La Diagonale des Fous a livré son verdict, vendredi soir au stade de La Redoute à Saint-Denis. Au terme d’un mano à mano exceptionnel avec Jean-Philippe Tschumi (23h20’06), le Français Beñat Marmisolle (23h14’47) a finalement inscrit son nom au palmarès de l’un des courses les plus dures au monde. Chez les féminines, l’Américaine Courtney Dauwalter a créé la sensation en enlevant une historique quatrième place au scratch (24h37’47). Récit de notre reporter Emeline Pichon en direct de l’île de La Réunion.
Benat Marmisolle, au bout de l’effort
Médaillé de bronze l’an dernier sur la même épreuve (165 km et 10 217 m de dénivelé positif), Beñat Marmisolle avait à cœur, cette fois-ci, de grimper les échelons pour monter sur la plus haute marche du podium. Parti en tête dès le début, l’athlète basque était rapidement rejoint par Jean-Philippe Tschumi au deuxième tiers de la course. Il fallait alors attendre la dernière descente du Colorado pour que le futur vainqueur ne prenne le large, à l’issue d’un spectacle haletant. « On avait dit que la descente on la ferait chacun à notre rythme. Parce que de toute façon, finir ensemble comme avaient fait Ludo et Daniel l’année dernière, ce n’était plus possible avec le règlement, regrette l’athlète du team Asics. Je suis plutôt un bon descendeur, mais quand on vient de faire autant de kilomètres, surtout dans un terrain très difficile comme à La Réunion, c’est compliqué ! Elle fait mal cette descente… Après, il faut dire que Jean Philippe et moi, on fait un énorme chrono sur un parcours qui a été bien rallongé, bien plus difficile. Quand on voit le chrono qu’on fait, on peut être satisfait de notre course. C’est une course, je pense, très aboutie. »
La victoire inédite de Beñat Marmisolle sur cette Diagonale des Fous vient conclure une saison pleinement réussie, après sa médaille d’or à la Restonica Trail en juillet dernier, et sa sixième place décrochée en août sur le très sélectif parcours de l’UTMB. « Il faut que toutes les planètes soient alignées, il faut beaucoup de chance aussi. Et voilà, ça m’a souri. L’enchaînement UTMB / Diagonale était très dur. Je pense que je vais avoir beaucoup de mal à récupérer parce que j’ai fourni un effort énorme. Je suis étonnement très bien, mais il y aura un contrecoup, c’est obligé. L’UTMB ça a été une course aussi très intense, il n’y a eu aucun répit. La Diagonale, bien sûr c’est la course la plus dure du monde techniquement, mais en intensité, l’UTMB c’est LA plus dure du monde. À la Diagonale, le terrain est d’une exigence… Il ne faut jamais relâcher sa concentration, sinon on part à la faute et ça ne pardonne pas »
La victoire est d’autant plus belle pour l’ultra-traileur de 41 ans, qui a refusé une sélection aux championnats du monde de trail en Thaïlande (3 au 6 novembre) en équipe de France, à la faveur de sa venue sur les sentiers de l’île intense. « J’ai fait une belle déclaration d’amour à La Réunion en venant ici et en déclinant une sélection. Parce qu’une sélection, à mon âge, c’est dur de dire non, je pense que le wagon, il ne repassera pas. Ici, l’année dernière, il s’est passé une histoire exceptionnelle, une histoire d’amour et de belles rencontres. Ça l’a emporté, j’avais des engagements moraux ici. »
Nul doute que le choix était le bon. Au terme de 23h14 d’effort, Beñat Marmisolle venait inscrire son nom au palmarès de l’une des courses les plus prestigieuses au monde. « C’est le moment le plus puissant que j’ai vécu en sport. C’est la plus belle victoire de ma carrière. Il n’y a rien de plus beau. Et pourtant, j’ai fait de très belles courses avec de très beaux résultats, se souvient le licencié de l’Aviron Bayonnais. Cette année, c’étaient les 30 ans, il y avait un plateau de dingue, il y avait des athlètes exceptionnels. Si on m’avait dit que j’aurai la chance d’inscrire mon nom pour cette trentième édition. De toute façon, c’est simple, dans les pronostics, je me mettais dans les 10. J’espérais ! Mais déjà le top 5, c’est assez surprenant, parce qu’il y en avait des plus forts que moi. Je n’aurais jamais imaginé pouvoir gagner. Et je pense que j’ai gagné, comme on dit, « à la régulière ». J’ai fait quasiment la course en tête tout du long, je n’ai rien volé à personne. C’est une course aboutie. Je n’ai plus rien à prouver à personne ici ! Inscrire son nom au palmarès, c’est tout simplement magique. C’est très fort. Je ne réalise pas encore. »
« Un voyage exceptionnel »
Bien au-delà d’une confrontation sportive, c’est d’un véritable moment de vie que se souviendront Beñat Marmisolle et Jean-Philippe Tschumi. « On a passé de longues heures ensemble avec Jean-Philippe. C’est un monsieur qui a des valeurs comme j’aime, et qui se perdent de plus en plus aujourd’hui. C’est un très grand champion. Je le connaissais déjà, mais là ça a été beaucoup plus intime, confie avec émotion le lauréat de la Diagonale des Fous 2022. On a beaucoup échangé, on a parlé de choses très personnelles, de sa vie personnelle, de sa vie de famille, de la mienne… On a beaucoup gratté. J’ai vécu un voyage exceptionnel. Je suis parti hier soir avec une valise vide, ce soir, j’arrive avec plein de choses, elle est complétement remplie. Ces choses-là m’appartiennent et elles resteront à jamais gravées en moi. C’est tout simplement merveilleux. »
En décidant de faire course commune, le binôme d’ultra-traileurs a décuplé ses forces et a sublimé l’effort solitaire en une véritable communion d’équipe. « Être à deux, bien sûr que ça aide. Je l’ai vécu l’année dernière. J’ai fait une course esseulée, devant il y avait Ludo avec Daniel. Ils n’ont fait que prendre du temps sur moi, parce que j’étais tout seul, j’étais en embuscade derrière, se souvient Beñat Marmisolle. Donc bien sûr que ça aide. Mentalement, ça rend plus fort. Derrière, on avait un groupe de plusieurs coureurs, avec Courtney, ils n’étaient pas tout seul, donc il ne fallait pas relâcher ».
