Valentin Lavillenie s’est bien relevé

24 mars 2019 à 17:30

Valentin Lavillenie est retombé à côté du tapis du perche, au premier tour des interclubs, le 6 mai dernier à Vénissieux, se fracturant le calcanéum du pied gauche. Neuf mois plus tard, le sociétaire du Clermont Athlé (27 ans) est revenu pour www.stadion-actu.fr sur cette période difficile mais qu’il surmonte avec énergie et détermination. Le perchiste français a programmé un retour en douceur cet hiver, sans forcer, pour retrouver avant tout le plaisir de sauter.

L’entretien avec le protégé de Sébastien Reissdorfer était prévu à Nantes, début février, pendant les Championnats de France espoirs et nationaux à Nantes. En raison de contraintes sportives, c’est finalement par téléphone, la semaine suivante (14 février), que Valentin Lavillenie honore le rendez-vous. A trois jours du concours des France Elite en salle à Miramas, le plieur de gaule tricolore se livre avec honnêteté, tout en préparant sa tondeuse électrique pour se couper les cheveux. L’interview, qui se transformera ensuite en conversation, durera plus d’un heure. Anecdotiquement, son accident est toujours présent dans l’esprit de notre photographe qui était agenouillé derrière le tapis, près du point de chute.

— Valentin, comment allez-vous ?

J’ai pu reprendre l’entraînement même si on ne peut pas réellement appeler cela de l’entraînement. C’est à dire que je ne m’entraîne pas comme un athlète. Je suis toutefois content de faire certains exercices qui me permettent d’avoir l’impression d’être un athlète. Des douleurs à mon pied ? Oui j’ai encore très mal. Depuis le début de l’année j’ai réalisé trois séances de course et quatre séances de perche. La première séance, j’ai dû faire dix sauts et j’étais en PLS. La seconde était déjà meilleure techniquement mais par contre j’ai ressenti de vraies douleurs. La troisième, j’ai moins eu de douleurs et je commence réellement à ressentir quelques sensations dans le saut.

Pourquoi n’avez vous pas attendu de retrouver 100 % de vos moyens au niveau du pied pour reprendre l’entraînement ?

Si j’attends de ne plus avoir de douleurs, je peux t’annoncer tout de suite que c’est la fin de ma carrière. Je vais sûrement devoir sauter avec cette douleur jusqu’à la fin de ma vie sportive. Ma douleur est un peu compliquée à expliquer. Quand je cours pour sauter, je n’ai pas forcément mal. Quand j’impulse, on met forcément une vraie charge sur le pied, et ça me met un petit coup de poignard. C’est comme si on me mettait des coups de couteaux à ce moment-ci. Et là je te parle quand je suis bien placé, sinon la sensation c’est « sabre laser ». Il y a des jours où la douleur est acceptable et d’autres jours où elle est un peu plus forte. Actuellement, mon planning de préparation est indécent. Ça n’a rien à avoir avec un mec qui va faire de la perche à haut niveau mais plutôt un mec qui fait de l’entretien physique. On doit adapter notre programme par rapport à la douleur. Quelques fois, ça m’arrive de prendre plusieurs heures à sortir de mon lit parce que je ne peux pas poser mon pied au sol. Il y a des jours où j’ai presque envie de reprendre mes béquilles mais je me refuse à les prendre. Il faut passer à travers cette douleur mais parfois c’est plus facile à dire qu’à faire.

Dans ce contexte, qu’est-ce qui a motivé votre choix de reprendre la compétition à Miramas le 2 février ? 

Moi non plus je n’étais pas au courant de ma rentrée (il rigole). Je ne te mens vraiment pas en disant cela parce que le mercredi avant la compétition je me suis rendu aux France universitaires à Clermont-Ferrand pour coacher une athlète de mon groupe. J’ai profité de cette occasion pour passer chez mon médecin du sport. C’est lui qui a suivi toute ma convalescence. Il regarde mon pied et à ce moment-là j’avais déjà donc fait les trois séances de perche. Il me dit que tout va bien et qu’il n’y a aucune raison que ça n’aille pas pour la suite. Les douleurs que je ressens sont plus le fait d’un manque de force. Le chirurgien que j’avais vu en fin d’année ne m’a mis non plus aucune contre-indication. Pour résumer, le patron, c’est moi et mes ressentis. 

L’excitation était trop forte ?

