Vous avez interviewé Renaud Lavillenie

14 janvier 2021 à 19:59

Stadion a proposé à ses lectrices et lecteurs de poser leurs questions à Renaud Lavillenie avant son premier concours de l’année au Starperche de Bordeaux samedi. Vous avez été nombreux à lui écrire. Le champion olympique de Londres a parfaitement joué le jeu. La visioconférence devait durer vingt minutes et elle s’est étalée sur près du double. Quand on a le Clermontois sous la main, il est agréable de prolonger l’exercice en lui demandant d’évoquer ses objectifs et de faire le point sur le bon niveau actuel de la perche mondiale. Voici le résultat ! Pêle-mêle.

— Caroline : Dans quel état de fraîcheur physique vous sentez-vous au moment d’accrocher votre premier dossard de l’année ?

Dans l’ensemble plutôt bien, même si mi-janvier on sort tout juste des fêtes de fin d’année, il faut bien récupérer même si on s’est entraîné. Et puis on est encore dans une phase d’entraînement où il y a un peu de volume, on n’est pas dans le pur explosif. J’arrive à bien récupérer des séances et je ne suis pas très fatigué, ce qui est plutôt une bonne chose pour aller faire une compétition. J’ai hâte d’être dans quatre semaines, vers mi-février, c’est une période où on sera en plein dans les compétitions et on fera tout pour avoir le maximum de jus.

—  Baptiste : Qu’attendez-vous de votre rentrée samedi à Bordeaux (lire notre article) ?

On recherche toujours une bonne performance de reprise. L’année dernière, lors de ma rentrée 2020 au Starperche, j’avais réalisé 5,80 m, presque à ma grande surprise parce que je n’étais pas aussi bien que ça à l’entraînement. Je m’étais révélé sur la compétition donc j’étais super content. Je dois avouer que je suis bien mieux à l’entraînement cette année à cette même période donc à minima j’aimerai bien refaire 5,80 m. Pour un début de saison, ce serait vraiment cool. La problématique sur la première sortie, c’est d’arriver à trouver les bons repères entre l’entraînement et la compétition. Avec le bon matériel adapté car on peut vite se retrouver avec des perches trop dures ou trop souples parce qu’on arrive pas à jauger la différence. Ces compétitions de réglages permettent de trouver le coche mais parfois tout se met en place dès la première sortie et on se pose moins de questions pour la suite.

— Quentin : Avec quelles ambitions allez-vous aborder la saison 2021 ?

Tout d’abord, la saison 2021 va être marquée par la saison en salle dont on attend beaucoup. On est tous sortis d’une saison 2020 en salle qui s’est clôturée presque de manière normale et ensuite l’extérieur a été bien chamboulé. On a eu la chance de participer à des Meetings mais le climat était complètement différent. On a envie de faire une belle saison en salle et je sais que les trois dernières compétitions vont être les rendez-vous les plus importants. Les France Elite à Miramas pour aller chercher un dix-neuvième titre national, le All Star Perche que j’organise où forcément j’ai envie de réussir chez moi et puis les Europe en salle à Torun où j’aimerais bien aller chercher une médaille.

— Arthur : Vous avez l’opportunité de décrocher une troisième médaille olympique consécutive à Tokyo…

Si l’hiver se passe bien, l’objectif cet été est de décrocher une troisième médaille olympique après l’or à Londres en 2012 et l’argent à Rio en 2016. C’est ce pourquoi je m’entraîne. J’ai l’avantage de bien connaître les JO, une compétition que j’ai déjà gagnée. On sait que l’expérience sur un grand rendez-vous peut avoir son importance. Il va falloir sauter haut à Tokyo.

— Gaëlle : Comment s’est déroulé votre stage en décembre à La Réunion avec les perchistes français ?

C’était un très bon stage. C’était ma huitième ou ma neuvième fois à La Réunion depuis 2010. C’est un endroit magnifique avec un très beau climat. Et c’est ce qu’on vient rechercher. On est dans une période où on s’entraîne la plupart du temps en salle parce qu’à l’extérieur il commence à faire froid. Aller chercher la vitamine D, le soleil et l’entrain avec les autres perchistes, ça fait du bien. On s’est bien entraîné, j’ai passé des bons caps là-bas. Au-delà du côté sportif, rien que le fait de pouvoir se retrouver ensemble, c’est cool et on a senti au quotidien la bonne humeur qui règne dans le groupe.

— Emmanuel : Le All Star Perche va-t-il avoir lieu le 27 février prochain à Clermont-Ferrand ? Le public pourra-t-il être présent ?

J’espère ! On travaille dessus actuellement, on est à bloc. Le All Star Perche est une activation qui dure cinq jours avec tous les publics (écoles, athlètes…) et cette année il est évident qu’il est impossible de faire autant. La compétition internationale du samedi 27 février sera maintenue, on se concentre sur l’essentiel. On va se donner les moyens d’organiser un beau Meeting tout en respectant les contraintes qui nous seront imposées. J’ai déjà hâte d’être aux premières compétitions pour voir comment les organisateurs gèrent leurs contraintes. On a de la chance que le All Star Perche soit assez tard dans la saison et on va se nourrir de toutes les compétitions pour aussi gérer les nôtres. On espère encore accueillir une petite capacité de spectateurs mais quand on regarde le contexte actuel, on en doute fortement. L’événement devrait être retransmis sur des grandes chaînes nationales.

