Sydney McLaughlin, l’époustouflant génie du 400 m haies

23 juillet 2022 à 13:10

Sydney McLaughlin, 22 ans, a réduit en miettes son propre record du monde du 400 m haies en 50″68 en finale des Championnats du Monde de Eugene. À coup sûr l’une des performances les plus marquantes de l’histoire de l’athlétisme. Derrière, la Néerlandaise Femke Bol n’a rien pu faire avec ses 52″27, tandis que Dalilah Muhammad s’offre une nouvelle médaille mondiale (53″13). Récit d’un moment historique.

Que dire. Par où commencer ? Sydney McLaughlin elle-même n’y croyait pas à l’arrivée. Un « That’s insane » en faisant non de la tête, accroupie et les mains sur le stade Hayward Field. Parfait résumé d’une course sublime de bout en bout. La jeune fille née à New Brunswick, au sud de New York, a laissé tout le monde sans voix lors de la finale du 400 m haies, en faisant s’arrêter le panneau d’affichage à 50″68. Ce chrono est à ranger illico dans la catégorie des marques de légende, comme les 9″58 du Jamaïcain Usain Bolt. Un moment historique, hors du temps, s’est produit lors de cette huitième nuit à Eugene.

 

 

Retour sur 400 m et dix haies plus tôt. La foule était venue spécialement voir sa prodige tenter un nouvel exploit. Alors à l’annonce du nom de leur nouvelle idole, placée au couloir 5, le public de Eugene offre une belle ovation à la championne olympique. Seulement voilà, « Syd » est en finale des championnats du monde, le seul titre qui lui manque. Malgré l’ovation, la médaillée d’argent de Doha reste impassible, se dandine et se parle, comme si elle savait. Au couloir 6, celle qui l’a accompagnée sur tous ses podiums et ex-recordwoman du monde, l’Américaine Dalilah Muhammad, réputée pour avoir une très grosse mise en action. L’occasion idéale pour Sydney McLaughlin de tout de suite prendre de la vitesse.

 

Un départ canon

« Sydney McLaughlin est très rapide sur 200 et 400 m plat par rapport à ses concurrentes, c’est ce qui fait la différence, confiait Stéphane Diagana, consultant pour France Télévisions, avant la finale. Malgré son expérience sur la distance, elle n’est pas forcément toujours très juste dans la gestion de ses intervalles entre les haies. ». Compte tenu de cette fragilité technique, le champion du monde du 400 m haies en 1997 estime que l’Américaine possède une grosse marge de progression. Avec un départ plus rapide, il la voyait, avant la finale, casser la barrière des 51 secondes. Scénario de course exactement réalisé. Le départ est donné, et dès la première haie, la hurdleuse de 22 ans est légèrement devant sa compatriote (passage au 100 m en 12″26 contre 12″39). La protégée de Bob Kersee depuis début 2021 (coach historique d’Allyson Felix) effectue le meilleur départ de sa carrière, et vire déjà en tête dès les 200 m (24″25 !). Le virage est tout aussi bon, la recordwoman du monde sort avec 15 mètres d’avance sur ses adversaires (37″02 au 300 m). Une dernière ligne droite de folie, seule au monde, où l’athlète qui porte les couleurs de New Balance va remettre du rythme, pour aller chercher un chrono. Pour la première fois de l’histoire de la discipline, une athlète féminine casse la barre des 51 secondes, et pas qu’un peu : 50″68. Incroyable. Pour la petite histoire, Sydney McLaughlin était déjà la première femme à descendre sous les 52 secondes avec un premier record planétaire à 51”90 à… Eugene en juin 2021. 

 

« Chaque fois que je viens ici, je sens que quelque chose de formidable va arriver »