C’est rassurant quand on te dit ça mais derrière je vois que je n’arrive pas à faire grand chose. Sincèrement, je ne me suis jamais plaint une seule seconde. J’ai préféré tout garder pour moi. Même certaines fois quand j’ai eu très mal je me disais que ça ne servait à rien de se plaindre. Ça ne va pas changer ta destinée. Le lundi suivant, on fait une séance sur 12 foulées et ça se passe plutôt bien et je dis à Séb (Sébastien Reissdorfer, son coach) que c’est dommage de rater à une semaine près les N2 à Nantes puis les Elite à Miramas. Il me parle de la compétition de Miramas et puis je lui qu’on va essayer un truc là-bas.

— Après neuf mois sans sauter et avec seulement trois séances de perche, vous arrivez à franchir 5,30 m. En fait, la perche, c’est comme le vélo, cela ne s’oublie pas…

Séb me dit que sur 12 foulées je peux franchir 5,30 m ou 5,40 m. Sincèrement dans ma tête, je me dis que je me contenterais de 5,10 m. Au final, je passe 5,30 m sur 12 foulées et j’effectue quatorze sauts dans mon concours. En trois séances, j’ai fait une trentaine de sauts et dans ce concours j’en fait la moitié. Fin mars 2018, avant ma blessure, je franchis 5,32 m à Austin (Etats-Unis) sur 16 foulées dans de superbes conditions, un plateau de fou et là je me retrouve à deux centimètres de ça, sans élan et sans aucune préparation. Cela prouve que je n’ai pas oublié grand chose.

— Pourquoi avoir décidé de prendre part aux Championnats Nationaux à Nantes (9 et 10 février) ?

Je me sentais prêt mais j’ai grillé beaucoup d’étapes. A l’échauffement je passe facilement 5,20 m avec une perche trop souple donc je me dis que le podium ne devrait pas être loin. J’aurai dû me dire « Val, on reprend tranquillement le chemin de la compétition, vas-y mollo et ça matchera dans tous les cas « . Et non, j’ai finalement été à fond et j’ai tout perdu (3 échecs à 5,15 m). J’aurai mieux adapté les choses, je faisais le podium je pense. C’est mon esprit de compétiteur qui a repris le dessus. J’ai oublié que je suis toujours dans mon neuvième mois de blessure et que je dois prendre mon temps. J’ai eu Renaud (Lavillenie, son frère) avant hier (12 février) et il me demande « Pourquoi est-ce que tu as commencé à 5,15 m ? « . Je lui réponds : « Parce que j’ai été con (rires) ». Il me dit : « C’est bien ce qu’il me semblait « . Une semaine avant, je commence à 4,80 m et je n’avais aucune certitude. J’aurai dû au maximum commencer à 5 mètres.

Vous êtes attendu à Miramas pour disputer les France Elite. Ça fait du bien de revenir dans le « game » ?

C’est plus que bon ! Après Elite ou pas, juste le fait de mettre un maillot, des pointes, si je fais 5,30 m ou 6,30 m je serai heureux dans les deux cas. Il y a neuf mois, quasiment personne n’aurait cru me revoir cet hiver. Et certains ne pensaient plus jamais me revoir sur un sautoir. Je sais ce que je veux faire à Miramas mais je n’ai aucune certitude que ça passe. Je veux avant tout prendre du plaisir parce que cela m’avait tellement manqué de sauter. J’ai envie de prendre que du plaisir et à chaque fois que j’ai l’occasion de faire une séance de sauts ou courir correctement, je suis heureux. L’autre jour j’étais heureux de faire de l’aérobie, alors que ce n’est pas spécialement ma tasse de thé.

Après un événement comme celui-ci, il y a-t-il des appréhensions quand on se retrouve au bout du sautoir, perche à la main ?

La question, c’est de savoir si j’ai déjà eu peur. Non, je n’ai jamais eu aucune peur, pas même la première fois que j’ai repris une perche après ma chute. Pas une seule fois je n’ai eu la moindre crainte de ressauter. C’était même très excitant.

— Comment s’est déroulée votre rééducation au Centre de Capbreton ?

J’y ai fait deux séjours, un de cinq semaines et un de quatre semaines. Tous les matins, je devais être dans la salle à 8h. Je commençais par du cardio, j’enchaînais ensuite avec de la musculation, des soins et de la piscine. J’avais une heure de pause à midi et je recommençais l’après-midi. En athlé, on a l’habitude de faire plein de choses, aucun entraînement ne se ressemble vraiment et là c’était très rébarbatif. Quand je suis arrivé au Centre je ne pouvais pas encore marcher. Tu te bats mais tu ne sais pas pourquoi au final parce que tu n’es pas sûr de pouvoir marcher. La première fois que j’ai remarché c’était quelque chose de grand. Je ressemblais enfin à un homme.

— Quel était le moment le plus dur ? 

