Azis Zidane : « Cette force mentale, c’est naturel chez Méline »

16 février 2024 à 15:45

Azis Zidane coache un groupe conséquent d’athlètes au GRAC Athlétisme avec en figure de proue Méline Rollin qui sera au départ du Marathon de Séville ce dimanche et qui a pour objectif de décrocher son ticket pour les JO de Paris 2024. Préparation, objectifs, qualités, souvenirs… L’entraîneur de 56 ans, qui prône le collectif, nous raconte comment ils ont apprivoisé ce défi avec sa protégée.

L’INTERVIEW VOUS EST PRÉSENTÉE PAR

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— Azis, nous savons que vous êtes l’entraîneur de Méline Rollin mais également directeur technique du GRAC Athlétisme. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots…

J’ai débuté dans ce club en 1983, ça fait maintenant 41 ans. Tout d’abord en tant qu’athlète et très vite, vers l’âge de 24 ans, j’ai commencé à entraîner. J’avais comme modèles des personnes comme Maurice Brasseur qui m’a beaucoup influencé dans ma façon, avec une approche très humaniste. J’entraîne depuis 32 ans maintenant, toujours dans le même club et ai une quarantaine d’athlètes pour la plupart d’un niveau régional. Globalement je suis un entraîneur qui va privilégier l’approche collective de l’entraînement. Bien sûr, on va s’occuper de l’individu mais en restant quand même avec un esprit collectif. Les relais, les compétitions de cross par équipe, c’est très important pour moi.

— Dans quelle forme se trouve Méline Rollin ?

On a fait une bonne préparation sur douze semaines, j’en suis globalement satisfait. Maintenant, ça reste un marathon et plusieurs paramètres entrent en jeu, comme les conditions climatiques. Ce n’est pas quelque chose qui nous tracasse mais c’est à prendre en compte, ils auront peut-être 17 degrés sur la fin de course ce dimanche. Sinon c’était une bonne préparation en augmentant un petit peu le volume kilométrique, on essaie d’être progressif et en ajoutant aussi un peu plus de renforcement musculaire. Sinon la préparation ressemblait globalement à ce qu’on a pu faire pour les deux autres marathons (2h30’27 à Valence le 4 décembre 2022 puis 2h26’55 à Amsterdam le 15 octobre 2023)

— Racontez nous ce stage à Monte Gordo (Portugal) ? Toutes les conditions étaient réunies pour bien travailler ?

Méline réside dans le nord de la France et les conditions climatiques du mois de décembre et celles de début janvier n’étaient pas très favorables à l’entraînement. Donc il a été décidé d’aller à Monte Gordo. Il était initialement prévu qu’elle réalise ce stage au Kenya, mais on a changé d’avis pour diverses raisons, essentiellement d’un point de vue logistique. Méline connaît très bien Monte Gordo, c’était plus simple sur place pour elle car elle était seule sur ce stage. Pour les deux autres préparations pour Valence en 2022 et Amsterdam en 2023, Méline était avec du monde autour d’elle. Elle avait pu bénéficier d’un accompagnement surtout sur les sorties longues. La difficulté était là cette fois-ci mais Méline est forte, c’est une de ses grandes qualités, c’est qu’elle est forte mentalement et donc la plupart des séances se sont très bien passées.

« Méline est capable de réaliser les mêmes performances que ses camarades de l’équipe de France, j’en suis convaincu »

— Que peut-elle espérer en termes de chrono dimanche à Séville ?

Je ne vais pas trop m’avancer sur les chronos. Je veux dire que forcément Méline va vouloir faire mieux que 2h25’45. C’est vrai qu’on a un schéma de course mais je ne vais pas trop en parler là par superstition. 

— L’objectif est tout de même plutôt clair…

Il est défini mais on ne va pas se mettre trop de pression en parlant puis en faisant réagir. Méline partira pour faire moins 2h25’45 et puis essayer de mettre la barre le plus bas possible parce que on sait très bien que derrière, toutes les filles qui feront même une seconde de moins prendront la place.

— Les places sont effectivement chères pour cette olympiade…

Les places sont bien plus chères que ce que tout le monde pensait avant le Marathon de Valence. Personne ne s’attendait à ce qu’il y ait quatre filles qui fassent les minima à Valence.

