Kevin Mayer : « Enchaîner deux décathlons en championnat et deux médailles d’or, c’est quelque chose qui n’a jamais été fait »

13 août 2022 à 20:36

Comme à l’accoutumée avant un décathlon majeur de Kevin Mayer, Stadion s’est rendu au traditionnel point presse pour découvrir la forme et les ambitions du recordman du monde, aux Championnats d’Europe de Munich. Le combinard tricolore de 30 ans se lance, les lundi 15 et mardi 16 août 2022, dans l’un des plus grands défis de sa carrière : remporter une deuxième médaille d’or en trois semaines. L’euphorie de son sacre aux Mondiaux de Eugene est retombée depuis et il aborde ce rendez-vous continental avec envie mais prudence.

 

Kevin, depuis les Mondiaux de Eugene, comment allez-vous ?

L’euphorie est descendue petit à petit. Franchement je ne vais pas vous le cacher, je suis un peu dans le mal. Plus l’euphorie descend après des championnats, plus c’est dur de se remobiliser. La sélection pour Munich sortait une semaine après Eugene, donc il y avait encore de l’euphorie, et j’ai fait de bonnes séances d’entraînement à ce moment-là, mais j’avoue que plus l’euphorie est descendue, plus ça a été dur. Je fais beaucoup de récup, et pas beaucoup d’athlétisme : j’essaie de tout faire pour me donner l’opportunité d’aller chercher un exploit : enchaîner deux décathlons en championnat et deux médailles d’or, c’est quelque chose qui n’a jamais été fait. La hauteur de l’exploit va avec les risques de blessure, c’est vrai qu’au vu des objectifs d’après, je ne prendrais pas le risque de finir le décathlon quoi qu’il arrive.

 

Avez-vous douter sur la décision que vous avez prise ?

Ce n’est pas douter. J’ai mis tout de mon côté pour récupérer. Maintenant, on le sait, je suis capable d’aller chercher très très loin physiquement et émotionnellement, parce que j’arrive à me transcender. C’est à double tranchant, c’est à dire qu’au niveau récup, je sais que je suis moins bien que les autres décathloniens pendant plus longtemps. Donc, les autres travaillent, vont en enchaîner et bah moi je fais des pics de décathlon, mais j’ai plus de mal à les enchaîner. Les enchaîner, c’est un vrai challenge pour moi, je ne m’étais pas persuadé totalement que j’allais le faire. Après, je me suis chauffé quand même parce que j’ai fini le décathlon sans blessures donc forcément je me suis dit, vu les bilans, il va falloir faire 8500 ou 8600 points pour gagner. C’est sûr que c’est 200 points de marge par rapport à mon décathlon des Mondiaux de Eugene qui n’était pas non plus exceptionnel. Ça me laisse quand même espérer.

 

Vous partez pour votre deuxième décathlon en trois semaines…

J’avoue qu’aujourd’hui il y a un peu la frayeur de me blesser et d’impacter un peu sur les saisons prochaines. C’est pour ça que je suis vraiment à l’écoute de mon corps. Demain matin, je fais les départs en start au stade de compétition, donc c’est là qu’on verra un peu plus ma forme. Là, je vais dans l’inconnu, tout simplement. Deux décathlons en trois semaines, je ne l’ai jamais fait. Deux championnats en trois semaines, c’est pratiquement du jamais vu. Déjà un décathlon, c’est pas loin de ne pas être humain donc de les enchaîner. Comme je le dis souvent, je suis à 120%. Quand je vois les autres décathloniens, on dirait qu’ils sont résignés dans leur décathlon. C’est vrai que moi, je suis plus à fleur de peau et je vis le truc à fond. C’est peut-être ça aussi qui me permet de faire des performances quand il faut réussir à être champion du monde parce que ce n’est pas gagné, que ce soit à la perche ou sur les haies où j’ai failli tomber. Je pense que cette capacité à me relever à chaque fois et aller chercher les perfs qu’il faut pour être champion du monde m’ont vraiment coûté, aujourd’hui, je le paye, mais je regrette pas de le payer, donc je suis ici avec beaucoup de bonnes intentions. Mais je sais aussi avoir du recul et me dire que les championnats d’Europe, c’est moins important que les championnats du monde, tout simplement et j’ai été champion du monde, ça ne changera pas grand-chose à ma saison si j’arrête maintenant.

 

Le fait de ne jamais avoir été champion d’Europe a-t-il pesé dans la balance ?

Quand tu es double champion du monde (silence). Je n’ai jamais été champion de France Elite donc, si on part dans cette direction là, est-ce que ça me pèse ? Pas vraiment. Ça, c’est une histoire d’ego. C’est une histoire de vouloir rafler des médailles juste pour se dire qu’on les a faites. Je fais de l’athlé pour vivre des choses. C’est vrai que si je fais un décathlon en demi-teinte, même si je suis sur les bases de faire une médaille, j’avoue que si je fais 10″75 au 100 m, 7,30 m en longueur et 15,30 m au poids, je serai dégoûté. Je me connais, je ne peux pas faire un décathlon à moitié et c’est pour ça que là j’arrive dans un décathlon, avec une configuration jamais connue d’avoir le maillot de l’équipe de France et de ne pas réellement pouvoir tout donner, donc je sais pas quelles vont être les réactions, quelles vont être mes attentes et quel va être le résultat à chaque fois. Si ça se trouve je vais être super en forme donc j’ai quand même un peu de chance.