C’est trois ou quatre mois après la blessure, et c’est quand ma kiné me dit que je ne devrais plus jamais de ma vie faire de sport de haut niveau. Je m’en souviens comme si c’était hier. J’étais assis sur la table de kiné et je lui avais demandé d’être la plus sincère possible avec moi. Cette blessure est arrivée à une période où j‘avais besoin de me retrouver même si aujourd’hui j’en parle sans aucun souci parce que j’ai réussi à avancer et que je suis très heureux maintenant. En neuf mois, je me suis retrouvé chez mon frère pendant quelques semaines, ensuite quelques semaines au Centre. J’avais dû mal à me lever le matin et me dire que je n’étais pas réellement chez moi. J’ai la chance d’avoir un bon staff médical aussi bien quand je suis à Clermont que dans le Sud.

— Comment s’est ensuite déroulée votre période de réathlétisation ?

Je suis encore dans cette période qui a commencé depuis janvier mais c’est un bon moment à passer parce que ça veut dire qu’on est sur la bonne voie.

Avez-vous été surpris par l’amélioration rapide de votre pied ?

J’aurai pu l’être mais j’avais tellement envie de remarcher. On m’a donné un programme avec des délais et j’avais deux semaines d’avance. Chaque sportif de haut niveau a l’habitude d’écouter son corps et là je voulais gratter des étapes. Ce sont nos propres ressentis parce qu’on sent qu’on progresse.

— Vous êtes-vous senti soutenu durant cette épreuve ?

Énormément. Je suis conscient de qui m’a aidé à me relever. Il y a des personnes qui sont là et j’ai été agréablement surpris puisque certaines ont été là bien plus que je ne l’aurais imaginé.

— Vous étiez dans les tribunes lors de la finale du saut à la perche des Europe à Berlin…

J’avais fait la promesse à Renaud que j’irai le voir à Berlin mais fallait-il encore que je puisse marcher. J’essaye toujours de tenir mes promesses. C’était mon plus beau rêve et je n’ai pas été avare dans l’effort jusqu’en août pour assurer ma présence à cet événement. Dans les tribunes, je n’étais pas dans l’état d’esprit d’un athlète, ni d’un spectateur, j’étais le frère de Renaud. J’étais heureux de vivre ça et Renaud s’est battu comme un lion. C’est une immense fierté de voir son frère briller. J’étais avec Anaïs (Lavillenie, l’épouse de Renaud) et ça m’a rappelé de magnifiques souvenirs de Londres 2012. Le temps d’un concours, j’ai oublié tous mes problèmes. J’étais le petit frère le plus heureux du monde. C’était la première et la dernière fois que j’acceptais qu’on m’assimile juste à « frère de Renaud ». D’habitude clairement ça me fait ch***. Je voulais lui rendre la pareille parce qu’il m’a aidé à passer cette étape. Je suis arrivé le dimanche matin (12 juillet 2018), j’ai posé mes affaires à l’hôtel et j’ai filé à l’hôtel de Renaud pour l’accompagner dans sa traditionnelle marche matinale et c’était un moment fort. Je n’ai pas beaucoup de bons souvenirs à conserver de l’année 2018 mais celui-ci fait partie de l’un des plus beaux assurément.

— Les JO de Tokyo sont-ils une nouvelle source de motivation pour vous ?

Je n’ai pas besoin d’échéances pour me motiver et me lever le matin. L’objectif, c’est de me faire plaisir quand je saute. Je vais évidemment mettre toutes les chances de mon côté pour retrouver un niveau décent, voir prétendre à des podiums nationaux et à des sélections. Avant de parler de perche, l’objectif c’est de limiter les douleurs jusqu’à la fin de ma vie. Mes rêves olympiques et mondiaux ne sont pas éteints, bien au contraire.

— Les Mondiaux de Doha, vous y pensez ?

Je te mentirais si je te disais que non. J’ai la chance que Doha soit programmé très tard dans la saison (27 septembre au 6 octobre 2019) mais je ne sais pas si mon corps sera prêt cet été. Vu le niveau français aujourd’hui, si tu n’es pas à 100% de tes moyens, c’est compliqué. Si j’ai réussi à me relever de ce coup dur alors pourquoi pas… Avec ce qui m’est arrivé, j’ai pris du recul et j’ai désacralisé des barres à 5,70/5,80 m, qui pouvaient me paraître hautes.

La question est un peu directe mais vous avez pensé à arrêter votre carrière ?

Jamais. C’est moi qui décide quand j’arrête et j’ai n’ai absolument pas envie d’arrêter. Je ne vais laisser un petit pied me stopper.

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