Jean-Claude Vollmer : « Tigist Assefa a fini comme une coureuse de 800 m au Marathon de Berlin »

26 septembre 2023 à 18:20

Tigist Assefa a laissé tout le monde sans voix dimanche lors du Marathon de Berlin en coupant la ligne d’arrivée en 2h11’53, pulvérisant le record du monde de plus de deux minutes. Pour Stadion, Jean-Claude Vollmer, entraîneur du recordman de France Morhad Amdouni et l’un des meilleurs analystes nationaux des longues distances, décortique la performance de l’Éthiopienne dans la capitale allemande.

Impressionnant ! Époustouflant même ! Tigist Assefa a fait entrer le marathon féminin dans une nouvelle dimension en réalisant un chrono démentiel de 2h11’53 sur le macadam berlinois, soit deux minutes et onze secondes plus rapide que le précédent record du monde de Brigid Kosgei (2h14’04 en 2019). Beaucoup de spécialistes n’hésitent pas à en faire l’une des performances les plus folles de toute l’histoire de l’athlétisme. Un chrono à ranger illico dans la catégorie des marques de légende, comme les 9″58 du Jamaïcain Usain Bolt sur 100 m ou des 8,95 m en longueur de Mike Powell en longueur. Plusieurs paramètres définissent le chrono de Tigist Assefa.

Réduction de l’écart de performance entre les hommes et les femmes

Aux premiers abords, les 2h11’53 de la fondeuse coachée par Gemedu Dedefo peuvent être extrêmement surprenantes mais suivent une réduction de l’écart de performance entre les deux sexes depuis plusieurs années. En moyenne les records mondiaux féminins en athlétisme se situent à environ 90% de ceux des hommes. Ici on est à 91,86%. Référence française dans l’entraînement du marathon, Jean-Claude Vollmer est impressionné mais pas surpris par le résultat de Tigist Assefa. « Je ne pensais pas que ça aurait lieu si rapidement. L’entrée du marathon dans le concert international avait beaucoup de retard par rapport au marathon masculin. Le premier marathon féminin aux JO s’est déroulé en 1984 à Los Angeles. Avant, on ne considérait pas les femmes comme capables de parcourir les longues distances. Il était évident que le marathon féminin allait progressivement rattraper ce retard. Beaucoup de physiologistes ont expliqué que les femmes allaient considérablement réduire la marge avec les hommes. C’est une évolution logique mais c’est la manière qui interpelle. »

Le temps canon de Tigist Assefa fait rêver beaucoup d’hommes qui ne pourront jamais atteindre ces sommets de performances. Seulement 37 Français ont couru plus vite que l’Éthiopienne dans l’histoire. « Là où ça perturbe un peu l’esprit, c’est que Tigist Assefa a réalisé exactement le même chrono que Paul Arpin (2h11’53 en 1996 à Reims), troisième aux Mondiaux de cross-country en 1987 et septième des JO de Séoul en 1988 sur 10 000 m. Elle fait juste une seconde de plus que le record du Franco-Suisse Julien Wanders (2h11’52 à Paris en 2022, recordman d’Europe du 10 km en 27’13 et du semi-marathon en 59’13). Pour beaucoup des meilleurs français qui s’entraînent tous les jours, ça doit être déstabilisant. Je me suis amusé à regarder ce que les 2h11’53 valent au niveau des meilleures performances mondiales de l’histoire chez les masculins. Elle se hisse à la 2418e place. Si on regarde sur les autres disciplines, à quoi correspondrait une 2418e place, c’est du 1’47″70 au 800 m, 3’40 au 1500 m, 13’36 au 5000 m, 28’24 au 10 000 m. »

Un gain exceptionnel de deux minutes

2h11’53 au marathon, soit une vitesse moyenne de 19,2 km/h, pour une allure à 3’08 au kilomètre. Des chiffres qui paraissent hallucinants pour les nombreux amateurs de course à pied. « Le saut qualitatif de 2’11 est aussi impressionnant (2h11’53 contre 2h14’04). Maintenant, je ne pense pas qu’il y aura d’aussi grands sauts dans le futur. À titre de comparaison ces dernières années, le plus gros saut (1’18) sur un record du monde sur marathon était les 2h01’39 d’Eliud Kipchoge en 2018 à Berlin (2h02’57 par Dennis Kimetto en 2014 à Berlin), c’était déjà énorme. On a toutefois déjà connu ce genre de gain (1’53) avec Paula Radcliffe lorsqu’elle est passée de 2h17’18 (2002 à Chicago) à 2h15’25 (2003 à Londres) ». Ensuite, pendant 16 ans, le record de Paula Radcliffe est resté indemne, jusqu’aux 2h14’04 (1’21 de gain) de Brigid Kosgei à Chicago en 2019.

