Demandez à n’importe quel passionné d’athlétisme qui est son athlète préféré sur les réseaux sociaux, il y a de fortes chances qu’il vous réponde « Rénelle Lamote ». Loin de la communication aseptisée chez certains sportifs de haut niveau, la triple médaillée européenne sur 800 m régale sa communauté avec son humour décalé. La demi-fondeuse de 28 ans est autant déterminée sur la piste qu’elle est spontanée sur ses réseaux sociaux. La protégée de Bruno Gajer à Montpellier a franchi un cap important cette saison, comme en témoigne sa régularité au plus haut niveau, avec un chrono de référence en 1’58″48 en 2022. Finaliste mondiale à Pékin en 2015, elle a l’opportunité d’intégrer à nouveau le top 8 à Eugene, voire bien mieux. La concurrence est toutefois relevée sur les deux tours de piste avec les pépites Athing Mu et Keely Hodgkinson. Reste que Rénelle Lamote a montré en Diamond League qu’il faudra bel et bien compter sur elle. Entretien !
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— Rénelle, comment allez-vous depuis les Championnats de France Elite à Caen (24 au 26 juin), et comment se passe la préparation finale ?
J’ai bien travaillé après les Championnats de France. Ensuite je suis arrivé au stage, un peu plus tard que les autres pour pouvoir faire les séances spécifiques à la maison. J’arrive ici dans les meilleures conditions.
— Est-ce une volonté de votre part de rester en France pour la préparation ?
C’était surtout une volonté du coach qui gère la programmation. Je pense que c’était bien de pouvoir faire beaucoup de travail à la maison avant de partir.
— Les sensations sont-elles toujours bonnes par rapport à votre saison ?
Oui, elles sont toujours très bonnes. Il y a toujours cette appréhension à chaque championnat. À chaque course on se demande si je sais toujours courir un 800 m, mais ça me fait ça à chaque fois… donc ça va.
— Il y a-t-il du stress ?
Toujours. Je suis toujours stressée pour toutes les compétitions, c’est habituel. Aux Championnats de France par exemple, j’étais très stressée.
— C’est quelque chose sur lequel vous avez travaillé ?
Je travaille beaucoup sur le plan émotionnel depuis 2016. Maintenant, même quand je ressens ces sensations désagréables, je suis entraînée pour que ça n’ait pas un impact négatif sur la performance.
— Le fait d’avoir beaucoup couru et d’avoir fait de bons résultats, cela vous donne-t-il une confiance supplémentaire pour aborder les championnats ?
Je ne dirais pas que ça me donne plus de confiance, mais je me dis que j’ai réussi à faire tous mes podiums en Diamond League cette saison. Donc il n’y a pas de raison que je ne le fasse pas en séries. Sachant qu’en séries ce sont les trois meilleures qui passent en demi-finales. Donc j’essaie de le prendre comme ça pour me rassurer.
— L’objectif, c’est de faire un podium à chaque course ?
Voilà. Je prends chaque course comme si c’était la dernière. Si je peux faire troisième ou top 2 à la deuxième c’est parfait !
— Vous avez fait une coupure avant la saison, plus longue que d’habitude. Vous vous êtes aéré l’esprit. Maintenant qu’on est au cœur de la saison, est-ce que vous sentez que ça vous a apporté quelque chose ?
J’ai pu reprendre l’entraînement avec beaucoup d’envie et de détermination. Les Jeux olympiques aussi m’ont beaucoup aidée car je me suis rendu compte que c’était possible. Et quand on se prépare en se disant que c’est possible de faire des finales, ça change tout, c’est beaucoup plus de sérénité dans l’entraînement. Cette pause m’a permis aussi de me reposer physiquement, de plusieurs blessures qui étaient devenues chroniques. Aujourd’hui je me sens encore fraîche, même s’il y a deux championnats. Je n’ai pas l’impression d’être à la fin de ma saison et je suis prête à courir jusqu’en septembre.
— Comment vous vous situez par rapport à l’Amricaine Athing Mu (1’57″01) ou encore à la Britannique Keely Hodgkinson (1’57″71)… qu’est-ce que vous regardez précisément quand vous les regardez courir ? Est-ce que vous visionnez vos courses en vidéo ?
Je n’aime pas trop me regarder courir. Mais c’est sûr qu’Athing Mu, c’est une patronne. Je pense qu’en course, il faut essayer de la prendre comme une adversaire normale. Son schéma de course, ce n’est pas forcément celui qui me correspond. Elle et Hodgkinson terminent sur des allures extrêmement rapides. Donc je vais peut-être être amenée à devoir prendre plus de risques pour pouvoir rivaliser.
— Les chronos qu’elles arrivent à faire, ce sont ceux que vous visualisez aussi ?
Je m’entraîne sur des allures supérieures à celle de mon record. C’est vraiment un objectif pour moi de courir plus vite. Il faut aussi que les conditions soient réunies. Je pense que l’année dernière j’aurais pu courir plus vite mais je n’ai pas été bonne le jour j. Donc j’espère que cette course sortira dans ces Championnats du monde où cette saison, ça serait sympa.
