Pascal Martinot-Lagarde : « Je commence à être Pascal le grand frère ! »

03 mars 2023 à 7:41

Son palmarès est plus long que votre liste de courses au supermarché. Depuis sa première médaille internationale chez les grands, aux Mondiaux indoor d’Istanbul en 2012, Pascal Martinot-Lagarde a grimpé sur onze autres podiums dans un grand championnat (4 sur 110 m haies et 8 sur 60 m haies au total). Le hurdler français de 30 ans ne compte pas arrêter sa moisson de breloques et va tenter de rajouter une ligne à son copieux tableau de chasse à l’occasion des Championnats d’Europe en salle dans la cité du Bosphore. Interview !

— Pascal, comment vous sentez-vous physiquement ?

J’étais relativement déçu du Meeting de Liévin et des Championnats de France Elite en salle à Aubière. Volontairement, on n’a pas placé de meetings entre les France et les Europe pour pouvoir remettre un bon bloc de travail. L’année dernière, c’est ce que j’avais fait après avoir échoué aux Championnats du Monde à Eugene l’été dernier (éliminé en demi-finales). J’avais remis un gros bloc pour revenir fort aux Europe de Munich et ça avait marché. Tout ce que je n’ai pas pu placer en décembre et janvier, en raison d’un petit pépin pas très grave, je l’ai placé la semaine dernière et aussi cette semaine. Je suis encore un tout petit peu courbaturé mais maintenant, c’est vraiment 48h off qui m’attendent où je vais vraiment faire du jus. Normalement, je devrais avoir les jambes en feu dans deux jours.

 

— Quel bilan faites-vous de vos différentes sorties cet hiver ?

Avec le temps, je hiérarchise beaucoup les compétitions et leur importance. Aujourd’hui, j’ai tendance à prendre comme très très important les championnats et à relativiser les meetings. Quand je fais des mauvais meetings ou des mauvaises courses, on se réentraîne et on fait la suivante. Par contre, rater un championnat, ça fait mal. Je pense que c’est pour cela que j’arrive à réaliser mes belles performances en championnats, quand j’ai vraiment le feu, cette sensation de danger que je n’ai plus en meeting. Mon bilan de cet hiver, cela s’est bien passé même si certaines courses n’ont pas été très vites. L’important de la saison hivernale, c’est Istanbul.

 

— On imagine que vous conservez un bon souvenir d’Istanbul, c’est ici que vous aviez remporté votre première médaille internationale chez les grands, derrière deux grands noms de l’athlétisme, l’Américain Aries Merritt et le Chinois Xiang Liu…

C’était ma toute première sélection à 20 ans. Dans ma mémoire, on était neuf athlètes dans la délégation française et on a ramené trois médailles : Renaud Lavellenie (perche) l’or, Vanessa Boslak (perche) l’argent et moi le bronze. Je n’ai plus beaucoup de souvenirs non plus. J’étais un gosse à cette époque, j’étais encore tout plein de fougue, je me suis un peu calmé avec le temps. Le seul énorme souvenir, c’est que j’ai fait un câlin à tout le monde après la course, cela a surpris tout le monde. C’était juste après avoir remporté ma première médaille internationale. J’ai sauté dans les bras de tous ceux qui parlaient à peu près français. Apparemment, cela avait marqué.

 

— Est-ce que les jeunes de l’équipe de France sont venus vous demander des conseils par rapport à votre expérience ?

Non. Maintenant, on me fait de plus en plus de blagues car je commence à être Pascal le grand frère ! Je parlais à Margot Chevrier (perche) hier à table qui m’a dit qu’elle ne faisait pas encore d’athlétisme lors de ma première médaille internationale. Donc il y a un petit peu un choc des générations. Je commence à être le doyen. Je ne suis pas le plus âgé. Il y a Benjamin Compaoré et Dimitri Bascou qui ont 35 ans. J’avais beaucoup plus communiqué avec les jeunes athlètes à Munich. Ici, on vient d’arriver. Entre hier soir et ce matin, je n’ai pas beaucoup discuté. Je suis resté au lit toute la matinée (jeudi 2 mars, ndlr) car j’ai eu un bon contrôle antidopage à 6h du matin.