— Comment avez-vous réussi à gérer justement ce « changement de niveau » assez soudain, notamment dans votre approche de l’entraînement ?

On a d’abord analysé la course d’Amsterdam où Méline n’a pas eu de chance. Les conditions climatiques étaient très défavorables, jusqu’au semi ça a été puis lorsqu’il a fallu remonter le long du canal, il y a eu 7 à 8 km de vent de face. Les conditions étaient horribles mais ils n’ont pas perdu de temps dans cette partie-là car ils ont compensé. Seulement ce n’est peut-être pas une bonne chose à faire parce qu’après bien sûr c’était redevenu plus favorable, mais il y avait eu une grosse déperdition d’énergie lorsqu’ils ont maintenu le rythme avec le vent de face, et c’est cette énergie qui a manqué à la fin. Il n’y a pas de regret car, quoi qu’il arrive, Méline n’était pas partie pour faire 2h25’45, elle était plus sur 2h26’30 à ce moment-là. Je n’aurais pas changé grand-chose mais l’analyse avait montré sur un parcours un peu plus difficile qu’à Valence, dans des conditions difficiles, elle était dans cette zone de qualification.

— Deux semaines avant Amsterdam, Méline s’était aussi mise en évidence aux Mondiaux de semi-marathon à Riga (Lettonie) le 1e octobre avec une 18e place en 1h10’35, on imagine que ça avait dû la mettre en confiance… 

Méline avait été la meilleure Française de la course tout en n’ayant quasiment pas levé le pied de la semaine. On était à 15 jours de l’événement, on ne pouvait pas se le permettre. Méline est capable de réaliser les mêmes performances que ses camarades de l’équipe de France, j’en suis convaincu.

« J’ai confiance en ses capacités à être forte le jour J »

— Vous avez donc pleinement confiance en le potentiel de Méline ?

Oui totalement ! L’analyse qu’on peut faire des bilans mondiaux en regardant les filles qui se sont qualifiées, il y a pas mal de filles qui ont des références qui ne sont pas meilleures que Méline, voire même moins bonnes que Méline sur le semi-marathon, ou 10 km. Je pense qu’elle a le profil pour le marathon et c’est important pour moi, si toutes les conditions sont réunies bien sûr. S’il n’y a pas de problème, c’est une marathonienne donc elle est capable de tenir. On l’a analysé très tôt depuis que j’ai commencé à l’entraîner en fin de cadettes. Méline a un profil à être de plus en plus performante, plus la distance augmente, c’est vraiment une de ses caractéristiques. Et une autre de ses caractéristiques est sa force mentale comme elle l’a montré à Amsterdam où ça devenait très dur physiquement mais elle n’a perdu qu’une demi seconde par km (voir le détail), ce qui est vraiment très peu, alors qu’elle peinait physiquement.

— Effectivement elle a une grande force mentale…

Oui même dans la réalisation de tous ses entraînements, Méline est forte. Elle ne rate aucun entraînement sauf si bien sûr elle est blessée ou malade. Mais elle ne peut pas reporter un entraînement et si elle le reporte, c’est qu’il y a une raison physique. Donc j’ai confiance en ses capacités à être forte le jour J, s’il n’y a pas de souci physique.

— Comment comptez-vous exploiter pleinement son potentiel dans les prochaines années ?

On discute énormément de ce qu’elle va faire. Je pense qu’on aurait tort de faire que du marathon dans les prochaines années. Redescendre sur du 10 km, voir un peu de piste sur 5000 m, avec un ou deux semi-marathons dans la saison ça serait bien. Après c’est vrai que si Méline fait les minima olympiques, elle risque de faire aussi les minima pour les Championnats du monde et se posera alors la question de cette échéance. C’est intéressant donc tout ça va rentrer en ligne de compte mais on aura une discussion ensemble. Pour le reste, il faudra redescendre en dessous, essayer d’aller s’amuser un peu sur la piste, sur des 10 km. 

— Vous souhaitez donc revenir à des disciplines plus courtes et au notamment cross, une discipline qu’elle apprécie particulièrement, pour continuer à progresser sur marathon ?