Un effort progressif

Ce qui rend la performance de Tigist Assefa singulière, c’est sa capacité à maintenir un rythme effréné tout au long des 42,195 km. Ses premiers 10 km, négociés en 31’45, ont été rapides. Pourtant, c’est la partie de sa course qui s’est avérée la plus lente. Elle a ensuite accéléré la cadence en parcourant les trois sections de 10 km suivantes en 31’07, 31’20 et 31’01. Son temps sur le premier semi-marathon de 1h06’20, bien qu’incroyablement rapide, n’est pas totalement sans précédent dans un marathon féminin (Ruth Chepngetich avait réalisé un passage à mi-parcours en 1h05’44 à Chicago en 2022, 2h14’18 à l’arrivée). Sa deuxième moitié a été encore plus rapide en 1h05’33, un temps que seules quatre femmes ont réalisé cette année sur semi-marathon. « Sur marathon, c’est généralement la régularité de l’allure que l’on recherche avec un petit coup dans les derniers kilomètres s’il en reste mais là Tigist Assefa a accéléré à partir du semi et ça n’a pas arrêté de monter. Elle a réalisé un negativ split progressif (seconde partie de course plus rapide que la première, ndlr) », poursuit Jean-Claude Vollmer.

Une fin de course hallucinante 

Les derniers 2,195 km de Tigist Assefa ont été bouclés en 6 minutes et 40 secondes, soit quatre secondes moins rapide qu’Eliud Kipchoge (6’36) sur cette portion. Elle a terminé avec près de six minutes d’avance sur sa dauphine, la Kényane Sheila Chepkirui (2h17’49). « Ce qui m’a surpris, c’est cette magnifique dernière ligne droite. Tigist Assefa a fini comme une coureuse de 800 m au Marathon de Berlin avec un placement incroyable et en état d’équilibre cardio-respiratoire. On peut se dire qu’elle aurait pu faire mieux. »

Une foulée puissante

Tigist Assefa affiche une foulée puissante qui ne s’est qu’à peine dégradée tout au long du marathon, soutenant son allure plus facilement et plus longtemps. « C’est un modèle à montrer dans toutes les écoles d’athlétisme. Je suis subjugué par la qualité de sa foulée. C’est très joli, elle a des qualités neuromusculaires de force et de pied incroyables. Avec la fatigue, on réduit la fréquence et l’amplitude, là c’est tout le contraire. Une foulée extraordinaire, de la force musculaire. C’est une athlète qui arrive avec des qualités que l’on n’a pas l’habitude de voir chez les marathoniennes. »

Une transition du 800 m au marathon réussie

Il est peu dire que Tigist Assefa a connu un parcours atypique en course à pied. Dotée d’une bonne vitesse, elle se concentre sur 400 et sur 800 m au début de sa carrière (record personnel à 1’59″24 sur 800 m en 2014, éliminée dès les séries aux Mondiaux en salle de Portland en 2016 et aux JO de Rio en 2016). En 2012, à l’âge de 15 ans, elle représente l’Éthiopie sur 400 m et 4×400 m aux Championnats d’Afrique seniors à Porto Novo. Un an plus tard, elle remporte le bronze sur 800 m et l’argent sur 4×400 m aux Championnats d’Afrique U20 à Bambous. En 2018, sa progression commence à s’essouffler en raison de blessures causées par l’utilisation fréquente des pointes et Tigist Assefa décide de bifurquer sur la route. Ses premières apparitions sur le macadam sont discrètes (10 km à Dubaï en 2018 en 34’35). En 2019, avec plus de kilomètres au compteur, elle abaisse son record sur 10 km à 31’45 et signe un prometteur 1h08’24 pour ses débuts sur semi-marathon à Valence.

Galop d’essai sur marathon pas convaincant en 2022

La crise sanitaire en 2020 a perturbé sa progression mais Tigist Assefa, hors de forme, réalise ses débuts sur marathon à Riyad (Arabie saoudite) le 5 mars 2022, avec un temps de 2h34’01. « Son premier marathon n’est pas passé mais je pense que ça ne l’a pas perturbée pour autant. La preuve, au prochain coup, c’est passé (2h15’37 à Berlin le 25 septembre 2022). Ces coureurs ont une approche non limitative de l’effort. Ils s’entraînent en groupe et généralement les athlètes novices s’entraînent avec des athlètes qui ont déjà réalisé plusieurs marathons. Ce ne sont pas des athlètes qui se mettent forcément de limites. »