Ne pas relâcher. Un mot d’ordre encore plus vrai pour Jean-Philippe Tschumi. Après deux abandons en 2018 et 2019, l’athlète suisse conjurait enfin le sort en décrochant, au bout de l’effort, une magnifique médaille d’argent. « Je remercie Beñat, parce que je n’aurai pas fait un temps comme ça sans lui. Je n’ai pas beaucoup d’expérience sur des 160 km, c’était mon deuxième dans ma vie, à part ceux que je ne finis pas, donc ce n’est pas terrible, ironisait-il. Il m’a poussé, il m’a attendu dans le chemin des Anglais. C’était magnifique, il y a beaucoup d’émotions. »
Courtney Dauwalter rentre dans l’histoire
Le véritable exploit de la soirée est à mettre au compte de la fusée américaine Courney Dewaulter, vainqueure chez les dames en 24h37’47. Ultra-favorite de l’épreuve, l’ancienne skieuse de fond a pleinement assumé son statut en décrochant, pour sa première participation à la Diagonale des Fous, une historique quatrième place au scratch, devant certains cadors masculins, et loin devant la deuxième féminine, Anne-Lise Rousset Séguret (28h58’52). Avant elle, jamais une femme n’avait réussi à enlever un top 5 au scratch (Andrea Husser, 8e en 2017).
Malgré une chute avant son entrée dans le Cirque de Mafate, « la troisième sur le même genou », Courtney Dauwalter n’a pas faiblie, s’immisçant même un temps sur le podium provisoire (3e au 130e km). A l’issue d’une course pleinement maîtrisée, l’ultra-traileuse de 37 ans a longuement savouré son arrivée au stade de La Redoute (Saint-Denis), devant un public admiratif d’un tel exploit. « Je n‘avais aucune idée de la difficulté de la course, je voulais juste faire de mon mieux et voir ce que ça allait donner ! C’est toujours un plaisir de tenter de nouvelles choses, il n’y a aucune difficulté insurmontable donc j’ai voulu essayer. Je pensais que la course allait être moins dure que ça. Je suis très contente d’enfin pouvoir m’asseoir, souriait-elle. La partie la plus compliquée était à Rocheplate, j’ai eu du mal à supporter la chaleur, et ça n’arrêtait pas de monter ! »
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Au-delà de la difficulté de l’épreuve, Courtney Dauwalter retiendra « une magnifique communauté et des paysages incroyables ». Si la patronne de l’ultra-trail féminin a d’ores et déjà confié qu’elle reviendrait s’amuser dans les sentiers de l’île intense, reste encore à convenir de la date du prochain rendez-vous ! « Ne me demandez pas de dire que ce sera l’année prochaine », plaisantait-elle sur le podium. Avec cette victoire sur la Diagonale des Fous, l’Américaine devient la première femme a remporté les quatre courses majeures du circuit mondial : la Western States 100 (2018), l’UTMB (2019), et la Hardrock (2022). Elle rejoint au sommet Kilian Jornet, seul athlète parvenu a réalisé le même exploit.
« Il fallait aller jusqu’au bout, mais ce n’était pas facile »
Après avoir longuement hésité à prendre le départ de la Diagonale des Fous, dans le doute de ne pas avoir totalement récupéré de son record du GR 20, en juin dernier, Anne-Lise Rousset Séguret était finalement au rendez-vous, jeudi soir à Saint-Pierre. L’athlète du team Scott a traversé toutes les émotions, avant de couper la ligne d’arrivée en 28h58. Deuxième féminine, derrière l’intouchable Courtney Dauwalter, et première française, la jeune maman a dû faire preuve d’abnégation pour venir à bout de ce périple. « La course s’est très bien passée au début, je me suis régalé dans Mafate. Et j’ai pris un mur à Grand Place… Un coup de bambou de l’espace. Je m’y attendais un peu. Ça a été très compliqué de rejoindre Rocheplate, il a fallu retrouver un peu d’énergie, mais il y en a un qui sait retrouver les mots pour me motiver, confie-t-elle en se tournant vers son compagnon Adrien Séguret, également entraîneur et sélectionneur de l’équipe de France de trail. Ça été très dur à gérer cette portion-là, il fallait aller jusqu’au bout, mais ce n’était pas facile. »
Derrière elle, une autre Française complète le podium en la personne d’Anna Carlsson (30h59). Sarah Vieuille prend la quatrième place (32h47), Sylvaine Cussot la cinquième (35h14), Elodie Mithridate la sixième (35h37), Maud Combarieu la septième (36h09), Justine Rouveyrol la huitième (36h16) et Daphné Linderme la neuvième (36h50). Parmi les autres performances des Français, il faut également retenir le joli tir groupé de Germain Grangier (24h45), Yannick Noël (24h47), Anthony Pipitone (25h40), Judicaël Sautron (25h43) et Julien Chorier (26h17), tous dans le top 10 chez les hommes.
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Texte : Emeline Pichon
Crédits photos : Clément Berchet / ASICS & GRAND RAID / IMAZ PRESS