L’idée est quand même de poursuivre sur marathon mais sans forcément se focaliser dessus en se disant « tous les ans je dois faire un marathon et il faut que je sois performante ». On a cette envie de progresser et revenir sur du plus court ce qui l’aidera à progresser.

« J’ai d’ailleurs entraîné son papa qui a été champion de France masters sur piste »

— Vous êtes le coach de Méline depuis 2015. Êtes-vous fier de sa progression linéaire depuis que vous l’entraînez ?

Bien sûr c’est une c’est une grande satisfaction et une grande fierté. Quand j’ai commencé à l’entraîner, Méline faisait essentiellement du 3000 m et elle faisait déjà des grosses performances et des podiums nationaux, en cadette notamment avant que je l’entraîne. Elle a aussi été vice-championne de France juniors derrière Mathilde Sénéchal sur 3000 m. Et c’est vrai qu’elle a tous les ans progressé, sauf une saison où elle a été arrêtée deux mois pour un syndrome rotulien il me semble, elle a globalement battu ses records à chaque saison. Il faut savoir que Méline a toujours privilégié ses études et j’étais en accord totalement avec elle, et les gros progrès qu’elle fait dernièrement sont également dus au fait qu’elle a terminé ses études. Méline est une brillante étudiante, elle a d’ailleurs été major de promotion en licence, puis ensuite elle a fait son master sur Lille en étant également très bien classée. Et elle n’a jamais eu d’adaptation, d’examen déplacé pour pouvoir aller en compétition alors que les athlètes de haut niveau peuvent le demander. Cela montre qu’elle sait s’organiser et que les études étaient aussi entre guillemets plus importantes que l’athlétisme. Donc oui, il y a une très grande fierté d’avoir réussi à mener tout ça.

— Il y a donc une belle collaboration entre vous aussi…

Bien sûr oui et en accord avec ses parents. J’ai d’ailleurs entraîné son papa qui a été champion de France masters sur piste.

— Est-elle l’athlète la plus talentueuse que vous avez entraîné ?

Je pense avoir eu des athlètes très talentueux mais qui n’avaient pas ce qu’il fallait pour être talentueux dans différents domaines, si on parle d’un point de vue physique. Je pense qu’il faut plusieurs qualités pour être un champion donc forcément des qualités physiques naturelles mais aussi la persévérance, de l’organisation et du mental. J’ai eu certains athlètes qui avaient une partie de ces qualités mais il faut toutes les avoir. Si on est simplement doué physiquement, on n’y arrive pas. Si on est très organisé et qu’on est moins doué, on progressera mais on ne viendra pas à ce niveau de performance. Mais Méline regroupe un peu toutes ces qualités. Le talent physique bien sûr, puisqu’elle a gagné des courses dès qu’elle a commencé à courir. Plus le mental, l’organisation ça aide bien et c’est aussi quelqu’un de très intelligent. Et si elle est prête physiquement, elle ne se rate rarement. C’est pour moi une force mentale qu’elle a, car on peut rater une compétition quand on n’est pas prêt physiquement, c’est déjà arrivé. Mais quand elle est prête physiquement c’est rare qu’elle se rate.

— On en conclut d’après vos propos que c’est une athlète facile à entraîner ?

Oui très facile, surtout à partir du moment où Méline a confiance et je pense que c’est vraiment le maître mot. À partir du moment où elle a confiance, elle sait que je vais tout faire au niveau de l’entraînement pour l’accompagner, parce que j’essaie d’intervenir dans différents domaines mais on s’est mis d’accord par exemple pour contacter un préparateur physique. Il est bien intervenu dans la préparation et on est notamment été le chercher car c’est le même préparateur que celui de Félix Bour, également marathonien. Donc Méline a confiance en moi et moi j’ai confiance en elle. Par exemple, sur une séance de 1000 m, elle ne va pas essayer d’aller plus vite que l’allure donnée. Si c’est le cas, on en parle et on anticipe, puis on voit surtout par la compétition si c’est validé. Donc oui, c’est quelqu’un de très facile à entraîner.

