Teddy Tamgho, un athlète dans la peau d’un coach

03 août 2017 à 19:29

Après Tamgho le triple sauteur, étincelant plusieurs années durant, Tamgho l’entraîneur réussit également tout ce qu’il entreprend. Il connaît une année 2017 faste en tant que coach. Le recordman du monde en salle de la discipline, capable de décortiquer un saut avec une précision d’orfèvre, ne ménage pas sa personne et façonne son équipe. Avec succès. Son nom : la «Team Tamgho» qui réunit des grands noms de l’athlétisme français ainsi que des jeunes prometteurs. Les résultats sont là. Et les médailles aussi. Le champion du monde du triple saut en 2013 veut continuer à apprendre et à prendre son temps.


Teddy Tamgho sait comment affoler la toile. Dimanche dernier, le triple sauteur a fait marcher ses talents d’acteur dans une vidéo diffusée sur son compte Snapchat en lançant une phrase simple mais assez évocatrice : « Je saute aux mondiaux ». Une annonce qui n’a pas tardé à faire réagir les fans d’athlétisme, visiblement heureux d’apprendre cette nouvelle. Encore un peu de patience, c’était une blague, le sociétaire de Bordeaux Athlé n’a pas encore annoncé officiellement son retour à la compétition. Il nous tarde de le revoir à l’œuvre. Sûrement cet hiver.


Stadion : Bonjour Teddy, comment vous définiriez-vous en tant que coach ?

Premièrement, je suis un passionné d’athlétisme. je m’intéresse à son Histoire, à sa technique, à sa philosophie. Je ne m’arrête à pas à mes épreuves de prédilection qui sont le triple saut et le saut en longueur. Je porte également un grand intérêt pour les autres disciplines comme le sprint et les haies par exemple. Deuxièmement, je suis quelqu’un de très discipliné et j’en demande autant à mes athlètes. Je peux parfois être trop dur avec eux mais j’essaye d’anticiper au maximum les situations négatives qui pourraient survenir lors des grandes échéances et altérer la performance de l’athlète. Troisièmement, la proximité. Je suis proche de mes athlètes et on peut s’en apercevoir rapidement sur les réseaux sociaux. Ils peuvent voir à l’entraînement quelqu’un qui est vraiment dur et quand celui-ci est terminé, ça rigole beaucoup et il vont voir quelqu’un qui peut paraître plus jeune qu’eux.

A la lecture des résultats de vos athlètes, il y a finalement peu de négatif dans le bilan. Qu’est-ce que vous leur apportez ?

Tout d’abord, si aujourd’hui les athlètes réalisent des résultats, c’est d’une part parce qu’ils sont talentueux et qu’ils sont prédisposés naturellement et physiquement à faire des performances. Moi mon rôle c’est de les accompagner sur le plan sportif mais aussi sur le plan extra-sportif. Je suis la personne avec qui on peut venir se confier. Je ne compte pas mon temps en tant qu’entraîneur, si un athlète a besoin de moi à minuit, je serai présent à ses cotés à minuit. En suite sur le coté sportif, c’est toute mon expérience que je peux leur apporter. Par exemple, la plupart de mes athlètes préparent des championnats internationaux dans les catégories jeunes comme les Mondiaux juniors ou les Europe cadets, ce sont des compétitions auxquelles j’ai participé quand j’avais leur âge. Quand il y a Quentin (Mouyabi) qui fait tout le mois de mai, blessé au dos, dix jours sans pouvoir marcher à un mois des France, quand il revient il lui reste trois semaines de préparation. Les minima requis pour les Europe juniors sont au dessus de son record. Dans ce cas précis, c’est à moi, avec mon expérience de le préparer et de l’amener au niveau pour qu’il arrive frais le jour-J. Mais surtout qu’il arrive sur la piste en pleine possession de ses moyens physiques et psychologiques.


ʻʻ La transmission des savoirs me tient à cœur ʼʼ


Justement, quand un de vos athlètes est blessé, un moment qui est souvent dur à vivre, pensez-vous avoir plus de capacité qu’un autre coach à le faire rebondir ?