 

— Nous auriez-vous pris pour un fou si on vous avait dit à la suite de cette médaille que vous alliez en décrocher onze autres sur le plan international ?

Tout le monde m’a pris pour un fou quand j’ai affiché mes ambitions à l’époque. La réponse est absolument non. Si vous m’aviez dit il y a dix ans que je gagnerai douze médailles internationales, je vous aurais dit oui, c’est le trajet. Je suis en chemin. Maintenant, on me prend un peu moins pour un fou. Non, je ne suis pas fou d’être ambitieux.

 

— La 13e médaille, c’est pour dimanche ?

Je suis là pour ça. Je m’entraîne dur, j’ai mal partout. J’ai fait des sacrifices de vie. Il y a beaucoup de choses que je mets en place pour la performance. L’état d’esprit avec lequel j’aborde les compétitions est celui d’un conquérant. Et un conquérant ne se bat pas pour être second.

 

— Depuis 2012, vous avez chaque hiver couru sous les 7″55 sur 60 m haies… quel est votre secret pour rester au top ?

C’est gardé toujours, du premier au dernier jour de ta carrière, la mentalité « I’m still learning », je suis sans cesse en train d’apprendre. Cela ne s’arrêtera jamais jusqu’à la fin de ma carrière. Je pense que les médailles, ce n’est pas un truc qui se construit en 7″50, c’est un truc qui se construit en une vie. Tu la fabriques jour après jour jusqu’à ce qu’elle prenne forme à la fin. Toutes les médailles que j’ai obtenues, je me suis entraîné dur, je les ai fabriquées petit à petit. J’ai gardé une discipline pendant toutes ces années, du travail, de l’ambition. Si j’avais gagné les premières médailles puis perdu la faim et fait des choses pas en cohérence avec la performance, je n’aurais pas fait autant de médailles. Donc, il faut rester discipliné et garder des objectifs au centre. Ce n’est pas le résultat qui compte, c’est le chemin. Je n’ai pas dévié de ma route en dix ans.

 

— Combien voyez-vous d’adversaires capables de jouer un podium ? Qui sont les plus dangereux ?

Je vois 32 adversaires. Je vais me contenter de citer ceux qui sont bien dans les bilans. Jason Joseph (Suisse) a retrouvé son plus grand niveau. Au Meeting de Paris Indoor, sa course était excellente. Derrière, il fait encore mieux aux championnats de Suisse avec 7″44. Ce sera visuellement, le plus gros poisson.  Après, je suis un athlète d’expérience. Des surprises il y en a eu, autant par moi que par les autres. Elles peuvent venir de partout. La jeunesse montante essaie de nous mettre à la retraite. À Munich, l’Espagnol Asier Martinez, c’est révélé l’été 2022. Cet hiver, son compatriote Enrique Llopis fait vraiment un truc excellent avec ses 7″48. Ici, il y aura peut-être un France-Espagne-Pologne avec un Suisse qui va bien se bagarrer, en tout cas sur le papier.

 

— Renaud Lavillenie est à 18 médailles (Championnats du Monde, d’Europe et Jeux Olympiques), est-ce que cela pourrait être un objectif à terme pour vous ?

Avec le temps, j’ai commencé une vie en parallèle de l’athlétisme. J’ai eu deux enfants et je suis marié. La passion du début se transforme en « I do my job », je fais mon boulot année après année. Comme j’ai basculé là-dedans, j’ai un peu moins ce frisons et cette hargne parfois en meeting. Je l’ai toujours en championnats. S’il y a bien un truc qui peut me motiver, c’est un objectif que je n’ai pas eu jusqu’à présent. À part les Jeux olympiques, j’ai eu des médailles dans l’intégralité des championnats. Par contre, rentrer dans l’histoire de l’athlète français ayant reçu le plus de médailles, cela peut être un titre relativement honorable que je n’ai pas encore. J’ai six médailles de retard, je devrais continuer jusqu’à mes 34-35 ans et être au top. Si je peux éventuellement casser ce compteur et rattraper Renaud voire le dépasser, cela serait une motivation supplémentaire.

Propos recueillis par Coline Balteau
Crédit photo : Solène Decosta / STADION

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