Où s’arrêtera-t-il ? À tout juste 20 ans, Sasha Zhoya avance à la vitesse de la lumière et incarne l’avenir de l’équipe de France. Samedi dernier à Caen, le pensionnaire du Clermont Athlétisme Auvergne a décroché en 13″17 son premier titre de champion de France Elite sur 110 m haies dès sa première saison sur les obstacles seniors (106 cm contre 99 chez les juniors) avec en plus une impression de facilité déconcertante. Clairement le phénomène le plus fascinant de l’athlétisme tricolore depuis des années. Pour ne rien gâcher, le protégé de Ladji Doucouré et de Dimitri Demonière n’est pas du genre à s’enflammer et sait raison garder. Il avance à la découverte du monde. Avec curiosité et courage, bref comme un grand. Et quelque chose nous dit que ça va durer longtemps. Entretien avec Sasha Zhoya en direct de l’INSEP ce vendredi, qui s’est terminé dans la bonne humeur par une série de gestes techniques ballon aux pieds. Le hurlder français a régalé l’objectif de notre photographe Antoine Decottignies.
— Sasha, les Championnats du Monde à Eugene (15 au 24 juillet) c’est pour vous l’objectif de la saison ?
Oui, c’est l’objectif de la saison. Je suis dans le top 5-6 des engagés là-bas. Donc le but c’est d’être en finale parce que ça va être mes premiers grands championnats dans l’Elite. Et ensuite je vais enchainer avec les Europe (à Munich du 15 au 21 août) et essayer de faire un bon truc là-bas aussi.
— Cette saison est pour vous une étape ?
Pour moi c’est une étape. J’aime bien faire les choses comme il faut. L’année dernière, le but c’était de faire bien les championnats juniors. Comme les années cadets que j’ai bien faites aussi. Maintenant je rentre chez les « grands », alors faut faire les trucs chez les grands mais je ne veux pas me mettre trop de pression, comme ça je peux vraiment y aller et prendre de l’expérience.
— Est-ce que les six premiers mois se sont déroulés comme vous l’imaginiez ?
Pas comme je l’imaginais. Mais bon, la saison d’un athlète ça ne se passe pas toujours comme on le veut. Pour moi ça a pris du temps, c’était assez lent. Mais je suis quelqu’un qui aime bien entrer sur la piste et entrer en Championnats quand je suis vraiment prêt. Au début ce n’était pas le cas car je commençais sur les nouvelles haies qui sont plus hautes. Ça a pris du temps, mais maintenant que j’ai trouvé mon rythme et mon niveau, je me sens à l’aise, donc je peux enchainer beaucoup plus de compétitions et m’exprimer sur la piste.
— Comment avez-vous travaillé cette nouvelle hauteur de haies ?
Il fallait juste travailler sur les bases de la technique. Car sur les haies à 106 cm t’as besoin d’être beaucoup plus fort sur ta technique. Si tu touches une haie ça va beaucoup plus te pénaliser que sur 99 cm ou 91 cm (en cadet). Donc il faut plus gérer la course quand tu touches une haie et du coup te remettre en place pour bien finir. C’était à ce niveau-là où je galérais et je galère toujours un peu, mais là j’ai beaucoup plus de temps qu’en cadet ou en junior. J’ai toute ma carrière pour m’adapter à ces haies à 106 cm. Donc je pense que ça va bien se régler rapidement.
— Vous avez touché 2 ou 3 haies à Caen aux Championnats de France. Vous allez finir par faire 12″80 !
En finale, j’en ai même touché 5 ! Mais écoute c’est le but. Ça sera en faisant une course bien propre, mais pour l’instant je n’ai pas l’habitude de faire une course avec la concurrence à côté de moi. Donc parfois je vais avoir tendance à sortir de ma course et penser aux autres à côté de moi et c’est là que je vais commencer à faire des fautes.
— On vous promettait pas mal de difficultés sur ce passage de hauteur de haies… Mais ces difficultés vous les avez gommées rapidement ?
Ça fait un bout de temps que je fais des haies. Donc j’ai l’habitude de passer les barrières. Pour moi ça allait être un challenge mais tout le monde l’a fait. Donc je savais que je n’allais pas ralentir autant que ça. Et maintenant que je suis en 13″17, ça me remet au même niveau que mes années juniors. Il faut juste un peu de temps pour retrouver mes appuis.
— Vous avez l’habitude de courir 50 mètres (j’exagère un petit peu) devant tout le monde. Mais à Eugene comme vous l’avez dit il y aura de la concurrence… c’est quelque chose de nouveau. Comment l’abordez-vous ?
C’est ce que je préfère ! Je n’ai pas peur quand il y a des gens devant moi. Limite ça va encore plus me motiver. Faire une course quand c’est toi contre le chrono c’est bien mais… ça ne te fait pas courir aussi vite que tu peux. Alors que faire une course avec des gens qui vont vraiment être devant moi sur le début ou la fin de la course, ça va me forcer à tout donner. Ça va être un gros challenge mais je suis prêt pour ça.
— À quoi ressemblerait un Championnat du Monde réussi ?