— Vous évoquez régulièrement la grande force mentale de Méline, et vous évoquez également avoir pris un préparateur physique. Est-ce que vous avez recours à un préparateur mental pour Méline ?

Cette force mentale, c’est naturel chez Méline. On a eu des propositions pour ce type d’accompagnement mais on n’en a pas ressenti le besoin pour le moment, enfin surtout elle. Peut-être qu’un jour on y aura recours mais pour l’instant ce n’est pas le cas car on n’en a pas besoin. C’est peut-être idiot ce que je veux dire mais pourquoi semer le doute ? Pourquoi commencer à s’interroger ? Peut-être dira-t-on qu’on pourrait anticiper mais en ce moment il n’y a pas eu de besoin. Elle reste relativement entre guillemets cool. Méline arrive elle-même à relativiser et ça reste que du sport malgré tout. À Amsterdam par exemple, elle était un peu déçue mais j’étais plus déçu qu’elle.

« On y investit beaucoup d’énergie »

— Une qualification olympique sur marathon serait l’aboutissement de près de dix ans de travail ensemble…

On en a discuté parce que, quoi qu’il arrive, l’objectif est de faire la course comme on espère. Derrière, ça ne dépend plus de nous, on n’a vraiment pas les cartes entre nos mains. La seule possibilité pour nous, c’est de mettre la barre très haut, faire un très bon chrono qui ne sera pas dépassé par les autres. On ne recourra pas car on ne pourrait pas recourir dans deux mois, la santé physique est plus importante que la qualification olympique. On ne va pas prendre le risque à 25 ans de faire quatre marathons en moins d’un an. On rebondira, on sera satisfait si elle fait bien sûr une belle course. Bien sûr qu’il y aura de la déception si finalement elle n’est pas qualifiée mais on ne contrôle pas cette partie-là. Le projet date d’il y a quatre ou cinq ans de monter sur marathon pour préparer cette échéance, c’est quelque chose dont on avait discuté et planifié l’arrivée sur cette distance, donc c’est certain qu’il y aurait de la déception.

— Quel est votre plus beau souvenir d’entraîneur avec Méline pour l’instant ?

Celui qui m’a procuré entre guillemets peut-être le plus d’émotion, c’est le titre de championne de France juniors par équipes de cross-country en 2017 à Saint-Galmier. Avec Méline qui avait fait troisième, Marie et Lucie Nivet qui avaient fini 10e et 11e, Ange Branders 23e et Eva Gaspard 67e. C’était notre premier titre et, j’en reviens encore au collectif mais c’est probablement celui qui m’a le plus ému. J’ai été un peu formaté par mes entraîneurs sur l’importance du collectif donc c’est pour ça que j’y reviens, mais les athlètes le savent que j’accorde une place très importante aux compétitions d’équipe.

— C’est une belle mentalité pour des athlètes de haut niveau…

Méline a adoré participer aux Championnats de France d’Ekiden à Marseille en novembre dernier. C’était peu de temps après son marathon donc elle était encore en période de reprise, mais elle l’a fait avec ses copains et sa meilleure amie que j’entraîne également. Méline a adoré passer le week-end et obtenir avec eux une médaille de bronze. Elle a cet esprit collectif même si on est bien d’accord qu’on privilégie sa carrière de sportive de haut niveau. Mais elle peut également être au service de son club.

— Vous avez hâte de vivre cette année 2024 ô combien importante ?

J’ai hâte d’être au dimanche 18 février déjà, j’espère bien avant onze heures ! C’est vrai qu’on y pense beaucoup et qu’on y investit beaucoup d’énergie. Je serai avec Méline à Séville dimanche, alors que tous mes athlètes seront aux Pré-France de cross-country. C’est la première fois que je ne serai pas là. J’ai bien évidemment organisé le relais sur place mais c’est la première fois que je ne serai pas aux côtés du collectif. Seulement l’objectif est tellement grand, il faut que je sois au côté de Méline pour sa qualification et tous les athlètes le comprennent sans problème.

  • Le départ du Marathon de Séville 2024 sera donné ce dimanche 18 février à 8h30.

Propos recueillis par Sarah Ali 
Crédits photos : Mathis Savoyat / KIPRUN

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