J’ai cette capacité à faire revenir un athlète blessé à son niveau assez rapidement, parce que je l’ai vécu tout simplement. Un athlète qui a toujours eu une carrière assez lisse, sans pépin physique et qui n’a jamais connu d’importantes péripéties, il aura logiquement plus de mal à gérer la situation, qui est pour moi un « jeu d’enfant ». Les blessures que j’ai connues dans ma carrière me permettent aujourd’hui de les aider dans les meilleures conditions possibles. Quand j’entends dire un athlète qu’il est blessé un mois, cela dépend évidemment où est placée la blessure et à quel moment de la saison c’est arrivé, mais ce n’est pas dramatique même si pour l’athlète cela peut paraître insurmontable.

Entraîneur au sein de la Team T, c’est plus dur que dans un club ou une structure privée ?

Je pense effectivement que c’est beaucoup plus dur. Même si je suis entraîneur, je suis toujours en activité en tant qu’athlète et le groupe que j’entraîne connait mon parcours, mes résultats et mon palmarès. Aucun de mes athlètes ne vous dira qu’il n’était pas devant sa télé en 2013 lors de la finale à Moscou. Quand tu viens t’entraîner avec moi, inconsciemment il y a une pression supplémentaire. Je les préviens en amont que ça va être dur et que ça ne va pas être tous les jours facile mais que s’ils tiennent ma discipline, en championnats ils auront peu de chance de se louper. Ils l’ont tous très bien compris et tous ceux qui ont suivi ma philosophie, ne le regrettent pas aujourd’hui je pense.

Qu’est ce qui vous plaît dans la fonction d’entraîneur ?

La transmission des savoirs me tient à cœur. Aider quelqu’un à faire au moins voire mieux que ce que j’ai pu faire, c’est extrêmement gratifiant. Faire éviter à mes athlètes certaines désillusions, certains échecs, fait aussi partie du rôle du coach. Je suis très fier de mes athlètes pour leurs résultats certes mais comme vous le savez, on peut toujours faire mieux mais je suis surtout fier de ce qu’ils sont en tant qu’individu par leur personnalité.

La Team T, toujours sur la plus haute marche du podium.


ʻʻ Ghani a laissé une empreinte indélébile sur l’athlétisme ʼʼ


Est-ce que vous éprouvez des difficultés ?

Le coté humain est dur à gérer mais ça fait partie du charme du rôle d’entraineur. Si c’est trop facile, ça n’a aurait aucun intérêt. Je n’aime pas les choses qui sont trop faciles. J’aime quand c’est difficile et quand il faut se donner les moyens pour arriver à un bon résultat. On peut le voir en tant qu’athlète, là ou je suis le meilleur ce sont dans les situations les plus compliquées.

Vous inspirez-vous de la réussite de Ghani Yalouz pour mettre en place votre management gagnant auprès de vos athlètes ?

J’entretiens une relation particulière avec Ghani, qui dépasse largement le cadre du sport. Il m’a aidé dès le premier jour où il est rentré officiellement à la Fédération. Quand j’ai rencontré des problèmes sur le plan sportif et extra-sportif il était là et a toujours été présent quand j’avais besoin de lui. C’est là qu’on peut parler de l’importance de l’expérience parce qu’il a souvent été blessé comme moi. Il a su comment m’accompagner et comment gérer cette situation pour revenir au plus haut niveau. Je pense honnêtement que Ghani a laissé une empreinte indélébile sur l’athlétisme avec une méthode fondée sur l’humain. Maintenant il n’y a pas que le côté humain pour avoir des résultats probants. Il ne faut pas faire du copier-coller, ça ne marcherait pas mais il faut s’en inspirer largement.

Vous avez coaché Christian Taylor lors du Meeting de Paris. Qu’est-ce que cela fait de conseiller le temps d’un concours un athlète avec lequel vous êtes souvent en concurrence ?

Personnellement, ça ne me fait rien du tout puisque que si on me le demande, je conseille n’importe quel athlète et c’est pour moi c’est quelque chose que je fais naturellement. Will Claye pourra vous le dire mieux que moi, je lui ai envoyé des exercices et des éléments pour faire dix-huit mètres à travers des modèles de vidéo en lui disant précisément ce qui lui manque pour atteindre cette mesure. De son côté, il m’envoie des retours avec ce qu’il fait, il y a un réel échange constructif. Avec Christian, c’est sûr que l’on est en concurrence de part qu’on fait la même discipline et qu’on a à peu près le même niveau sur le plan métrique. On se respecte énormément et c’est pour ça qu’on s’aide mutuellement.


ʻʻ Un entraîneur est là pour que l’athlète optimise sa performance ʼʼ


Dans quel contexte vous a-t-il-demandé de le coacher ?