Une médaille d’or autour du cou ! C’est l’objectif. Je pars là-bas pour faire une médaille. Pour ce championnat et/ou d’autres dans les années à venir. Mais dans ma tête, je pense que ça va le faire bientôt. Mais écoute là je vais rentrer dans ce championnat avec le même but.
— Dans votre esprit vous êtes là pour gagner. Pas forcément pour réussir à monter sur le podium ?
Dans l’esprit, j’y vais pour l’expérience. Mais pour moi, l’expérience c’est de prendre une médaille, c’est le but. Je ne peux pas arriver en Championnat et dire que je veux que rentrer en finale. Bien sûr, l’objectif premier c’est de rentrer en finale parce que je suis encore jeune. Mais dans un coin de ma tête je suis là pour une médaille ou faire moins de 13 secondes… ce genre de choses.
— Est- ce que vous sentez que le regard de vos adversaires a changé ?
Non je pense que c’est toujours le même. Que ce soit chez les juniors ou chez les seniors. Peut-être qu’ils pensent que je suis le petit qui vient de passer sur la nouvelle taille (de haies). Mais avec le chrono que j’ai fait le week-end dernier (13″17 aux Championnats de France à Caen), je pense qu’ils se sont dit que bon, c’est un petit, mais le petit il a l’air de courir vite.
— Un petit qui a faim ?
Un petit qui a très faim !
— Vous êtes très attendu, vous le savez. Vous avez battu le record du monde juniors l’an passé. Et quand vous faites 14″13 (le 22 mai à Grosseto) ou 13″48 (le 11 juin à Genève) chez les seniors, on est presque déçu. Alors que c’est normal, il fallait juste vous laisser quelques semaines…
Pour moi les petits chronos que j’ai fait au début, ce n’est pas vraiment mes courses. Pour moi il y avait plein de problèmes. J’avais mal au mollet puis après au genou, donc je n’étais jamais vraiment en forme. Là je suis en train de me mettre à 100%. On a fait un soin en début de semaine, une infiltration au niveau de mon genou pour être bien réglé. Je retrouve mes repères pour que mon corps soit bien pour faire les compétitions. Les chronos que j’ai réalisés ce week-end (aux championnats de France) en 13″24 et 13″17, c’est plus le Sasha Zhoya que je connais et celui qui s’exprime sur la piste.
— Physiquement, comment-vous sentez-vous ?
Maintenant je me sens plus en pleine forme. Je suis toujours en train de m’adapter un petit peu. Là par exemple la séance d’aujourd’hui elle va beaucoup plus « chill », parce que je suis toujours en train de me remettre en forme de la petite blessure que j’avais. Mais j’espère en tout cas que pour les Monde et les Europe le corps va être à 100%.
— Vous suivez l’actualité de l’athlé, il y a un jeune homme (Armand Duplantis) qui vient de passer 6,16 m à la perche. C’est bien pour l’athlé, parce que l’athlétisme a besoin de figure pour pouvoir se développer ?
Oui c’est bien. En plus je pense que c’est encore mieux que ce soit un jeune qui fasse ça. Il a 22-23 ans, Mondo. Il fait des trucs de ouf. C’est le numéro 1 en athlé et ça fait 2-3 ans qu’il est imbattable. C’est quelqu’un qui m’inspire et j’ai envie d’être comme ça. Un jeune qui a autant de talent que lui, qui fait des perfs et quand tu rentres sur le sautoir avec lui tu te dis que ça va être un concours pour jouer au mieux la deuxième place.
— D’autant que la perche vous connaissez, et vous êtes bien placé pour mesurer la taille de l’exploit…
Oui je connais bien (rires) (record à 5,56 m en 2019). Et je connais très bien Mondo. On peut échanger souvent ensemble, c’est pas mal.
— Un petit mot aussi sur le stade Hayward Field, un temple de l’athlétisme, ce sont les premiers championnats du Monde aux États-Unis…
C’est quoi l’Hayward Field… ?
— Le stade d’athlétisme de Eugene !
Ah ok ! Je ne savais même pas (rires).
— Ça veut dire quand même quelque chose pour vous ?
Bah écoute, c’est la meilleure piste au monde. En plus ils ont des technologies pour savoir à quelle vitesse tu vas… ça va être une bonne expérience et je pense que c’est là-bas où tu peux faire de bons chronos s’il y a de bonnes conditions. C’est vraiment l’endroit où ça peut courir très vite. Mais en championnat, l’objectif c’est plus de prendre la médaille que de courir vite. Même si c’est la même chose, le but c’est de prendre la médaille et d’être bien placé au lieu de faire une course où tu vas aller très vite.
— Il y a une symbolique ou pas, imaginons s’imposer aux USA, marquer le public américain, pour un Français c’est quelque chose d’incroyable ?
Oui ça va être bien. En plus je pense que quand ils sont venus à Paris (pour la Diamond League au stade Charléty), les Américains avaient un peu faim. On va défendre ça là-bas, mais chaque chose en son temps. On va d’abord y aller pour voir comment ça se passe. Et ensuite essayer de bien se placer pour la finale.
Texte : Briac Vannini
Crédits photos : Antoine Decottignies / STADION
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