de main. Que ressentir, quand on voit un athlète au bord des larmes, se rendre à sa troisième finale olympique en claudiquant ? Renaud Lavillenie était prêt. Prêt pour aller chercher une nouvelle médaille dans la plus belle, et la plus grande des compétitions. Et c’est justement parce que c’est la plus belle et la plus grande, qu’il a tenté d’oublier la souffrance qui a accompagné chacun de ses mouvements.
Sa cheville gauche, bien que strappée depuis plusieurs jours, était presque rétablie. Plus qu’en qualifications en tout cas, où le champion olympique de Londres en 2012 avait bataillé pour franchir la barre requise. Deux essais ratés à 5,50 m. Passage à 5,65 m au deuxième essai. Et cette libération, dès le premier saut, à 5,75 m. L’ancien recordman du monde espérait être rétabli pour la finale, face à une concurrence toujours plus jeune et forte.
Un champion, ça se relève, et ça se bat, même en boitant
C’est finalement sa cheville droite qui fait défaut. A l’échauffement, Renaud Lavillenie chute, et tombe sur le sol. Il met du temps à se relever. Comment le faire d’ailleurs, quand on a un palmarès comme le sien, quand on sait d’où l’on revient ? Et, qu’après toutes ces années, on connaît son corps par cœur et qu’on est bien conscient que cette finale ne sera qu’un calvaire ? Un champion, ça se relève, et ça se bat. Même en boitant. Même en se faisant encore plus mal. Parce que la tentation de la victoire est trop forte. Parce que la sensation d’être sur le toit du monde est trop enivrante.
Commence alors le jeu des impasses. Préserver son corps, faire le moins de sauts possible, pour tenter l’impossible. Le Clermontois de 34 ans entre en lice à 5,70 m. Dès le premier essai, c’est réussi. Mais l’heure n’est pas à la fête. Un regard vers son clan en tribunes, mais la mâchoire est serrée, et la douleur si forte. Le pied dans la glace, il attend que l’écrémage se fasse pour tenter le coup de poker. Et c’est l’échec, à 5,87 m. Le vice-champion olympique de Rio refait l’impasse. Il lui reste deux sauts. La première tentative à 5,92 m passe tout près. La seconde ne passe pas non plus.
Un dernier conseil à son successeur Duplantis
Pas de médaille, pas de titre. Une huitième place, anecdotique quand on s’appelle Renaud Lavillenie. Le sport de haut niveau a cette part d’aléatoire, de chance et de déveine, et c’est aussi pour ça qu’on aime le suivre. Derrière chaque vainqueur, chaque champion, il y a des histoires, des combats, des blessures qui arrivent au plus mauvais moment. Et pourtant, malgré la situation, le triple champion du monde en salle (2012, 2016 et 2018) a montré son plus beau visage : celui du champion d’abord, en faisant du mieux possible dans une finale olympique. Celui du modèle aussi, en étant le premier à féliciter Armand Duplantis pour son titre. En le conseillant, puis en le regardant, tel un grand frère, tenter d’améliorer son record du monde. Un record qui était encore le sien, il y a quelques mois.
Il est encore trop tôt pour savoir s’il sera encore de la partie à Paris en 2024. Mais ce mardi, Renaud Lavillenie nous a apporté la confirmation que, gagnants ou non, les champions restent des hommes et des femmes à part. Le sport n’est pas toujours un spectacle, il est aussi une leçon d’abnégation et de panache. Parfois, nous devrions tous nous en inspirer.
Texte : Mathilde L’Azou
Crédit photo : Solène Decosta / STADION