Loin d’être une illustre inconnue, l’Éthiopienne de 26 ans, qui a remporté les 10 km de la Corrida de Langueux (Bretagne) en 30’52 en 2022, avait établi un nouveau record du Marathon de Berlin en 2h15’37 pour sa deuxième expérience sur la distance l’an passé. « J’avais un peu de scepticisme l’an dernier lorsqu’elle a réalisé 2h15’37 puisqu’elle arrivait sur la scène internationale. J’ai suffisamment écrit sur le sujet, la transition du 1500 m au marathon est un processus long qui n’est pas évident, alors du 800 m au marathon, c’est encore tout à fait nouveau, » glisse Jean-Claude Vollmer. Son entraîneur Gemedu Dedefo a toujours cru que sa protégée possédait le potentiel pour battre le record du monde, à condition que son corps continue de la laisser tranquille, et sa performance à Berlin a confirmé sa conviction. Tigist Assefa a annoncé à l’arrivée s’être préparée spécifiquement pendant six mois pour le marathon de Berlin 2023.

Les adidas ADIZERO Adios Pro Evo 1 aux pieds

Pour battre un record du monde sur marathon, il faut que toutes les conditions soient réunies et que toutes les planètes soient alignées : parcours, conditions météo, forme du jour… mais il y a aussi un nouveau paramètre à prendre en compte : la chaussure de running. L‘accélération brutale des performances a une nouvelle fois attiré le regard du grand public sur le phénomène des chaussures recourant au carbone. Tigist Assefa était équipée des adidas ADIZERO Adios Pro Evo 1, une chaussure de running performance qui pèse seulement 138 g et est la plus légère de la marque allemande à ce jour. 

À titre de comparaison, sa grande sœur, l’Adizero Adio Pro 3, pointe à 238 g au compteur. 100 grammes séparent donc ces deux paires de chaussures. Imaginez le nombre de kilos que cela représente si l’on additionne les foulées et les kilomètres parcourus. De 100 grammes sur la balance, on passe à plusieurs kilos sur un marathon et ce sont ces détails qui peuvent faire battre des records. « Il y a un petit gain forcément mais je ne peux pas le quantifier. Tu multiplies 100 grammes par 24 000 foulées, ça fait du poids. »

La adidas ADIZERO Adios Pro Evo 1 était d’ailleurs disponible à la vente (tirage au sort) depuis ce mardi sur l’application de la marque aux trois bandes. Pour s’offrir l’un des modèles les plus importants de cette rentrée, il faut compter 500 euros, soit 200 euros de plus que les modèles les plus chers qui sont positionnés sur le créneau de la chaussure de running performance. Il s’agit d’ailleurs de la chaussure de running la plus chère jamais commercialisée au grand public.

Favorite aux JO de Paris 2024 ?

Si les 2h11’53 de Tigist Assefa vont élargir le champ des possibles dans le monde de la course à pied, ses performances seront scrutées de près : « Maintenant, elle sera attendue et on va la regarder différemment ». L’Éthiopienne a déjà dans le viseur le marathon des Jeux olympiques de Paris 2024. « Pour moi, elle n’est pas sûre de gagner les JO de Paris 2024 en raison du tracé vallonné qui rebat toutes les cartes, et qui sur certaines parties, musculairement, va être une horreur, en plus de la chaleur. Ce qui est intéressant, c’est comment elle pourrait s’attaquer au record du monde du marathon dans une course exclusivement féminine (2h17’01 par la Kényane Mary Keitany en 2017 à Londres) », conclut Jean-Claude Vollmer.

Tigist Assefa – Berlin 2023

Par semi-marathon :

  • Premier semi : 1h06’20
  • Deuxième semi : 1h05’33

 

Par 10 km

  • 10e km : 31’45
  • 10e au 20e km : 31’07 (1h02’52)
  • 20e au 30e km : 31’20 (1h34’12)
  • 30e au 40e km : 31’01 (2h05’13)

 

Par 5 km

  • 05 km : 15’59
  • 10 km : 15’46 (31’45 au total)
  • 15 km : 15’41 (47’26 au total)
  • 20 km : 15’26 (1h02’52 au total)
  • 25 km : 15’48 (1h18’40 au total)
  • 30 km : 15’32 (1 h34’12 au total)
  • 35 km : 15’29 (1h49’41 au total)
  • 40 km : 15’32 (2h05’13 au total)
  • 42,195 km (2,195 km) : 6’40 (2h11’53 à l’arrivée)

 

Temps de passage global

  • 5 km : 15’59
  • 10 km : 31’45
  • 15 km : 47’26
  • 20 km : 1h02’52
  • Semi : 1h06’20
  • 25 km : 1h18’40
  • 30 km : 1h34’12
  • 35 km : 1h49’41
  • 40 km : 2h05’13
  • 42,195 km : 2h11’53 

 

Crédits photos : adidas Running

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