— Daniel : Pensez-vous avoir retrouvé cet hiver la vitesse, la fluidité et l’explosivité que vous aviez en 2014 et les années suivantes ?

En 2014/2015, j’étais au sommet de ce que je pouvais faire mais j’ai retrouvé beaucoup de qualités que j’avais en 2016 et avant que je commence à avoir des petites blessures. Sur l’exécution de plusieurs exercices et même sur le comportement physique, je vois que je suis plus proche de ce que je faisais dans ces années-là que je ne l’étais en 2018 ou 2019. C’est plutôt des bons signes. Je ne suis pas dupe, j’ai 34 ans passés et les belles années sont derrière moi mais j’essaye de me rapprocher de ce qui était ma force et j’arrive à retrouver de très bons éléments. Le plus dur va être de les maintenir le plus longtemps possible.

— Daniel : Pensez-vous ressauter sur 20 foulées d’élan dans les prochaines compétitions, tout au moins lors des 3 ou 4 dernières compétitions de l’hiver ?

Oui et même avant. Je serai sur 16 foulées samedi pour la reprise, ça me permettra de me remettre dedans. Les 20 foulées, il faut avoir une préparation physique qui est plus avancée, parce que les quatre foulées en plus à pleine vitesse, il faut être capable de maintenir le rythme. Je n’ai pas encore déterminé quelle compétition sera la première sur 20 foulées mais ce sera vers début février ou à Karlsruhe (29 janvier), ça va dépendre de mon état physique. L’hiver dernier, j’avais commencé sur 16 et j’avais essayé de passer sur 18 mais je me suis rendu compte que c’était un peu difficile. J’ai fait ma dernière compétition sur 20 et bizarrement j’ai tout retrouvé. C’est là que je retrouve du potentiel pour sauter haut. Si je vois que je les tiens pas, je préfère rester encore une ou deux compétitions sur 16 et passer aux 20 quand je le sentirais.

— Hugo : Avez-vous prévu de continuer votre carrière au moins jusqu’aux JO de 2024 ?

L’objectif est clairement d’aller jusqu’en 2024 et d’être professionnel jusqu’à cette période. Quand je vois le bon état dans lequel je suis actuellement, ça me réconforte dans cet objectif-là. Il y a quelques années, je me disais 2020 et 2021 ça va être bien et peut-être qu’après je devrais calmer un peu le jeu si je veux aller jusqu’en 2024. Malheureusement, le contexte du Covid a fait que la petite pose s’est faite en 2020 et pas en 2022 mais elle m’a fait du bien. Après 2024, si je vois que je peux faire une année ou deux, je les ferais avec grand plaisir. Je laisserais mon corps prendre les décisions les unes après les autres.

 

— Philippe : À quoi pourrait ressembler votre vie après votre carrière de perchiste haut niveau ? Allez-vous rester dans le milieu de l’athlétisme ?

Ce qui est sûr c’est que je ne serai jamais bien loin de mon club parce que j’ai le Meeting du All Star Perche que j’organise et j’ai l’intention de le pérenniser. J’ai envie de profiter d’activités extra-sportives, on connaît mon attirance pour les sports mécaniques et j’aimerais bien me donner une ou deux années pour réaliser quelques défis assez sympa. Je suis tellement amoureux de la perche que je ne quitterais pas ce milieu du jour au lendemain.

— Stéphane : Depuis 2019, vous êtes le Président de la Commission des athlètes de World Athletics. Quelles sont vos missions ?

Les missions sont multiples. Le but de la Commission des athlètes est de représenter au mieux les athlètes de tous niveaux auprès des instances internationales. On fait en sorte que la voix des athlètes, peu importe leur pratique, soit entendue quand des décisions sont à prendre. Le président (mandat de 4 ans) ainsi que la vice-présidente, la Néo-zélandaise Valerie Adams, sont intégrés au conseil de la Fédération, et nous disposons d’un droit de vote à part entière. Notre rôle est de récupérer les retours, les idées et les opinions des athlètes pour pouvoir les faire remonter au conseil. On est impliqué dans différents groupes de travail et notamment sur toute la partie qui touche à la compétition. C’est un travail passionnant. Dernièrement, il y a eu une certaine victoire par rapport au travail que l’on a pu faire sur les nouvelles dispositions de la Diamond League en 2021. Le triple saut, le disque, le 200 m, le 3 000 m steeple et le 5 000 m reviennent après en avoir été écartés en 2020.

— Romain : Comment jugez-vous le niveau mondial actuel du saut à la perche par rapport à celui de vos débuts dans le haut niveau en 2009 ?