Un record que la nouvelle star américaine avait déjà pulvérisé à Tokyo en finale des Jeux en 51″46 puis amélioré une troisième fois cette saison aux “Trials”, où ça ? À Eugene évidemment, et sans concurrence. La championne nationale disait alors : « Chaque fois que je viens ici, je sens que quelque chose de formidable va arriver », bien vu. Seulement cette fois, le mot « formidable » est-il suffisant ? Fort probable que non. Dans une autre course, Femke Bol, 22 ans également, prend l’argent en égalant sa meilleure performance de la saison en 52″27, onzième meilleure performance de l’histoire mais à… 1″59 de la vainqueure. À la troisième place, Dalilah Muhammad, gênée par les blessures cette saison, repart avec sa quatrième médaille mondiale sur la distance, un record codétenu avec Lashinda Demus et Yuliya Nosova-Pechonkina. Les trois mêmes athlètes étaient montées sur le podium olympique l’été dernier à Tokyo, mais avec Muhammad en argent et Bol en bronze. Starifiée après sa prestation à Tokyo, Sydney McLaughlin se distingue par un usage modéré de ses réseaux sociaux. Elle les coupe à l’approche de chaque compétition. Après les Jeux, elle avait d’ailleurs ému en partageant une vidéo d’elle, en larmes, dénonçant leur toxicité. Disant ne pas « vouloir de cette célébrité« , l’athlète demandait plus de respect à son égard.

 

Des chiffres qui donnent le tournis

Pour bien comprendre l’exploit de cette performance, rien de mieux que quelques chiffres et comparaisons. Tout d’abord, l’amélioration de ce record de plus 0,73 dixièmes (51″41 à 50”68 en à peine un mois) est la plus grosse amélioration de l’histoire du 400 m haies depuis 1977 (Tatyana Storozheva avait fait mieux en abaissant le précédent record de huit dixièmes pour terminer en 55”74). Avec ces 50”68, Sydney McLaughlin aurait pu terminer septième de la finale du 400 m PLAT qui avait lieu quelques minutes plus tôt et survolée par l’inévitable bahaméenne Shaunae Miller-Uibo en 49”11. Tout simplement hallucinant. Ce n’est pas fini. Elle aurait tout bonnement remporté les championnats de France Elite à Caen sur 400 m, le mois dernier où la première, Amandine Brossier, a été créditée de 52″02. Il faut savoir que le record d’il y a trois ans seulement (52”34), n’est aujourd’hui que la 14ème référence de l’histoire et surtout à quasiment deux secondes de plus. Celle qui était devenue à Rio en 2016 la plus jeune Américaine (16 ans à l’époque) à se qualifier pour les Jeux olympiques depuis 1972 possède maintenant quatre des cinq chronos les plus rapides de tous les temps. Dalilah Muhammad détient le quatrième en 51″58. En terminant à 1”59 devant sa plus proche adversaire, la nouvelle championne du monde signe l’écart le plus important de l’histoire de la distance semée de haies. Vous avez le tournis ? Nous aussi.

 

Le record du monde du 400 m dans le viseur ?

Maintenant, une question se pose concernant l’avenir de la discrète McLaughlin. Où s’arrêtera-t-elle ? A 22 ans, l’étudiante à l’université de Kentucky a déjà tout gagné. L’or mondial et l’or olympique (400 m haies et 4×400 m). Elle a déjoué les lois de la physique sur sa distance de prédilection. Sa vie personnelle est tout aussi réussie avec un mariage il y a quelques mois avec le joueur de la NFL Andre Levrone. Que faire de plus ? Son entraîneur a bien une idée : Aller chercher l’intouchable record du 400 m plat de Marita Kloch, l’historique 47″65 qui date de 1985. Pour le moment, son record se porte à 50″07, soit dans la même seconde que son record sur les haies mais date de 2018 et elle n’a pratiquement pas travaillé la discipline jusqu’à maintenant. Alors peut-être. Sydney McLaughlin a déjà écrit une très belle page dans le magnifique livre de son sport. L’avenir est devant elle, alors pourquoi pas tenter d’en écrire une deuxième, en défiant le temps une nouvelle fois. Etant donné son âge et sa trajectoire rectiligne jusqu’ici, il n’est pas interdit de croire qu’elle va continuer d’enfiler les tours de piste en tête pendant des années. « Il y a toujours de la place pour faire mieux, a-t-elle confié après avoir la finale, évoquant dans le même temps la possibilité d’un jour s’aligner sur d’autres épreuves. Pourquoi pas essayer le 400 m plat ou le 100 m haies ? On verra. Le ciel est la limite ». En ligne de mire Paris 2024 d’abord, mais aussi Los Angeles 2028 pour décrocher un titre à domicile. Elle n’aurait pas encore 30 ans.

Texte : Briac Vannini
Crédit photo : Solène Decosta / STADION

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