Tout à commencé à Eugène (le 27 mai), Christian commence son concours à 17,80 m (ndlr : 17,82 m) et il essaye, au fur et à mesure du concours, de mettre un peu plus d’engagement dans ses sauts mais il ne le fait pas de la bonne manière. A ce moment-là, son coach Rana Reider part parce qu’il avait plusieurs athlètes à gérer. Je me retrouve tout seul devant Christian donc je commence à le motiver et j’ai senti qu’il avait besoin d’aide. Après peut-être que ce n’était pas le cas mais je trouve naturel de l’appeler et de lui dire ce qu’il ne va pas. Quand il arrivait sur la fin de course, il mettait un peu trop de fréquence et n’appuyait pas assez au sol. Mon discours ne s’est concentré que sur ce détail parce qu’il n’y avait de toute façon que ça à corriger. Quand un mec fait dix-huit mètres, il n’y a plus beaucoup de choses à corriger (rires), voire aucune. Juste après cet instant coaching, il plante 18,11 m et à l’issue de ce saut il vient me remercier.

C’est un beau message que vous véhiculez tous les deux…

Un mois après, à Paris, son coach ne pouvait pas faire le déplacement, il m’a donc demandé si j’étais présent et si je pouvais mettre un œil sur son concours. J’ai fait ce que j’avais à faire. J’ai eu certains échos de personnes, qui ne connaissent pas trop l’athlétisme et je ne leur en veux pas du tout, qui m’ont dit que je ne l’avais pas réellement coaché. Quand un athlète vaut dix-huit mètres au triple saut, il n’y a presque rien à redire. Je ne peux pas m’amuser à lui donner cinquante informations, il va se perdre. On doit faire de la qualité, pas de la quantité. Un entraîneur est là pour que l’athlète optimise sa performance. En compétition on va reprendre un détail avec l’athlète qui doit lui permettre d’améliorer sa marque.

Quel bilan vous tirez de cette expérience ?

J’ai juste coaché un athlète, c’est tout. Je ne vois pas Christian Taylor comme un adversaire. Je le respecte énormément, il a fait beaucoup de choses pour le triple saut et pour l’athlétisme plus globalement. Les hommes mentent mais pas les chiffres.


ʻʻ La vidéo favorise le processus d’analyse et d’apprentissage ʼʼ


Quel est votre plus grande satisfaction ou plus grand souvenir à l’heure d’aujourd’hui en tant que coach ?

Je ne pourrai pas choisir un moment ou un athlète précis. J’ai cette chance d’avoir des athlètes qui m’ont donné beaucoup de satisfactions. Mais c’est vrai que ma première expérience en tant que coach est toujours la plus marquante. J’étais encore junior première année en 2007, j’avais mon ami d’enfance Louis-Grégory Occin (avec pour nickname grekos) qui avait arrêté l’athlétisme jusqu’au mois d’avril avec un record à 14,72 m. Je lui propose qu’on fasse le même plan d’entraînement et comme ça on va aux Europe ensemble. Le jour du meeting de sélections à Bondouffle il réalise 15,50 m alors que les minima étaient fixés à 15,30 m. Après je pourrai citer les 13″15 de Garfield (Darien) à Helsinki en 2012 et Rouguy (Diallo) championne du monde juniors à Eugène en 2014. Dernièrement, je pourrai vous citer Melvin (Raffin) quand il franchit dix-sept mètres pour la première fois début janvier à Aubière, Martin (Lamou) champion d’Europe juniors le week-end dernier à Grosseto ou encore Quentin (Mouyabi) qui fait 15,95 m au dernier essai des France à Dreux.

Il y a finalement pas mal de souvenirs à aborder…

Rires. Oui c’est vrai qu’il y a pas mal de moments à évoquer.

Vous utilisez beaucoup la vidéo à l’entrainement, que vous apporte-elle ?