Il est costaud parce que forcément le record du monde a été battu plusieurs fois depuis 2009. Ces dernières années, on a vu plus de perchistes franchir 6 mètres que depuis les années 90. La période actuelle que l’on vit est assez solide. Mais lors des grands championnats, ce n’est pas pour autant que le niveau est meilleur. On se rend compte qu’avec 5,80 m on est capable de flirter avec le podium, si on prend ne serait-ce que les résultats des Mondiaux de Doha. On s’aperçoit toutefois qu’il y a une bonne génération avec des jeunes qui sont performants plus tôt que d’habitude. On est une des disciplines de l’athlétisme au niveau mondial qui est quand même assez dense. Il y a beaucoup de perchistes qui sont capables de faire de très bonnes performances et forcément quand on se retrouve tous sur un même concours ça fait des hauts concours.

— Margot, Alex et Nico : Une anecdote sur votre enfance ou adolescence que vous n’avez jamais racontée aux médias…

C’est possible (NDLR : il rigole) ! Quand j’avais 10 ou 12 ans et que j’habitais à la campagne, je pensais déjà toujours à la perche. Quand j’allais dans la forêt et que je trouvais un bois qui ressemblait plutôt de loin que de près à une perche, j’essayais toujours de passer par-dessus une haie ou une clôture. Ce sont des trucs de gamin mais j’avais déjà cette passion pour la perche donc c’est marrant de raconter cette anecdote.

Margot, Alex et Nico : Est-ce que vous profitez des études scientifiques (biomécanique etc.) pour améliorer votre technique et vos performances ?

On utilise une plateforme qui permet de calculer la vitesse sur les 25 derniers mètres avec la longueur de la foulée, le temps de réaction au sol ainsi que la vitesse, la hauteur et l’angle au décollage. Ce sont des données qui sont très scientifiques et qui sont basées sur la vitesse. Et l’athlé est dans l’absolu basé sur la vitesse donc ça a du sens. Au saut à la perche comme dans toutes disciplines, il y a toujours une part de feeling et d’humain qui peut être un contre-exemple de ce qu’on va prouver. L’intérêt est de comprendre ce que l’on fait par rapport à notre profil et à nos qualités. Une fois que l’on a quitté le sol, les études scientifiques sont quasiment infaisables parce que l’on est sur un agrès mobile et le renvoi n’est jamais le même pour tout le monde. Il faut utiliser ses données mais il faut aussi savoir s’en détacher. Parfois, l’analyse vidéo, simplement filmée avec un téléphone, permet de faire des comparaisons par rapport aux sauts que l’on estime les meilleurs. La complexité, c’est que l’on pourrait passer des heures à décortiquer des données et au final ne pas avoir de grosses différences dans le résultat. Quand on est en bout de piste, on est pas en train de se dire à quelle vitesse je dois me lancer, on prend sa perche et on y va. Par le passé, il y a des sauts avec plein d’erreurs, avec des passages trop loin ou trop près, qui arrivent à se concrétiser par une performance. Et comment on peut expliquer ça scientifiquement ?

— Benjamin : Vous avez annoncé ce mercredi (13 janvier) l’officialisation de votre nouvel équipementier Puma. Pour quelles raisons avez-vous rejoint la marque allemande ?

Ça faisait 11 ans depuis 2010 que j’étais avec Nike. Et malheureusement avec la situation sanitaire, il y en a qui se sont un peu mis derrière ça pour opérer des changements. Ce n’est pas que dans le sport, on le voit aussi dans le monde professionnel tout court. Nike France ne voulait plus me garder et il me faut respecter la décision. Je ne pouvais pas me permettre d’attendre parce que j’ai envie de faire des performances en 2021. J’ai été à la concurrence voir ce qu’on me proposait. La plupart des autres marques étaient plus dans une démarche de conservation de leurs athlètes avant d’en recruter d’autres. Puma a été en mesure de me proposer quelque chose et j’ai vu tout de suite des personnes motivées. Je suis très heureux que Puma ait eu le souhait de m’accueillir. Le petit clin d’œil à Armand Duplantis qui a rejoint la marque en 2019 et à mon frère Valentin qui est chez eux depuis 2018. Le plus dur pour moi c’est de faire tous les cartons à la maison pour tout débarrasser et faire de la place pour les nouveaux produits. J’ai l’impression de faire un déménagement ! La page Nike se ferme de manière bizarre, j’avais pourtant tous les signaux pour continuer encore longtemps à écrire une histoire mais ça me donne un nouveau challenge. J’ai eu la chance de tester les chaussures et j’ai des retours de la marque via Valentin depuis quelques années et je vois les progrès qu’ils ont faits. J’ai une des paires qui est dans l’esprit assez similaire à ce que j’avais chez Nike donc je ne suis pas perturbé. J’ai hâte de pouvoir m’envoler avec eux.

Le concours de rentrée de Renaud Lavillenie sera à suivre en direct à partir de 17h samedi sur notre page Facebook et sur la page officielle de l’événement.

Crédit photo : Antoine Decottignies / STADION

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