 

Vous dites que vous êtes mal physiquement, est-ce un état global, ou des douleurs qui se sont réveillées, ce sont des endroits précis ?

Alors, pour être honnête, les tendons d’Achille vont bien franchement et ça, c’est une belle victoire. C’est plutôt au dernier lancer du javelot à Eugene. J’ai voulu lancer très loin pour m’assurer la médaille, j’ai fait une petite erreur technique qui m’a explosé l’épaule. J’ai bien fait de la rééducation dessus. Je pense que je vais pouvoir lancer sans avoir mal. Mais je pense que j’aurai le droit à un essai. Après il y a des tensions de fatigue, c’est général. Je sens mes deux ischios tendus, je sens le dos un peu tendu, enfin plein de choses un peu tendues. C’est sûr que niveau confiance d’un point de vue physique, ce n’est pas ouf. Après d’un point de vue confiance sur les réglages, quand tu as fait un décathlon, c’est sûr que c’est bien.

 

Vous disiez tout à l’heure qu’enchainer deux décathlons en 3 semaines, ce n’est pas anodin. Arrêter un décathlon avec le maillot de l’équipe de France, ce ne l’est pas non plus. Si jamais vous devez prendre la décision d’arrêter, comment ça se passe ?

Arrêter un décathlon avec ce maillot de l’équipe de France, ça m’est déjà arrivé. C’est vrai que j’étais allé au bout de moi-même parce que c’était l’objectif de l’année et franchement, par la suite, j’ai même regretté. Donc avec l’expérience que j’ai, je dirais qu’il faut connaître ses objectifs, tout simplement. Il y a les championnats du monde l’année prochaine, il y a les Jeux olympiques dans 2 ans. Je suis sur une pente ascendante : il y a deux mois et demi je ne pouvais pas courir, et là je suis champion du monde. Ce n’est pas pour un championnat d’Europe que je vais me mettre dans le gouffre et prendre des risques sur les saisons d’après. Je sais que porter le maillot de l’équipe de France, c’est quelque chose. C’est sûr que d’arrêter un décathlon quand tu es en équipe de France, c’est une responsabilité que j’assumerai totalement parce que bon, je pense avoir quand même sauver les meubles un peu au championnat du monde, donc à un moment donné, j’ai réussi ma saison, c’est que du bonus. Donc le bonus, il ne faut pas qu’il se transforme en malus pour la suite, c’est tout. Toute la fédé est au courant j’en ai parlé avec Romain Barras, j’en ai parlé avec le médical de la FFA. Ils sont tous derrière moi en me disant : « ça serait totalement bête d’aller au bout du décathlon si c’est pour boiter pendant ». Puis, en même temps, quand on a une blessure dès le début du décathlon, même si on tente d’aller jusqu’au bout, on a vu à Doha que ça ne marchait pas.

 

Que peut-on vous souhaiter dans ce décathlon ?

Il faut juste que j’arrive à être lucide sur mon envie de terminer ce décathlon et de réussir à écrire encore une nouvelle page de l’histoire du déca, et de ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre, à faire ce dont je ne suis pas prêt à encaisser. C’est sûr qu’en trois semaines, je sais que j’ai pas du tout récupéré physiquement, les autres décathloniens non plus. On est dans le même bateau, mais bon, ils n’ont pas fait un décathlon à 8800 points. J’ai tendance à dire que plus je suis arrivé à des totaux hauts dans ma carrière, plus c’était fatiguant. Lors de mon record du monde, j’étais fatigué après le poids, très fatigué même. Je sais qu’ils ne l’envisagent pas comme je l’envisage. Je suis allé chercher cette médaille et j’avoue qu’elle pèse encore, mais comme je dis là, je prends vraiment à l’instant présent. J’ai vraiment envie de me faire plaisir, mais ce n’est pas à travers la douleur que je me ferais plaisir donc il va falloir être attentif et faire en fonction du 100 m. Si je fais le 100 m et que je ne fais pas de grimace, normalement c’est un très bon signe. Vous êtes prévenus !

 

— Il y aura un autre décathlonien français à vos côtés, Baptiste Thiery. Est-ce un plus pour vous ?

Ça me fait plaisir d’être là parce que ce sont les Europe, et que je suis avec Baptiste Thierry qui fait son premier décathlon en équipe de France. Ça faisait très longtemps que je n’avais pas eu quelqu’un avec moi au décathlon. Et partager un décathlon avec un autre français, c’est quelque chose d’incroyable. Je sais à chaque fois que c’est  un lien d’amitié qui se crée et qui n’est pas pareil que les autres liens d’amitié. Je l’avais vu avec Gaël Quérin, Florian Geffrouais ou encore Bastien Auzeil.

Stadion a conçu un guide complet rien que pour vous, qui vous permettra de suivre au plus près le rendez-vous continental (sélection tricolore, programme TV en direct, programme des épreuves, résultats et nos plus beaux clichés des Bleus). Bonne compétition en notre compagnie !

Propos recueillis par Gaëlle Mobuchon
Crédit photo : Élyse Lopez

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