Un feedback. Quand je vais demander une consigne à un athlète je ne vais me focaliser que sur celle-ci. Je vais être figé dessus et derrière, le retour vidéo va me permettre de regarder d’autres problèmes qu’on pourra travailler plus tard. Je vous dis la vérité, parfois même en tant qu’entraîneur tu te concentres sur un point et tu n’arrives même pas à le voir. Vous avez des flèches comme Melvin, vous lui demandez de courir entre les plots et d’enchaîner avec un cloche, il va exécuter le mouvement tellement rapidement que je ne vais pas avoir le temps de l’analyser. C’est aussi à ce moment précis que la vidéo intervient et permet d’ avoir un retour visuel sur sa prestation. Si je n’utilise pas la vidéo, il va me regarder, je vais le regarder et on aura rien à se dire en débriefing. Cela favorise le processus d’analyse et d’apprentissage permettant à l’athlète de progresser. En compétition ? Je n’utilise pas la vidéo pour débriefer avec un athlète. Je préfère agir et être dans l’action. Cependant, cela m’arrive de regarder tout seul la vidéo entre les sauts.

Est-ce qu’il y a de nouveaux athlètes qui vont intégrer votre groupe à la rentrée ?

Il y a la petite sœur de Melvin, Lesly Raffin (12,35 m au triple saut en minimes) qui devrait être la seule athlète à intégrer le groupe en septembre. Cette année, je ne vous cache pas que j’ai été très restrictif sur le nombre d’athlètes.


ʻʻ Il ne faut pas obligatoirement aller loin sur le cloche-foulée pour sauter loin ʼʼ


On a l’impression que vous êtes en train de révolutionner votre discipline avec un cloche-pied et une foulée bondissante plus longue que les meilleurs triple sauteurs du monde…

Il faut comprendre l’Histoire du triple saut. Pas tous mais beaucoup d’entraîneurs se basent et prennent les 18,29 m et le saut record de Jonathan Edwards comme référence (1995). Ils disent que ça ne sert à rien de venir chercher un gros deuxième bondissement, il faut privilégier un grand dernier. Voilà aujourd’hui où on se situe. Cependant, moi ce que j’ai regardé, c’est que Jonathan a aussi réalisé 18,43 m, certes aidé par un vent trop favorable. Mais regardez où-est ce qu’il pousse le deuxième bond, il le pose à 12,10 m avec beaucoup de vitesse. Et le jour de ses 18,29 m, il pose à 11,20 m (ndlr : 11,27 m) pour faire un dernier à plus de sept mètres. Il y a quatre-vingt-dix centimètres de différence pour gagner quatorze centimètres mais on peut dire que sur une même performance, il réalise deux types de saut complétement opposés. De ce constat, il ne faut pas obligatoirement aller loin sur le cloche-foulée pour sauter loin.

Racontez-nous votre troisième saut mordu lors du Meeting de Doha en 2015 lorsque vous vous rapprochez à 20 centimètres du bac à sable.

A Doha, lors de cet essai, je m’élance sans réfléchir, je ne sais même pas ce qui va se passer. Quand je suis sur la planche, je sens que j’ai fait une erreur d’avancer un tout petit peu mes épaules et donc je laisse tomber le saut parce que je me sentais vraiment mal. Mais j’allais tellement vite que je n’ai rien senti et je n’ai repris réellement mes esprits que quand je suis sorti du sable. On commence à me dire qu’au prochain saut je peux battre le record du monde. Je ne comprenais pas parce que j’étais concentré dans mon concours. Le quatrième essai j’y vais et ça pète (blessure au tendon d’Achille). Juste après, le coach de Perdo Pablo Picharrdo dit à Ivan Pedroso que j’allais sortir du bord. Et c’est après l’opération, trois jours après la compétition, en regardant la vidéo à l’hôpital j’ai eu beaucoup de mal à me reconnaitre dans ce saut. Je suis à 12,80 m après la foulée bondissante alors que je ne contrôle pas le saut.

Qu’avez-vous appris lors de ce saut ?

C’est ce jour-là que j’ai compris qu’on peut poser loin en ayant de la vitesse. Ce saut m’a simplement conforté dans l’idée que chacun saute en fonction de ses qualités. Pour exemple, Christian Taylor ne posera jamais un 18,10-20 ou 30 m avec un cloche foulée qui va à 12,20 m, il perdrait trop de vitesse. Melvin et Martin vont réaliser la même performance mais Melvin ira plus loin sur la reprise-multi alors que Martin va faire un plus grand dernier que lui. On est cinq hommes à avoir fait plus de dix-huit mètres au triple saut et on on a fait cette performance avec cinq sauts différents. Cela montre qu’il n’y a pas qu’un chemin pour y arriver.

La légende Tamgho a encore de belles pages à écrire en tant que coach, en tant qu’athlète également.

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