— Gabriel Tual et Benjamin Robert nous ont dit que sur le 800 m masculin, tout le monde peut sortir en séries. Est-ce que vous pensez que c’est pareil chez les filles ?
J’ai l’impression que c’est pareil. Mu a peut-être un peu plus de marge ! Mais c’est sensiblement pareil tout le monde peut sortir. L’année dernière je me sentais capable d’aller en finale, je n’ai pas réussi à le faire. Il y a d’autres noms qui sont sortis rapidement. Les cartes sont redistribuées à chaque course, mais il peut y avoir de belles surprises aussi.
— Vous avez une carrière qui commence à être « longue », vous aimez toujours autant le 800 m ?
J’aime encore plus le 800 m. J’arrive mieux à le gérer, je suis plus entraînée sur le plan psychologique, j’en parle souvent car c’est quelque chose de très important. Donc je prends plus de plaisir qu’avant. Surtout dans mes choix sportifs et de carrière, et mes choix d’entraîneurs. J’ai vraiment pris des décisions donc de vivre ces choix et de voir leurs conséquences aujourd’hui, ça me procure encore plus de plaisir aujourd’hui.
— Vous êtes très différente de la Rénelle de 2015-2016…
Oui rien à voir ! Je m’entraîne dans un contexte différent, tout est différent. Ma vie est différente. Je me sens bien mieux maintenant.
— Plus forte ?
Oui aussi. Plus forte, plus régulière, cette année j’ai fait des courses régulières sous les 2 minutes, autour des 1’58. Je n’ai pas encore battu mon record cette année mais je sens que ça répond bien face à l’adversité donc c’est cool.
— Vous avez deux collègues, Benjamin Robert et Gabriel Tual. Ils sont plus jeunes, donc ils ont moins d’expérience. Mais vous apportent-ils quelque chose en plus de votre expérience ?
Ils sont hypers différents tous les deux. J’adore passer du temps avec eux. Ce sont des copains ! J’aime beaucoup parler avec Gaby de 800 m. Il est dans l’émotion, c’est quelque chose que j’aime. Aussi avec Bebert, on le surnomme le « taureau » ! C’est un fonceur. Donc ils me boostent à travers nos discussions. Ils sont venus m’encourager quand j’ai fait ma dernière séance spécifique au campus de l’Université de Linfield et inversement. On est un bon petit trio.
— Pour en revenir à vos adversaires, Comment vous avez vécu l’arrivée des nouvelles concurrentes comme Mu, Hodgkindon… elles sont arrivées comme des météorites, hyper jeunes, très vite ?
Je trouve que ce sont des filles hyper talentueuses, c’est impressionnant. Comme à l’époque de Semenya, ça propose des courses rapides. Je suis pour le progrès, donc voir des filles rapides comme ça, je suis contente pour la discipline. Même si parfois quand je vois la start-list, ça me fait mal au cœur de me dire que j’ai presque 10 ans de plus que ces filles-là ! En plus, ce sont des filles bien, je passe de bons moments en Meeting.
— La particularité de ces championnats, c’est qu’il y a trois courses à enchaîner en quatre jours. Comment préparez-vous votre corps à réussir trois énormes chronos en quatre jours ?
C’est plus le coach qui va gérer tout ça. Je pense que le cumul des années de travail, je pense que c’est ce qui m’aide le plus. À mes premiers championnats du monde à Pékin en 2015 je passe en finale, mais quand j’y repense j’avais trouvé que la finale était vraiment très difficile sur le plan physique. Il y a aussi les championnats d’Europe qui m’ont donné de l’expérience pour faire trois tours. J’ai eu la chance de faire cet apprentissage là. Donc maintenant l’expérience va m’aider.
— C’est une « caisse » accumulée avec les années ?
Je ne connais rien à l’aspect technique de l’entraînement. Donc j’aurais tendance à dire ça mais peut être que l’analyse du coach sera différente. J’imagine qu’il fait plein de choses sur les plans d’entraînement pour qu’il y ait un cumul de séance, voilà, on s’est compris.
— Vous ne vous voyez pas coach dans 10 ans donc ?
Pas du tout ! (Rires)
— Votre entraînement a beaucoup changé avec Bruno Gajer ?
Radicalement ! On fait beaucoup plus. C’est très, très technique. Tout est concentré. Ce sont des séances qui peuvent être plus courtes mais plus intenses ! Avec beaucoup plus de temps de repos entre les séances, moins de footing, de fartlek comme je pouvais le faire avec Thierry Choffin, mon ancien coach. Là, c’est bien plus technique, plus axé sur la vitesse, le placement, au niveau de la muscu c’est plus lourd, c’est très différent.
— Un entraînement à l’américaine ?
Un entraînement à la Bruno Gajer tout simplement !
Texte : Briac Vannini
Crédit photo : STADION